Enjeux sociétaux Gouvernance

Coopérer autrement en acteurs de changement

Tribune Fonda N°238 - ODD : quelles alliances pour demain ? - Juin 2018
Anne-Françoise Taisne
Anne-Françoise Taisne
Le programme « Coopérer autrement en acteurs de changement », mis en place en 2014 par le CFSI, plate-forme associative rassemblant 25 organisations engagées dans la solidarité internationale, mobilise les membres du CFSI et plus de 70 partenaires dans 17 pays.
Coopérer autrement en acteurs de changement


En 2015, la communauté internationale a adopté les dix-sept objectifs de développement durable (ODD) avec pour finalité, à l’horizon 2030, d’éradiquer l’extrême pauvreté, de réduire les inégalités et de promouvoir un développement durable compatible avec la lutte contre les dérèglements climatiques.

Comme le souligne un article du supplément à la Tribune Fonda n°237, « de nouveaux modes de partenariat et de faire ensemble se développent, portés par deux dynamiques fortes : la prise en compte des problématiques d’intérêt général par des acteurs non étatiques et la mise en place d’alliances élargies, associant les ressources d’acteurs multiples et de différentes natures mobilisées sur une stratégie commune».

C’est dans cet esprit que, dès 2014, le CFSI a mis en place le programme « Coopérer autrement en acteurs de changement »1 .
 

Une coopération internationale


Pour le CFSI, coopérer en acteurs de changement, c’est redonner du sens au mot co-opération. C’est co-construire des initiatives qui impliquent des organisations de la société civile engagées dans la lutte contre les inégalités et la défense des droits humains. C’est s’associer avec des acteurs de natures différentes, pouvoirs publics, secteur marchand, chercheurs, autour d’enjeux partagés pour relier l’économique et le social. Ces initiatives visent à améliorer la situation économique et sociale. Certaines répondent à une logique de services et de viabilité économique. C’est également expérimenter de nouvelles formes de coopération fondées sur l’interdépendance des territoires, élargir son champ d’action et avoir une vision complète des besoins d’un territoire pour mieux le relier à un autre territoire.

De ces partenariats entre acteurs de natures différentes, ressortent plusieurs types de plus-values. Tout d’abord, ils favorisent la collaboration avec de nouvelles organisations. Ainsi, Batik International accompagne une action visant à l’émancipation économique des femmes dans les pays de la rive sud de la Méditerranée et en Île-de-France. Ses partenaires ont noué des relations avec des acteurs avec lesquels ils n’avaient pas l’habitude de travailler, comme des agences de l’emploi, des centres de formation publics et privés, des chambres professionnelles et des acteurs économiques. Ces partenariats sont aussi une opportunité pour sortir d’une relation entre deux organisations  et reconsidérer les modalités de travail. Ils encouragent des coopérations horizontales qui replacent l’apprentissage mutuel au cœur de la relation.

L’association Guinée 44 impliquée dans la région de Kindia depuis plus de vingt ans a élargi sa relation avec son partenaire en Guinée, en travaillant avec les Maisons familiales rurales, spécialisées dans l’insertion et la formation des jeunes ruraux. Par un processus de concertations entre pouvoirs publics, agriculteurs et parents d’élèves, des parcours de formation professionnelle ont émergé. L’expérimentation se poursuit avec leurs partenaires guinéens et français dans la Sarthe et en Mayenne. À terme, c’est l’intégration de cette approche dans la politique nationale qui est souhaitée.
 

Un enrichissement de l'action collective


Ces partenariats ont une plus-value en termes d’efficacité car ils rassemblent différentes compétences. Ainsi le Gret, qui regroupe des « professionnels du développement solidaire », a une longue pratique dans le travail avec le secteur informel mais aussi dans l’approche par les droits. Il s’est associé avec la CGT pour renforcer le dialogue entre syndicats vietnamiens, entreprises et pouvoirs publics pour défendre les droits des femmes migrantes au Vietnam et en Île-de-France.
 
Ces partenariats contribuent à mettre en place et consolider des espaces de concertation. Il y a encore quatre ans au Tchad, les acteurs étatiques ne collaboraient pas avec les organisations de la société civile jugées trop critiques vis-à-vis des politiques mises en place alors que la formation et l’insertion professionnelle des jeunes sont au cœur de l’avenir du pays. L’ONG Essor a contribué à la mise en place d’espaces de concertation permettant d’identifier et de gérer des intérêts divergents. Ils sécurisent le dialogue et contribuent à la reconnaissance des complémentarités.

Une autre plus-value concerne le renouvellement des modèles économiques des projets : faire travailler ensemble organisations de la société civile, pouvoirs publics et entreprises conduit à introduire une logique entrepreneuriale et à penser le développement d’un territoire. Ainsi, le Groupe Énergies renouvelables, environnement et solidarité (Géres) a contribué avec son partenaire malien, l’Association malienne d’éveil au développement durable, à la création d’une zone d’activité électrifiée dans la région de Koutiala. Celle-ci rend ce territoire plus attractif et associe les pouvoirs publics locaux avec le secteur marchand pour proposer à la fois des services aux consommateurs et à de petites entreprises.

Ces partenariats génèrent également des plus-values en termes de diffusion des réflexions menées, quand des organisations de la société civile collaborent avec des réseaux d’entreprises. Ainsi, l’association Cap Solidarité a dialogué avec France Clusters et le réseau Alliance, qui regroupe des entreprises des Hauts-de-France, sur la question de la mobilité des jeunes à l’international et de la valorisation de l’engagement solidaire, avec moins d’opportunités pour favoriser leur insertion socioprofessionnelle dans la région.
 

Pour un développement partagé

Coopérer en acteurs de changement, c’est repenser l’aide en tournant le dos à une relation d’aide du Nord vers le Sud. C’est concrétiser une solidarité fondée sur :

  • l’approche par les droits humains pour promouvoir leur respect et leur renforcement voire la création de droits universels ;
     
  • la reconnaissance des responsabilités collectives face aux impacts négatifs des systèmes économiques ;
     
  • la lutte contre les inégalités en privilégiant la redistribution des richesses ;
     
  • la prise de conscience des limites des ressources de la planète.
     

Ce mode de coopération vise à définir des enjeux partagés sur des thématiques économiques, sociales ou encore environnementales, et conduit à mettre de côté les intérêts particuliers de chaque acteur. Il permet de se concentrer sur la situation de chaque territoire, puis de la dépasser en prenant conscience de nos interdépendances. Pour le GRDR, Migration, Citoyenneté, Développement, l’interdépendance s’est traduite par un questionnement sur la contribution des migrants à l’économie sociale et solidaire.

En effet, jusqu’ici à Kayes au Mali, l’insertion économique des migrants s’est concrétisée par la création d’une plateforme : l’Espace Migration Développement en région de Kayes, mais cette démarche prenait peu en compte les approches de l’économie sociale et solidaire. A contrario, dans les Hauts-de-France, région pionnière dans l’ESS, la diversité culturelle de la population migrante n’était pas bien représentée au sein des réseaux de l’ESS. En créant un double espace, chaque réseau a enrichi sa réflexion sur les modèles de développement solidaire de son propre territoire.
 

La coopération entre les territoires


La coopération de territoire à territoire fait de chacun un citoyen du monde, partie prenante d’une mondialisation plus solidaire et de la réalisation des ODD. En travaillant sur la sécurité et la santé des travailleurs dans les bananeraies des Antilles et d’Amérique du Sud, la CGT a renforcé une campagne en faveur de la ratification par chaque État de la convention 184 de l’Organisation internationale du Travail.

En rapprochant des territoires, chaque acteur peut sortir d’une trajectoire centrée sur les dynamiques locales. Ainsi, le Secours populaire français soutient depuis plus d’une dizaine d’années des paysans et des paysannes au Salvador qui produisent des paniers de fruits et légumes. À Montauban, les acteurs Salvadoriens du projet ont mis leur expérience à disposition de leurs homologues français, ce qui a permis le développement d’un jardin solidaire avec des personnes disposant de peu de revenus. Les échanges entre les deux pays ont conduit aux mêmes questions sur l’accès aux semences et finalement sur le droit aux semences. Cette démarche internationalise les territoires et réduit les tentations du repli sur soi. Elle s’enrichit des solutions de l’autre mais surtout les invente ensemble par l’échange et le dialogue.

Ces partenariats pluri-acteurs sont des fabriques de solidarité dès lors qu’ils impliquent l’ensemble des citoyens organisés ou non sur les territoires, à l’image des jeunes du lycée agricole de Montauban qui ont appuyé techniquement la mise en place du jardin solidaire. Ce sont des démarches exigeantes car elles imposent de définir ensemble des valeurs communes, au-delà des stratégies de chacun. Les droits économiques, sociaux et culturels et les ODD en sont le ciment.

Ces partenariats s’inscrivent dans la durée grâce à un engagement humain qui relie les acteurs et donne à chacun le pouvoir d’agir. Ils peuvent se démultiplier comme l’indique l’expérience du Secours populaire français qui, à l’issue de ce projet, a, avec l’appui du CFSI, soutenu la demande d’organisations paysannes du Sud-Ouest de la France d’accueillir des organisations paysannes salvadoriennes et des chercheurs de ce pays pour bénéficier de leurs expériences et échanger entre pairs sur le droit aux semences.

Dans les années qui viennent, le CFSI va poursuivre ce programme. Il souhaite essaimer et élargir le cercle pluri-acteurs du « Coopérer autrement en acteurs de changement ». Si l’Agence française de développement reconnaît la coopération de territoire à territoire et encourage les partenariats pluri-acteurs, il faut encore convaincre d’autres bailleurs publics mais aussi privés, Fondations ou entreprises pour faire évoluer les stratégies de financement.

Il ne s’agit plus d’appuyer le transfert de connaissances mais l’apprentissage collectif qui conduit à s’inspirer de ce qui se fait ailleurs pour s’enrichir ici. Ainsi, nous pourrons tous « faire ensemble les ODD ».

  • 1Le programme Coopérer autrement en acteurs de changement est cofinancé par l’Agence française de développement. Il a également bénéficié du soutien financier de la Fondation Abbé Pierre de 2014 à 2018.
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