Engagement Prospective

Compte-rendu du 4e dialogue « Engagement & Écologie » - Journée d'étude prospective #1

Nathalie Blanc
Nathalie Blanc
Et Kaméra Vesic, Hannah Olivetti
Ce quatrième dialogue s’inscrit dans le cadre de la 1re journée d’étude « Vers une société de l’engagement ? Comprendre le présent ». Animé par Hannah Olivetti, cheffe de projet prospective au sein de la Fonda, il a réuni Nathalie Blanc, directrice de recherche au CNRS et directrice du Centre des Politiques de la Terre, et Kaméra Vesic, fondatrice de PikPik Environnement.
Compte-rendu du 4e dialogue « Engagement & Écologie » - Journée d'étude prospective #1
Compte-rendu du 4e dialogue « Engagement & Écologie » - Journée d'étude prospective #1 © Agathe Thiebeaux / La Fonda

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Selon le sixième rapport de synthèse du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), en mars 2023, +1,5 °C de réchauffement sera atteint entre 2030 et 2035 si les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas réduites de 50 % d’ici 2030. Face à l’urgence climatique, pourquoi et comment s’engagent les citoyens ? Quels sont les rôles respectifs des collectivités territoriales et des entreprises ? 

S'engager pour la cause écologique : luxe ou nécessité ?

« Pour vous, c’est quoi un écolo ? Ça ressemble à quoi ? » interpelle Kaméra Vesic. Les réponses de la salle fusent : une personne engagée pour la cause écologique ne serait pas bien habillée, mangerait bio et se déplacerait avec une gourde. La fondatrice de PikPik Environnement souligne à quel point les personnes qui s’engagent pour la cause écologique, ainsi que leurs motivations, sont caricaturées.

Loin de ces stéréotypes, « les personnes qui prennent de plein fouet les problématiques environnementales vivent dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPPV) ». C’est avec des mères inquiètes pour le bien-être de leurs enfants qu’elle a fondé sa propre association. Ensemble, elles partageaient des idées pour changer leurs pratiques, mais cela relevait pour elles autant de l’écologie que du bon sens.

Il ne s’agit pas d’une expérience unique : « il y a une forme d’impensé sur l’engagement pour la cause écologique dans les QPPV » abonde la géographe Nathalie Blanc, « alors même que ces personnes, et les femmes particulièrement, s’engagent pour améliorer leur quotidien ».

Par exemple, dès les années 1990 en Russie, les femmes se sont mobilisées contre la privatisation du foncier au bas des immeubles. Elles se sont engagées pour améliorer leur cadre de vie et celui de leurs enfants.

Les moteurs de l’engagement pour la cause écologique sont variés, observe Nathalie Blanc. Ils peuvent porter sur l’esthétique et le créatif avec l’ambition d’améliorer la qualité de vie et le cadre de vie. La transformation de la ville d’Arnhem aux Pays-Bas, au cours de ces trente dernières années, a été le fruit de mobilisations citoyennes.

L’engagement peut aussi être productif, par exemple la production de fruits et de légumes. Enfin l’engagement peut-être militant pour une cause ou contre un projet. « On observe néanmoins une labilité entre les engagements récréatif, productif et militant », remarque la directrice de recherche au CNRS.

Diverses formes d'engagements écologiques

Les formes d’engagement ont évolué au cours des dernières décennies. Alors que dans les années 1970 la question de l’engagement pour la cause écologique était perçue comme un luxe réservé aux catégories aisées de la population, elle s’est diversifiée au cours des années 1990. Ce tournant s’est effectué à l’ombre de grandes mobilisations ainsi que d’associations environnementales naissantes.

Depuis les années 1990, Nathalie Blanc constate un phénomène de professionnalisation du monde associatif, créé entre autres pour répondre aux demandes des collectivités territoriales et de l’État. « Une scission du monde associatif pour la cause écologique existe entre des experts travaillant pour les acteurs publics et des associations plus revendicatrices et protestataires », poursuit-elle.

Toutes les velléités d’engagement peinent à s’exprimer au sein des mobilisations pour la cause écologique : les deux intervenantes constatent des inégalités de traitement en fonction de la classe, de la race et du genre.

Nathalie Blanc relève une invisibilisation des mobilisations féminines : « Aux hommes la protection des éléphants, aux femmes la protection des chats »1 . Revenant sur l’expérience du Front des Mères2 , Kaméra Vésic précise que le combat écologique est loin d’être intersectionnel. Les personnes qui portent des combats écologiques sont pourtant aussi diverses que les motivations ou les formes d’engagement.

Des actions individuelles viennent aisément à l’esprit : trier ses déchets, avoir un compost, etc. Une dimension plus collective est souvent occultée, comme l’adhésion à une association ou le vote.

« Si les actions individuelles sont formidables, on ne peut changer la société que par des mouvements collectifs », insiste Kaméra Vesic. En ce sens, elle préconise d’ouvrir les espaces d’engagement aux citoyens, en s’adaptant à leurs préoccupations. C'est parfois aussi simple que de renommer des ateliers « défi zéro déchet », « défi zéro gaspi ».

Quels rôles pour les acteurs publics et les entreprises ?

« Les acteurs publics peuvent faciliter l’engagement des citoyens », souligne Nathalie Blanc. En Allemagne, il existe par exemple une culture politique historique de l’engagement citoyen. Quant aux États-Unis, de nombreux budgets sont dédiés aux associations agissant sur l’adaptation au changement climatique.

« En France, les associations environnementales sont relativement pauvres et sont maintenues dans une position de dépendance aux pouvoirs publics », indique-t-elle. Dans certaines municipalités, les mobilisations environnementalistes sont même contrées pour des raisons politiques. A contrario, dans d’autres municipalités se développent des programmes de coconstructions de l’engagement citoyen au niveau individuel, organisationnel ou territorial, comme à Ivry-sur-Seine où se tient une Assemblée citoyenne climat.

Quand un territoire se décide à mobiliser l’ensemble des associations et des citoyens, cela crée un dynamisme collectif et même un écosystème associatif.

Quant aux entreprises, « elles aimeraient mieux faire en matière d’environnement, mais elles ne savent pas trop comment s’y prendre » selon Kaméra Vesic. Leur action avec PikPik Environnement se limite souvent à la promotion d’« écogestes ».

Elles n’enclenchent cependant pas de changements profonds sur leur fonctionnement. D’ailleurs, il y a un véritable enjeu de renforcer le rôle de la police de l’environnement, ajoute Nathalie Blanc, pour s’assurer le respect des normes environnementales dans les territoires.

La justice, un nouveau levier à explorer ?

Un phénomène est à l’œuvre, celui du recours à la justice par les associations environnementales. Les associations canadiennes sont précurseures en la matière. Dès les années 2000 et probablement avant, elles s’entourent d’avocats spécialisés pour les accompagner sur ces questions juridiques, comme pour s’opposer à un promoteur.

Ce n’est que plus récemment que les associations françaises ont recours à ce procédé. L’exemple le plus médiatisé est sans nul doute L’Affaire du siècle où quatre associations ont assigné en justice l’État français en justice pour inaction face aux changements climatiques.

D’ailleurs, la France a été condamnée en 2021 à réparer les conséquences de son inaction climatique. « Plus de 2000 procès sont en cours contre des États, des entreprises et des collectivités territoriales dans le monde », ajoute Nathalie Blanc.

Bien que des affaires soient gagnées par des associations, il est nécessaire que l’application de la peine soit effective et surveillée à toutes échelles, de la police des haies à celles des pollutions de toutes sortes, petites et grosses. Or, « la police de l’environnement manque de moyens pour surveiller ce qui se fait en matière de jugement », conclut Nathalie Blanc.

Réactions participants Dialogue Ecologie JE#1 © Anna Maheu / La Fonda

  

Conclusion

De multiples raisons expliquent l’engagement des citoyens pour la cause écologique, à la jonction entre préoccupations individuelles et collectives. Les acteurs publics peuvent d’ailleurs créer les conditions favorables à l’engagement des citoyens. Les actions en justice pour inaction climatique des acteurs publics et privés joueront un rôle clé à l’avenir. 

Reste la question de l’application effective des décisions de justice, et donc celle des moyens dédiés à la police environnementale. 

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Ce compte-rendu a été rédigé par Hannah Olivetti de la Fonda et relu par Nathalie Blanc, Charlotte Debray, Anna Maheu et Kaméra Vesic dans le cadre de la journée d'étude de la Fonda. Il est mis à disposition sous la Licence Creative Commons CC BY-NC-SA 3.0 FR.


 

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  • 1Nathalie Blanc, « La place de l’animal dans les politiques urbaines », Communications n°74, 2003.
  • 2Fatima Ouassak, La Puissance des mères, Éditions La Découverte, 2020.
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