Enjeux sociétaux

Le défi de ne laisser personne de côté émane des plus pauvres

Tribune Fonda N°252 - L'inclusion comme horizon - Décembre 2021
Geneviève Defraigne Tardieu
Geneviève Defraigne Tardieu
Et ATD Quart-Monde
Les Objectifs de développement durable sont porteurs d’un mot d’ordre ambitieux : « ne laisser personne de côté ». Il rappelle la nécessité de tenir compte de la situation des plus exclus et de formuler des propositions et actions en partant de leur point de vue et en tenant compte de leurs expériences. Le mode d’action qui en découle appelle à une nécessaire prise en compte conjointe des questions sociales et environnementales.
Le défi de ne laisser personne de côté émane des plus pauvres
Elyx ambassadeur numérique des Nations unies dans la roue des Objectifs de développement durable © YAK / Fondation Elyx

« Ne laisser personne de côté » n’est pas un mot d’ordre ordinaire. Bien connaître son origine et son histoire est essentiel. Il s’agit d’une recommandation transversale inscrite dans le préambule de l’Agenda 2030 pour le développement durable, adopté par l’ensemble des États membres des Nations unies. Ils se sont ainsi dotés en 2015 d’un programme d’action pour les quinze années à venir.

Ce programme de développement, très exigeant, comprend cette recommandation, profondément transformatrice, qui s’applique à l’ensemble des 17 objectifs constitutifs du programme. Elle est même renforcée par une autre qui précise que « les plus défavorisés seront les premiers que nous nous efforcerons d’aider 1 ». La première de ces recommandations a fait florès, mais pas la deuxième.


La revendication d'un développement durable qui ne laisse personne de côté

Le mouvement international ATD Quart Monde a beaucoup œuvré, aux côtés d’autres ONG et partenaires, pour que cette recommandation soit incluse dans l’Agenda 2030. C’était un élément de son plaidoyer qui a porté ses fruits au-delà de toute espérance. Le plaidoyer international d’ATD Quart Monde a la particularité et la qualité essentielle de se fonder sur l’expérience vécue, la réflexion et les aspirations des personnes les plus pauvres à travers le monde. C’est ce positionnement qui assure sa pertinence et sa force.

Au cours de l’année 2015, des rencontres avec des membres du panel de haut niveau ayant lancé les travaux de l’Agenda 2030 ainsi que des rencontres informelles régulières avec des ambassadeurs, représentants des institutions de l’ONU et des ONG2 , ont permis d’intérioriser l’importance de cette recommandation afin de l’imposer dans le texte final de l’accord.

Comment sommes-nous arrivés à formuler cette recommandation ? Le précédent Agenda des objectifs du millénaire pour le Développement nous avait profondément déçus, ce qui nous a conduits à initier une recherche internationale pour évaluer le programme couvrant la période 2000-2015.

Un travail intense mené avec nos équipes à travers le monde et d’autres partenaires a permis de faire un tableau peu encourageant de l’extrême pauvreté dans le monde, mais également des recommandations pour la combattre. Les résultats ont été publiés en 2014 dans un ouvrage intitulé Pour un développement durable qui ne laisse personne de côté : le défi de l’après 2015 3 .

Cette évaluation menée par les personnes qui vivent la pauvreté a permis de montrer qu’il était absolument intolérable que les objectifs du millénaire pour le développement aient pour cible de sortir de la pauvreté à l’horizon 2015 50% de la population qui y est plongée.

Si cette cible pouvait sembler raisonnable du point de vue des gestionnaires, elle est en fait totalement contre-productive. Elle a bien entendu conduit à ce que les programmes de développement ne prennent en compte que les personnes les plus proches du seuil de pauvreté et de ce fait à encore renforcer l’exclusion qui frappait déjà les plus pauvres.

Pire encore, les programmes de développement réalisés sans la participation des plus pauvres ont un effet dévastateur sur les régions, quartiers et communautés. L’inaccessibilité des écoles, des soins de santé, des services d’assainissement ou de transport aux plus pauvres divise les communautés et désespère encore un peu plus ceux qui devraient bénéficier d’un soutien inconditionnel de la communauté internationale.

C’est ainsi que nous avons élaboré cet élément de langage, « ne laisser personne de côté ».

C’est la traduction politique de la démarche fondamentale d’ATD Quart Monde consistant à refuser et à lutter contre l’exclusion. Et cette démarche ne peut aboutir que si elle démarre à partir des plus exclus.


Relier les problématiques à partir des plus exclus

Il est heureux que cette recommandation de « ne laisser personne de côté » suscite de l’intérêt, mais la vraie question est de savoir comment elle est comprise et appliquée. Malheureusement, elle l’est souvent de façon partielle ou catégorielle ; or, ce n’est absolument pas l’esprit.

Elle doit vraiment être comprise globalement et assortie de la recommandation oubliée par tous : commencer par ceux qui sont les plus exclus.

Lors de la participation d’ATD Quart Monde à l’élaboration de la feuille de route pour la mise en œuvre des Objectifs de développement durable en France, les représentants des ministères ont été très surpris que nous nous mobilisions, non seulement pour l’Objectif numéro 1, concernant la pauvreté, mais aussi pour tous les autres objectifs concernant la santé, l’éducation, l’égalité, le genre, l’environnement et le climat, la participation, etc.

En effet, c’est si, et seulement si, chacun des objectifs ne laisse réellement personne de côté, qu’il contribuera au premier des objectifs : « éliminer la pauvreté sous toutes ses formes et partout dans le monde». Nous avons réussi à nous faire comprendre, mais les différents ministères concernés n’ont pas reçu le feu vert politique pour s’engager sur ce chemin.

De la même façon, la nouvelle loi de programmation pour le développement solidaire et la lutte contre les inégalités mondiales4 , adoptée en France en août 2021, ne contient pas cette recommandation transversale de ne laisser personne de côté.

Le refus d’appréhender la situation du monde dans sa globalité et en considérant les situations les plus aiguës mène à l’impasse. La question de la lutte contre le réchauffement climatique est un nouvel exemple dramatique.

Alors qu’il est flagrant que les effets du changement climatique touchent en particulier les plus pauvres et que la pauvreté les empêche de s’en préserver, aucune politique n’envisage de s’attaquer de front et de façon intégrée à ces deux questions. Tout le monde reconnaît que les plus pauvres sont les moins responsables du changement climatique, car leur empreinte carbone est très faible, mais personne n’agit en conséquence. À l’occasion de la COP26, nous proposons des réponses intégrées5 .

N’oublions pas que c’est l’expérience et la réflexion des plus pauvres qui doivent recentrer nos actions pour un monde plus juste et solidaire, il en va désormais de sa survie.

  • 1Résolution adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 25 septembre 2015.
  • 2ATD Fourth World, « Leaving No One Behind », Stories of Change, 18 Juin 2017 [en ligne].
  • 3Mouvement international ATD Quart Monde, Pour un développement durable qui ne laisse personne de côté : le défi de l’après-2015, 2014.
  • 4Loi n° 2021-1031 du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, JORF n°0180 du 5 août 2021.
  • 5UNSDN, « COP26 : Climate Action Must Include Eradicating Extreme Poverty », 7 Octobre 2021 [en ligne].
Analyses et recherches