Engagement Associations et démocratie

Accompagner l’engagement citoyen

Tribune Fonda N°236 - Le fait associatif au cœur des nouveaux métiers - Décembre 2017
Blandine Sillard
Blandine Sillard
Analyse de la notion d'accompagnement de projets citoyens, de l’invention d’une pratique à la création de nouveaux métiers.
Accompagner l’engagement citoyen

Pensée initialement dans des champs liés au développement professionnel et personnel, la notion d’accompagnement recouvre une « nébuleuse de pratiques » (Paul, 2004) unifiées entre elles par un référentiel de posture vis-à-vis de la personne accompagnée (cheminer avec, être à côté de, s’adapter aux singularités…) mais qui restent à ce jour hétérogènes et protéiformes.

L’engagement citoyen – défini ici comme la réalisation d’actions dans un but non-lucratif, tournées vers une amélioration du fonctionnement de la société, davantage d’inclusion et de respect pour les autres et pour l’environnement – n’est pas exempt de cet engouement pour l’accompagnement.

Fabriques, incubateurs, pépinières, couveuses, accélérateurs, connecteurs… les termes ne manquent pas pour qualifier ces espaces nouveaux que l’on voit éclore dans le but d’accompagner des personnes souhaitant construire un monde meilleur. Un bon nombre de ces espaces est porté par des associations et l’on peut, à ce titre, s’interroger sur leur capacité à faire évoluer les pratiques du secteur associatif.  

L’analyse de certaines fabriques, incubateurs, pépinières et autres couveuses nous permet de distinguer, en premier lieu, deux formes distinctes : l’accompagnement de projets et d’initiatives – c’est-à-dire la création d’une nouvelle action ou organisation à but non-lucratif – et un accompagnement, que nous nommerons d’après la terminologie des associations qui la mettent en pratique, des « envies d’agir » – à savoir le souhait de personnes de rejoindre et se mettre au service d’initiatives existantes.

Notons que les dispositifs analysés se situent exclusivement dans des contextes urbains – en l’occurrence Paris et Lyon – caractérisés par un tissu associatif dense et dynamique, ce qui rend possible l’orientation vers des organisations existantes et alimente l’accompagnement de projets – la mise en réseau avec d’autres acteurs associatifs du territoire constitue par exemple un apport significatif.

Cette analyse, volontairement anonyme mais basée sur des observations participantes, des analyses de discours et des entretiens, nous conduira à nous interroger sur les effets du développement de ces démarches d’accompagnement en termes d’évolution des pratiques professionnelles dans le secteur associatif et militant. Nous verrons que, si les signes d’une spécialisation impliquant l’émergence de nouveaux métiers sont présents, ils génèrent également, et peut-être davantage, une dynamique de transformation de fonctions existantes.

Au vu de l’importance, dans l’accompagnement, des compétences expérientielles, de la diversité des objets et des demandes d’accompagnement et des ressources que mobilisent cette activité quand elle est spécialisée, on ne peut que s’interroger sur la pertinence de constituer l’accompagnement de l’engagement citoyen en métier. À l’inverse, faire évoluer les fonctions existantes permet de démultiplier l’impact de ces démarches, profondément en phase avec les mutations en cours de l’engagement citoyen.


Accompagner les projets et initiatives citoyennes 


L’accompagnement de l’engagement citoyen passe, en premier lieu, par le soutien apporté aux personnes souhaitant mener à bien leur propre projet. Il peut s’agir d’organiser une exposition, de créer un café associatif, de lancer une application pour identifier les lieux accessibles aux personnes handicapées, d’ouvrir une épicerie zéro-déchet, de monter un collectif distribuant des livres aux migrants…

Sont aussi diverses les formes que prennent l’accompagnement : entretiens individuels dont la régularité peut être fixe ou au rythme du porteur, formations collectives sur des thématiques généralement prédéfinies par les responsables de l’incubateur, événements conviviaux en vue de créer des échanges entre porteurs, mise à disposition d’espaces pour tester son idée…

Le contenu également peut être à caractère technique (comment communiquer ? comment répondre à un appel à projets ?) ou thématique (visant à acquérir une meilleure compréhension des enjeux qui sous-tendent le domaine dans lequel le porteur s’apprête à se lancer).

L’accompagnement procède alors à un façonnage technique (transformer le citoyen qui a une idée en citoyen compétent pour la concrétiser : cette volonté est affirmée par tous car au cœur de la promesse formulée aux porteurs) mais aussi à un façonnage intellectuel (orienter la pensée du porteur vers une certaine manière de voir les enjeux qui sous-tendent son action). Cette seconde dimension n’est pas explicite dans toutes les démarches d’accompagnement.

On peut en effet, à ce stade, distinguer des incubateurs dont les accompagnateurs sont marqués par une culture politique affirmée (se revendiquant de l’éducation populaire militante, l’écologie politique, la décroissance, le community organizing…) qu’ils transmettent aux personnes accompagnées à travers des ateliers, débats, formations… et d’autres s’affichant comme « neutres » mais transmettant, sous couvert de neutralité, l’imaginaire de l’entrepreneur et de l’entrepreneuriat capitalistes, qui s’impose aujourd’hui comme la norme (à tel point qu’ils sont qualifiés de « classiques ») mais n’en sont pas moins résolument idéologiques.

Cette transmission s’opère à travers les outils d’accompagnement technique (par exemple, lors d’un atelier où est mobilisé un outil impliquant nécessairement de penser son projet sous le prisme de la rentabilité) et non au sein d’espaces connexes de type débats ou formations théoriques.

À l’inverse, les associations assumant la culture politique qui les caractérise créent des espaces de conscientisation et de politisation qui aident les porteurs à « donner du sens » à leur action. Elles créent des liens entre les porteurs, un sentiment d’appartenance à une communauté, un mouvement allant dans un même sens. Elles prennent ainsi une place occupée historiquement par des partis, des syndicats ou encore des fédérations d’éducation populaire.

La différence majeure est l’absence totale de contractualisation, d’affiliation ni même de vérification préalable de l’opinion des personnes accompagnées sur des sujets ne relevant pas de leur projet. Cela fait écho au mouvement de « dé-fédéralisation » observé par Jacques Ion (2012) c’est-à-dire une tendance à l’autonomisation des groupements d’individus qui ne signifie en aucun cas une perte de dynamisme ans la création d’associations ou de collectifs militants.

À l’inverse, le fait que les associations qui accompagnent les projets, tout en préservant leur identité singulière, soient fortement sollicitées, montre que la dimension de socialisation et de formation politique qu’apportaient les fédérations reste recherché.


Accompagner les envies d’agir


Le cœur des propos de Jacques Ion réside parallèlement dans son constat qu’une tendance similaire de désaffiliation est à l’œuvre sur le plan des individus qui s’engagent. Il rejette l’idée que les individus ne militent plus pour défendre les causes qui leur sont chères, mais montre que ces engagements se caractérisent par un « affranchissement » des personnes engagées vis-à-vis des clivages idéologiques traditionnels, qu’ils évoluent vers des engagements plus autonomes avec une volonté d’agir sans tutelle.

Apparaît alors un paysage associatif et militant déstructuré où les repères traditionnels n’opèrent plus, sans pour autant, à l’instar des porteurs de projets, qu’un aiguillage ne soit pas nécessaire pour choisir où et comment s’engager.

L’accompagnement des envies d’agir vient répondre à cette lacune : l’action des associations qui accompagnent consiste ici à écouter les objectifs de la personne souhaitant s’engager – politiques (changer tout ou partie du monde qui nous entoure) comme pragmatiques (s’occuper, rencontrer des gens, développer des compétences…) – et cerner sa personnalité afin de la conseiller et de l’orienter vers la forme d’engagement qui lui correspond.

Cette pratique – largement moins représentée que l’accompagnement de projet – acte dans les faits la tendance à l’autonomisation de l’engagement observée par Jacques Ion en se centrant sur l’envie exprimée par les personnes et en considérant le service rendu aux organisations vers lesquelles elle redirige les personnes accompagnées comme secondaire.

C’est davantage par la transmission des savoirs acquis par leurs expériences d’accompagnement que ces associations interviennent auprès d’autres organisations militantes. Elles développent par exemple une compréhension fine des attentes et motivations des personnes qui souhaitent s’engager, imaginent et observent des pratiques originales pour accueillir ces personnes, s’adapter à leurs particularités et faire en sorte qu’elles restent.

La volonté de transmission de ces savoirs s’incarne dans des formations ou des prestations de conseil proposées aux organisations militantes souhaitant renforcer ou améliorer leur vie associative. Si ces actions s’inscrivent dans une réflexion autour du modèle économique, elles sont aussi une part intégrante de leur mission car l’accompagnement des envies d’agir n’est pas une fin en soi, mais un moyen pour que l’engagement soit plus massif et plus inclusif et cela nécessite également de faire évoluer les organisations militantes.


Métier en devenir ou transformation de fonctions associatives ?


Cette volonté de transmission, plutôt que de substitution, à des personnes déjà en place au sein des organisations militantes et dont l’accueil et l’intégration sont du ressort, se retrouve chez les associations accompagnant les projets qui entreprennent de former des responsables de centres sociaux et autres lieux ouverts au public.

La capitalisation des pratiques sert alors autant la formation interne de nouveaux accompagnateurs que l’essaimage au sein d’organisations existantes. Elle n’a donc pas tant vocation à inventer de nouveaux métiers qu’à transformer des fonctions existantes comme celles de responsable de la vie associative, chargé de mobilisation ou encore animateur de communauté.

Par ailleurs, le recours quasi-systématique à des personnes disposant de compétences expérientielles (liées aux connaissances qu’elles ont acquises au cours de leurs propres engagements ou activités professionnelles) souvent toujours en fonction, fait de l’accompagnement, non pas une spécialisation qui serait le pré carré d’accompagnateurs professionnels, mais une modalité d’expression d’un savoir ou d’une compétence particulière qui vient enrichir un profil professionnel connexe.

Là encore, la formation – interne cette fois-ci – fait plutôt évoluer des fonctions existantes. « Accompagnateur » constitue rarement une identité professionnelle affirmée, critère central pour nombre de sociologues des professions, à l’instar de Françoise Piotet (2002), pour être considéré comme un métier.

En outre, si un processus de formalisation des compétences requises est à l’œuvre dans les associations, celles-ci se centrent sur des compétences relationnelles, des savoir-être, ce qui, comme le montre Isabelle Astier (2007) rend la pratique floue et difficile à structurer.

Cette analyse reste toutefois prospective : il est également possible que les formations externes à l’accompagnement débouchent sur la création de fonctions dédiées à ces pratiques d’accompagnement, au sein d’organisations existantes ou nouvelles, à l’image de la manière dont s’est structuré le mouvement du community organizing aux États-Unis, à partir des expériences pionnières de Saul Alinsky (1973). En outre, il convient de constater qu’à l’heure actuelle, l’essaimage reste faible.

À leur stade actuel de développement, les associations accompagnant l’engagement citoyen mobilisent davantage la capitalisation à des fins de formation interne que de transmission externe.

Si cette tendance peut aisément être mise sur le compte de la jeunesse de ces démarches d’accompagnement (aucune d’entre elles n’a plus de quatre ou cinq ans) et sur leur caractère expérimental, les évolutions à venir nous diront si les associations accompagnant l’engagement citoyen deviendront des acteurs de la transformation des pratiques de mobilisation citoyenne et d’accueil des bénévoles au sein des organisations existantes ou si elles se révèleront être un point de passage incontournable pour trouver une incarnation concrète à nos velléités d’engagement citoyen.
 

Bibliographie : Astier, Isabelle. Les nouvelles règles du social. Le lien social. Paris: Presses universitaires de France, 2007 ; Frétigné, Cédric. « Le métier: Un analyseur des transformations des mondes du travail ». Recherche & formation, n° 57 (22 avril 2008) 129-39 ; Ion, Jacques. S’engager dans une société d’individus. Collection « Individu et société ». Paris: Colin, 2012 ; Paul, Maëla. L’accompagnement: une posture professionnelle spécifique. Paris: L’Harmattan, 2004 ; Piotet, Françoise (dir). La révolution des métiers. Le lien social. Paris: Presses universitaires de France, 2002.
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