Engagement

Le volontariat international : un apprentissage ?

Tribune Fonda N°234 - L’engagement associatif, source d’apprentissages - Juin 2017
Céline Leroux
Céline Leroux
Pour les jeunes adultes réalisant un volontariat solidaire à l’international , l’intention d’apprendre ne s’exprime pas au travers de la volonté de faire une formation mais au travers de l’expérience en tant que telle : acquérir une expérience professionnelle, rencontrer un autre issu de cultures différentes, se tester, sont quelques-unes des motivations que revêt cette expérience.

Dans le même temps, les associations de volontariat, et plus spécifiquement celles se revendiquant de l’éducation populaire, affichent et revendiquent les dimensions formatives du volontariat. Quels sont ces apprentissages ? Comment les anciens volontaires peuvent-ils les valoriser dans la suite de leur parcours professionnel en France ? À partir des résultats d’enquêtes empiriques menées entre 2011 et 2013, nous tenterons de répondre à ces questions .

Selon leur situation, cette expérience s’inscrit différemment dans leurs parcours, soit pendant ou à l’issue de leur cursus scolaire, soit dans une période d’insertion professionnelle et dans les premières années d’activité professionnelle. De ce fait, la question de la reconnaissance et de la valorisation du volontariat représente, pour les volontaires, un enjeu particulièrement important en vue d’articuler cette expérience à la suite de leurs parcours.

Dans un premier temps, l’article développera les apprentissages acquis à travers un volontariat du point de vue d’anciens volontaires. Dans un deuxième temps, nous verrons que l’articulation et la réappropriation de ces apprentissages s’avèrent inégalement valorisées dans la suite de leur parcours professionnel en France.
 

Méthodologie

Pour appréhender les apprentissages acquis et l’articulation du volontariat dans les parcours, des enquêtes rétrospectives ont été menées en 2011 et 2012 avec d’anciens volontaires âgés de moins de trente-cinq ans au moment de la recherche et dont la mission de volontariat d’une durée de neuf mois à quatre ans s’était achevée depuis plus d’un an et moins de cinq ans. L’enquête quantitative réalisée en 2011 a permis d’avoir des données inédites sur les trajectoires des volontaires puisqu’aucune donnée n’existait en la matière, avec un échantillon de quatre-cent-quarante-huit anciens volontaires résidant en France. Les questions portaient tant sur le passé (avant et pendant le volontariat) que sur la situation professionnelle et personnelle actuelle, et sur les perspectives futures envisagées par les individus.

Les méthodes qualitatives ont permis de s’attacher à la subjectivité des individus en tentant de comprendre les mécanismes en jeu dans les processus d’apprentissage et de choix dans les parcours professionnels. Pour cela, trente-trois entretiens semi-directifs ont été menés en 2012 avec d’anciens volontaires dont la mission s’était achevée depuis plus d’un an et moins de cinq ans, et trois entretiens collectifs ont été réalisés avec des volontaires dont la mission s’était achevée depuis moins de six mois.
 

Les apprentissages acquis grâce à l’expérience de volontariat

L’étude des parcours professionnels de jeunes adultes après un volontariat international est une méthode pertinente pour appréhender les apprentissages acquis et comprendre les manières dont les individus se réapproprient ces apprentissages. Il en ressort que les apprentissages sont forts, en particulier en termes de compétences transversales. L’enquête quantitative montre qu’a posteriori la majorité des volontaires considèrent non seulement avoir acquis des compétences mais aussi les mobiliser dans leur emploi actuel (82,2 %).

À partir d’une question ouverte leur demandant d’expliquer les deux raisons principales justifiant cette mobilisation, six items ressortent :

  • l’échange et l’ouverture à l’interculturel, dimensions au fondement d’un volontariat international, sont cités par 28,6 % des anciens volontaires ;
  • l’adaptabilité, la flexibilité et la prise d’initiative sont citées par 16,9 % des anciens volontaires ;
  • la gestion de projet, principale modalité d’intervention dans le secteur de l’aide au développement, est citée par 10 % des anciens volontaires ;
  • la prise de recul, la patience, compétences correspondant plus spécifiquement à la situation d’étranger des volontaires, sont citées par 9,6 % des jeunes adultes ;
  • des compétences techniques sont acquises par 4,5 % des jeunes adultes ;
  • enfin, la continuité avec l’emploi actuel. Ici, les individus considèrent que la mobilisation des apprentissages du volontariat se justifie en raison d’une continuité entre leur mission et leur emploi actuel, en particulier dans des secteurs d’activités proches. Cet item est cité par 21,6 % des jeunes adultes.

Mais l’un des effets les plus probants de l’expérience de volontariat international porte sur le sentiment d’efficacité personnelle développé par les individus. Pour Alberto Bandura, le sentiment d’efficacité personnelle peut se définir comme « le jugement que porte une personne sur sa capacité d’organiser et d’utiliser les différentes activités inhérentes à la réalisation d’une tâche à exécuter »5 et selon Jacques Lecomte, ce sentiment a des répercussions importantes dans « le domaine cognitif et scolaire, dans la santé physique et mentale, dans le sport, dans l’organisation, ou encore dans le militantisme et l’action collective » .

Les volontaires ressentent en premier lieu un sentiment de fierté et d’utilité à partir de réalisations tangibles : « Ça m’a permis au moins de me rendre compte que j’étais capable de plein de choses ! Au début, peut-être je me dévalorisais un petit peu ou je me disais je n’y arriverai pas forcément, même au niveau technique, pour mettre en place un réseau informatique sur l’ensemble des deux bibliothèques. C’était assez gratifiant de voir que j’avais réussi, que ça marchait, que ça continue à marcher aujourd’hui » (Pierre, 29 ans, volontaire en Algérie, 2005-2007).

De plus, le sentiment d’efficacité personnelle peut être lié à la sensation d’avoir relevé un défi personnel en vivant cette expérience. La ténacité exprimée par certains volontaires pour ne pas quitter leur mission malgré des événements marquants (agressions physiques, menaces, conflits, vols, etc.) confirme l’enjeu personnel associé à cette expérience : « Jamais je me suis dit “je vais partir“ ou “je n’en peux plus“ ou “ils me font chier“. Jamais je n’ai hésité à me lever le matin parce que je pense que dans les bas quartiers, les bidonvilles, soit on se dit : “ok, c’est dur mais on se relève les manches et le peu qu’on fera, ce sera toujours ça“, soit on part en courant » (Marie, 35 ans, volontaire à Madagascar, 2003-2005). Se tester et avoir le sentiment de réussir, prendre ou reprendre confiance en soi, sont ainsi des acquis communs à l’expérience de volontariat.
 

Une expérience inégalement valorisée dans la société française

Malgré la création du volontariat en service civique en 2010 qui a permis une plus grande communication auprès du grand public sur le volontariat, sa valorisation, c’est-à-dire la valeur que les différents acteurs économiques, de l’éducation, etc., lui attribuent au sein de la société française reste un enjeu. En effet, si le premier élément de reconnaissance porte sur la manière dont les jeunes adultes se réapproprient cette expérience, elle dépend aussi des mesures mises en place par les institutions pour faciliter cette reconnaissance, et du regard des employeurs sur cette expérience.

Dans le cas d’un volontariat international, le défi est double car il porte à la fois sur la condition d’expatrié et sur la valorisation de l’expérience apprenante en tant que telle.

Durant les premiers mois, les volontaires vont ainsi devoir réapprendre à communiquer avec leur famille et leurs amis. Les difficultés portent également sur les démarches d’ordre administratif et matériel à mener pour se réinsérer dans une vie sociale et professionnelle. Au niveau professionnel, cette période est propice aux reconversions professionnelles pour faire correspondre leurs aspirations professionnelles actuelles à la suite de leur parcours : « Je me retrouve dans l’enseignement supérieur, avec peut-être un doctorat, ce n’était pas du tout des choses que j’envisageais avant. Donc c’était un peu un tremplin, une ouverture vers plein de choses, je me réalise dans plein de choses. » (Anaïs, 30 ans, volontaire en Haïti, 2006-2008). Au retour, elle peut également susciter une volonté d’ascension professionnelle qui passe par une reprise de formation qualifiante.

Néanmoins, pour les jeunes adultes dont le volontariat s’inscrit dans une logique de placement professionnel, le volontariat n’apparaît pas comme un accélérateur d’insertion professionnelle. Cette expérience à l’étranger place les individus en dehors du marché de l’emploi et l’une des conséquences après le retour est l’accès à des premiers emplois déqualifiés : « Donc petit boulot, trois quart temps, il faut quand même savoir que tu redémarres en bas d’un truc. Et après, tu te fais du réseau, mais dans le secteur d’activités dans lequel je cherchais, même s’il y avait des passerelles directes, au niveau des contenus et du métier, tu es embauché sur des petits boulots, un peu précaires. En fait, c’était un poste, moi j’étais au 4/5 et j’étais payé 1 200 euros nets, et voilà quoi. J’étais évidemment plus riche avec mes indemnités de volontaire... Et puis, après tu progresses dans ton réseau. » (Yann, 35 ans, volontaire au Togo, 2003-2005).

De la même manière, l’entrée dans l’emploi est progressive, puisque le taux d’emploi passe de 69,9 % entre un et deux ans après le retour à 85,5 % entre deux et cinq ans, le taux de recherche d’emploi étant respectivement de 15,4 % et 6,4 %. Dans les premiers mois après l’achèvement du volontariat, le sentiment d’efficacité personnelle développé lors de la mission peut alors être profondément affecté par les difficultés à trouver un emploi et par des premiers emplois déqualifiés.

Enfin, le volontariat ne peut gommer les inégalités d’accès à l’emploi liées au niveau de formation. Ainsi, que ce soit dans le cas de reconversion professionnelle ou d’une recherche d’emploi, le volontariat joue peu auprès d’employeurs potentiels s’il n’y a pas de concordance avec le diplôme censé sanctionner à leurs yeux le niveau de compétences recherché.
 

Conclusion

De nombreuses compétences sont a posteriori évoquées par les anciens volontaires et mobilisées dans la suite de leur parcours professionnel. Le sentiment d’efficacité personnelle se trouve renforcé et se décline dans différentes sphères. Il peut être plus particulièrement associé à la réussite d’activités, il permet également d’accentuer confiance et estime de soi à travers le défi personnel relevé en vivant cette expérience.

L’expérience de volontariat réalisée par des jeunes adultes nécessite en outre d’être mise en perspective avec la réalité sociale dans laquelle elle s’inscrit. En effet, la valorisation des apprentissages expérientiels, ici étudiée à travers le volontariat international, passe par un double processus : la reconnaissance que les jeunes adultes peuvent faire eux-mêmes de ces apprentissages, et la reconnaissance par la société, que ce soit dans la sphère sociale ou professionnelle.

La reconnaissance par la société concerne trois domaines particuliers : la protection sociale et l’acquisition de droits à retraite, la valorisation dans un cursus de formation ou pour la délivrance d’un diplôme, enfin la facilitation de l’insertion professionnelle du volontaire. À ce titre, certaines avancées sont à noter ces dernières années. En 2015, une circulaire organise le maintien des droits de l’étudiant pendant et à l’issue d’une période de césure, notamment sa réintégration dans un parcours de formation dans l’enseignement supérieur, dans son établissement d’origine ou dans un autre établissement .

La création du service civique en 2010 et les campagnes de communication en la matière ont permis une meilleure connaissance de cette forme d’apprentissage par l’expérience. Néanmoins, dans une société où l’ascension – ou la sanction – professionnelles restent marquée par la valeur du diplôme, leurs expériences sont inégalement valorisables sur le marché de l’emploi.

Analyses et recherches
Analyse