Engagement Prospective

Compte-rendu du 6e dialogue « Engagement & Numérique » - Journée d'étude prospective #1

Valérie Peugeot
Valérie Peugeot
Et Joe Achkar, Charlotte Debray
Ce sixième dialogue s’inscrit dans le cadre de la 1re journée d’étude « Vers une société de l’engagement ? Comprendre le présent ». Animé par Charlotte Debray, déléguée générale de la Fonda, il a réuni Joe Achkar, responsable des opérations de la plateforme JeVeuxAider‧gouv.fr par la Réserve Civique, et Valérie Peugeot, chercheuse et commissaire à la CNIL.
Compte-rendu du 6e dialogue « Engagement & Numérique » - Journée d'étude prospective #1
Compte-rendu du 6e dialogue « Engagement & Numérique » - Journée d'étude prospective #1 © Agathe Thiebeaux / La Fonda

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C’est un lieu commun que d’affirmer que le numérique change tout, y compris les façons de s’engager. En quoi le numérique est-il à la fois vecteur et objet d’engagement ? Comment peut-il faciliter l’expression des engagements, pour le meilleur comme pour le pire ? Dans quelle mesure le numérique contribue-t-il au renouvellement de la démocratie ?

Entre espoirs et désillusions, genèse du numérique

« Les technologies ne sont pas neutres, elles sont porteuses d’une certaine vision du monde de leurs concepteurs », rappelle Valérie Peugeot.

Lors de l’apparition des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) dans les années 1990, elles s’inscrivaient dans une logique empreinte de contreculture dans l’esprit nord-américain1 . Elles étaient ainsi perçues comme vectrices d’une émancipation individuelle et collective par rapport à l’État.

En France, « l’enthousiasme collectif pour les NTIC était également présent. Il portait sur le possible effet de levier pour la démocratie participative » complète Valérie Peugeot. Cet engouement ne s’est malheureusement pas concrétisé : la révolution démocratique espérée ne s’est pas produite.

Les multiples facettes du numérique

Le numérique facilite le passage à l’action et des individus. Selon Joe Achkar, « le numérique a permis de supprimer les frontières et constitue un levier formidable pour créer un commun positif ».

Le numérique élargit ainsi les frontières de l’espace public, où de nouveaux acteurs peuvent prendre la parole, à l’image d’Étienne Chouard. Ce professeur de droit avait posté sur son blog un article2 qui a contribué à faire monter l’opposition au traité constitutionnel européen lors du référendum de 2005, indique Valérie Peugeot.

Le numérique favorise également l’émergence d’espaces d’entraide. Des personnes partageant pour le changer le monde peuvent s’y rassembler, même virtuellement. C’est le cas du groupe Facebook « les Bio Zéro Déchet » (EBZD). Les membres partagent leurs bonnes pratiques pour transformer leurs actions du quotidien, explique Valérie Peugeot.

Les citoyens peuvent même participer à la construction de savoirs communs. Des sites comme Open Food Fact ou Open Street Map se développent en s’appuyant sur de telles contributions.

Pourtant, Joe Achkar alerte sur l’usage du numérique. « Ces nouvelles technologies sont utilisées aussi par des causes adverses », abonde Valérie Peugeot en s’appuyant sur l’exemple du Tea Party. Apparu aux États-Unis à la suite de la crise économique de 2008, ce mouvement contestataire et conservateur américain s’est imposé dans le débat public grâce à une utilisation massive des réseaux sociaux.

Un effet pervers s’observe également, constate Valérie Peugeot, avec l’existence de « bulles de filtres »3 . Favorisées par les algorithmes, elles aboutissent à la création de micro-univers et limitent l’accès à une pluralité d’opinions.

Le numérique comme facilitateur des engagements

Le numérique peut faciliter l’envie des citoyens de s’engager pour une cause, tout en répondant aux besoins des structures. La plateforme JeVeuxAider.gouv.fr, incarnation numérique de la réserve civique, en est une illustration.

Joe Achkar précise que cette plateforme propose tout un catalogue de missions de bénévolat réalisables à proximité de chez soi ou en distanciel, telles que la maraude, le ramassage de déchets ou encore le mentorat. Il observe cependant que « la technologie doit être considérée comme un moyen au service d’un projet, mais jamais une finalité en soi ».

La création d’actions impulsées spontanément par des citoyens est également facilitée grâce aux outils numériques. Ils ont un potentiel important pour se mettre en réseau, fédérer, mobiliser et coordonner.

L’histoire regorge d’exemples, indique Valérie Peugeot, avec notamment les manifestations à Seattle en 1999 contre la conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les mobilisations sur les ronds-points par les Gilets jaunes en 2018 ou encore le mouvement sur les agressions sexuelles MeToo en 2017.

De nouvelles formes de micro-engagement à distance se développent, précise Valérie Peugeot. Il s’agit du slacktivisme4 . L’Affaire du siècle en est un exemple. Initiée par quatre associations en 2018, cette pétition a recueilli plus de deux millions de signatures pour poursuivre en justice l’État pour inaction en matière de lutte contre le réchauffement climatique.

Renouvellement de la démocratie avec le numérique

« Dans un contexte de désamour entre la classe politique et la population, le numérique permet de renouveler l’action publique », rappelle Valérie Peugeot. Ce n’est néanmoins pas une solution miracle. « Les initiatives numériques doivent être au service d’une vision de ce que doit être la politique locale », ajoute-t-elle.

Les civic tech (technologies civiques) « contribuent à redessiner le rapport entre débat public et engagement privé, représentation directe et nouvelles formes d’expression démocratique »5 . Ces technologies portaient l’espoir de retisser les liens entre les citoyens et les élus, avec des résultats inégaux.

L’innovation contributive est utilisée dans plusieurs territoires, en s’appuyant sur l’outil numérique. Le collectif La Turbine de Grenoble invite les citoyens à imaginer des solutions pour répondre aux défis locaux, tels que la pollution lumineuse ou encore la mobilité. Plusieurs collectivités territoriales, dont Paris et Bordeaux, recourent aux budgets participatifs. Les citoyens proposent des projets et peuvent voter en ligne pour leurs préférés.

Le numérique peut aussi être un objet de l’engagement, et défendre un certain modèle de société. Il y a des mouvements, dans le libre notamment, pour éviter que les outils numériques viennent limiter nos droits et libertés.

Si des acteurs engagés sur ces sujets alertent sur les dérives de la technologie, les mouvements citoyens qui résistent se comptent malheureusement sur les doigts d’une main.

Réactions participants Dialogue Numérique JE#1 © Anna Maheu / La Fonda

  

Conclusion

Malgré de fortes attentes émancipatrices, le numérique n’a pas généré les transformations espérées. Il facilite néanmoins le passage à l’action et décloisonne les lieux d’expression et d’organisation des citoyens.

Ces outils technologiques peuvent être utilisés au service de causes pas nécessairement progressistes, impliquant de mettre en place des garde-fous.

Cependant, le numérique peut être un levier clé pour renouveler l’action publique, notamment locale.

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Ce compte-rendu a été rédigé par Hannah Olivetti de la Fonda et relu par Joe Achkar, Charlotte Debray, Anna Maheu, Valérie Peugeot et Agathe Thiebeaux dans le cadre de la journée d’étude de la Fonda. Il est mis à disposition sous la Licence Creative Commons CC BY-NC-SA 3.0 FR.


 

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  • 1On peut lire à ce sujet Fred Turner, Aux sources de l’utopie numérique, C & F éditions, 2012.
  • 2L’analyse est intitulée « Une mauvaise Constitution qui révèle un secret cancer de notre démocratique » et est disponible en ligne.
  • 3Selon la définition de la CNIL, il s’agit d’un phénomène principalement observé sur les réseaux sociaux où les algorithmes de recommandation ne proposent que des contenus similaires entre eux. Ce concept existe depuis le début des années 2010 et a été formalisé par l’auteur américain Eli Pariser.
  • 4Ce mot-valise développé par les Américains Dwight Ozard et Fred Clark en 1995 désigne de façon péjorative une forme de militantisme purement numérique (slacker signifiant paresseux).
  • 5CNIL, « Civic tech, données et Demos — Enjeux de données personnelles et libertés dans les relations entre démocratie, technologie et participation citoyenne », Cahiers Innovation & Prospective (IP) n° 7, décembre 2019, [en ligne].
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