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Le pouvoir d’agir des citoyens

Tribune Fonda N°232 - Démocratie contributive : une renaissance citoyenne - Décembre 2016
Guillaume Coti
Guillaume Coti
« Que nous vaut la liberté sans le pouvoir d’agir ? C’est une belle lampe magique dont la lumière, le secret nous est inconnu. » Jean Tréteau. Analyse et mis en parallèle de différentes expérimentation promouvant le pouvoir d'agir des citoyens.
Le pouvoir d’agir des citoyens
Photographie de Josue Isai Ramos Figueroa

Depuis plusieurs décennies, les dispositifs participatifs se multiplient en France afin de répondre au défi posé par la désaffection progressive des citoyens vis-à-vis de leurs représentants et du système politique électoral. On peut a priori penser que ces politiques participatives recèlent une dynamique d’enrichissement démocratique.

Nous pouvons cependant aussi identifier des écueils importants et répétés dans ces démarches qui cherchent parfois à « tirer le meilleur parti possible des gens au profit d’une entreprise dont les finalités ne sont pas de leur ressort » , et sur laquelle ils n’ont aucune influence réelle ou déterminante. Ces récurrences témoignent souvent des difficultés importantes que connaissent la classe politique élue et l’administration à partager réellement le pouvoir d’analyse, d’élaboration et de décision avec les citoyens.

On a cherché à pallier les manques de la démocratie représentative par le développement de démarches dites de « démocratie participative ». Mais leur relatif échec à élargir véritablement l’espace politique à une plus grande proportion de personnes n’est pas en lui-même une mauvaise nouvelle… s’il permet aux acteurs associatifs et institutionnels de questionner leurs pratiques et les finalités qui les sous-tendent !

Il témoigne par l’exemple qu’une politique mise en place pour agir sur le court-terme sans possibilité réelle de modifier les rapports de domination et de répartition du pouvoir d’agir entre les catégories sociales, ne saurait suffire à circonvenir les effets d’une crise politique et sociale qui frappe comme une lame de fond.

 

Les écueils à éviter


Voici (au moins) sept bonnes raisons pour lesquelles, une instance dont le but est a priori d’élargir l’espace politique et démocratique à toutes et tous, peut échouer :

  • lorsque les personnes et leurs organisations n’ont pas le choix des sujets traités (pas de réel recueil des préoccupations et aspirations, sujets imposés…) ;
  • lorsque l’information sensément publique ne circule pas (opacité sur les enjeux, les issues possibles, les déterminants de la situation par ex.) ;
  • lorsque les personnes et leurs organisations n’ont pas de pouvoir de décision (les décisions importantes sont prises en amont, simple consultation, verticalité des processus décisionnels…) ;
  • lorsque les personnes et leurs organisations n’ont pas de possibilité d’action ou de co-construction (on se limite à des réunions, pas d’action autre que de convivialité…) ;
  • lorsque les formes sont peu propices au développement de l’intelligence collective (plénières uniquement, parole aux animateurs et aux intervenants ou « experts » principalement, pas de groupes en amont pour préparer…) ;
  • lorsque la possibilité du conflit est niée ou occultée (fertiliser les désaccords demande du temps mais c’est un investissement, les nier détruit le groupe) ;
  • lorsque les collectifs ne sont pas pris en compte et légitimés en tant que tels (collectifs informels, communautés d’intérêt ou de territoire, par ex. groupes ponctuels d’habitants ou de travailleurs).


Dans la majorité des cas, les politiques publiques sont élaborées selon un schéma descendant qui n’associe pas ou peu la population concernée. L’offre de participation institutionnelle est minime et timorée là où il faudrait une véritable révolution démocratique ! Et cette offre participative n’est pas non plus en relation avec la demande de participation citoyenne ascendante.

Il s’invente pourtant, dans nombre de collectifs, d’associations, de groupes de personnes et d’organisations militantes, une nouvelle idée de ce que pourrait être la vie sociale, culturelle, économique et politique. L’idée d’une société en émergence basée sur la contribution égale de tou-te-s, sur le pouvoir d’agir des personnes, et sur une « économie des communs » au détriment des logiques actuelles basées sur le profit maximum et une vision à très court-terme de l’humanité. Ces logiques restent minoritaires, elles sont expérimentées à la marge, mais elles créent des brèches dans la cuirasse d’un système qu’on avait fini par penser inamovible. Elles ouvrent l’imaginaire collectif des personnes et leur permettent de retrouver courage et dignité en transformant des situations d’impuissance en défis à relever, en luttes à mener.

 

Croisement d’expériences


C’est sur la base de ce type de réflexions que s’est créé le « programme de croisement d’expériences » du collectif Pouvoir d’agir en 2014. Cette « action-recherche » réunit depuis bientôt trois ans, six groupes de militants et de professionnels agissant sur des sites différents en France. Ces initiatives ont toutes en commun de chercher à soutenir ou à rassembler des personnes dans la mise en œuvre d’actions visant à faire face aux situations problématiques qu’elles rencontrent, à en identifier les causes et les responsabilités et à interpeller les institutions et les décideurs publics et privés lorsque cela se révèle nécessaire.

 

Quelques exemples


À titre d’exemple, dans le quartier de la Coudraie à Poissy, c’est une opération de démolition d’un ensemble de logements sociaux qui a pu être évitée grâce à l’action d’un collectif d’habitants déterminé à refuser la fatalité et à proposer un autre projet pour le quartier. Ce combat a commencé en 2006 et se poursuit encore aujourd’hui, mais de nombreuses victoires ont déjà pu être obtenues par les habitants : projet de réhabilitation de la cité, constructions en accession sociale à la propriété, nouveaux logements avec priorité à la décohabitation pour les jeunes majeurs, maintien de l’école primaire du quartier…

Au-delà de sa forte détermination et de la présence en son sein de quelques « meneurs » très investis, ce collectif a aussi réussi à trouver des ressources extérieures pour le soutenir dans sa démarche. L’un des leaders de ce collectif a notamment été avec des chercheurs et des professionnels de l’urbanisme et de l’architecture, l’un des fondateurs du groupe « Alternatives pour des projets urbains ici et à l’international » (Appuii). Les membres de ce groupe ont soutenu la lutte des habitants en leur apportant une expertise et des savoirs techniques nécessaires à l’élaboration de contre-propositions face à la volonté de démolition du bailleur et de la mairie.

Cette alliance durable entre habitants et acteurs extérieurs a permis la mise en œuvre d’une stratégie au sein de laquelle les savoirs d’usage et les savoirs académiques ont pu devenir complémentaires. De cette synergie est née la force de continuer la lutte et les moyens de transformer véritablement la réalité et la vie de ce quartier.


À Grenoble c’est une « Alliance citoyenne » composée d’habitants de l’agglomération. Elle cherche à construire un pouvoir citoyen via un processus émancipateur basé sur la mise en lien des personnes et leur organisation collective en fonction de leurs intérêts communs et réciproques. Ce travail d’organisation permet la mise en œuvre de réflexions collectives et d’actions portées par les citoyens. L’objectif est d’interpeller collectivement les responsables publics ou privés qui ont prise sur les situations vécues par les habitants, afin de parvenir à des négociations.

Les membres de l’Alliance, au nombre de quatre cents à Grenoble, sont des personnes en situation parfois précaire et concernées par des questions de logement, de santé, d’éducation, d’emploi ou encore d’accès aux droits. Ils administrent eux-mêmes leur organisation et emploient des salariés chargés d’organiser les campagnes avec eux, de gérer des tâches opérationnelles spécifiques et de mobiliser de nouveaux habitants.


À Poitiers, c’est un centre social qui accompagne les habitants dans la mise en œuvre de réflexions et d’actions, en formant des groupes d’intérêt collectif sur des thèmes qui les touchent. Les salariés du centre social vont à la rencontre des personnes dans le quartier et recueillent leurs préoccupations et leurs envies. Ils les recontactent ensuite pour leur proposer de continuer à échanger sur ces questions avec d’autres habitants et d’agir ensemble pour y apporter des réponses.

Le centre social a notamment soutenu l’émergence d’un centre de santé curative, préventive et communautaire – l’Espoir – entièrement pensé, décidé et administré par des habitants du quartier des Trois cités. Une dizaine d’autres groupes existent aujourd’hui sur des sujets aussi divers que le logement, le transport, l’emploi, l’éducation…


Dans chacun des trois cas évoqués, ces groupes cherchent d’abord à analyser la réalité, à mutualiser les expériences et les savoirs et à trouver des moyens de transformer les situations « telles qu’elles sont » en « ce qu’elles devraient être » de leur point de vue de personnes concernées. Il s’agira souvent d’identifier les responsables qui ont des moyens d’agir sur les situations problématiques et de les interpeller afin de pouvoir entrer en négociation avec eux et formuler des demandes et des propositions. En s’appuyant sur la création d’un capital social et relationnel et des méthodes originales d’organisation, l’idée est de favoriser l’action des personnes en leur permettant d’échanger, de produire collectivement et de co-construire avec leurs alliés et complices, des actions à visées émancipatrices.

Toutes ces démarches sont des façons de « prendre part » et d’appartenir, d’être ce citoyen actif dont nous parlions en préambule ! Mais comme on dénie le plus souvent à la participation citoyenne ascendante le droit de s’exprimer dans les cadres institués, ces démarches doivent souvent aussi s’appuyer sur la création de rapports de forces avec les institutions ou avec le marché. Elles empruntent aux mobilisations anglo-saxonnes pour les droits des minorités leurs stratégies et leurs concepts et renouvellent dès aujourd’hui nos conceptions du dialogue entre société et institutions.

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