Associations et démocratie

Lecture : Capital et idéologie de Thomas Piketty

Tribune Fonda N°254 - Tiers-lieux : fabrique de société - Juin 2022
Éric Picou 
Éric Picou 
Thomas Piketty poursuit, après Le Capital au XXIe siècle, son exploration des inégalités avec un nouvel ouvrage Capital et Idéologie. Il y répond, par un travail tant historique qu’économique, aux critiques formulées à l’égard de son précédent livre, en élargissant le périmètre géographique et temporel de son analyse et nourrit la thèse que « toute inégalité est d’abord une construction idéologique ».
Lecture : Capital et idéologie de Thomas Piketty
Capital et idéologie de Thomas Piketty

L’ouvrage est divisé en quatre parties. Les trois premières dépeignent les sociétés ou régimes inégalitaires qui ont existé en Europe, mais aussi en Inde, dans l’Afrique coloniale, l’Amérique esclavagiste ou en Chine. La quatrième, plus prospective et politique, propose des pistes de réflexion pour un « nouveau socialisme participatif ».

Des sociétés ternaires aux propriétaristes 

Le premier régime de sociétés, qualifiées de « ternaires » était composé d’un clergé — pour les missions spirituelles, sociales et éducatives — de guerriers — pour le maintien de l’ordre — et d’un tiers état, au service des deux premiers.

Cet échange de services assurait un équilibre entre les trois ordres. En France, ce régime se prolonge jusqu’à la veille de la Révolution et conserve un caractère très inégalitaire.

Ainsi, en 1780, les 1% les plus riches possédaient 50% des propriétés alors que les 50% les plus pauvres en possédaient à peine 3% !

La Révolution française bousculera cet ordre, transférant les pouvoirs régaliens d’une élite nobiliaire vers un État centralisé.

Cependant, l’absence de réforme agraire et d’un impôt progressif maintiendra les inégalités à un fort niveau dans une société devenue « propriétariste ».

Dans la deuxième partie, Piketty décrit largement deux sociétés «extrêmement» inégalitaires : les sociétés coloniales et les sociétés esclavagistes. Dans le cas de celles-ci, on notera les débats qui ont animé les abolitionnistes sur le thème des dédommagements à apporter aux… propriétaires d’esclaves !

Le retour des sociétés propriétaristes

La troisième partie est consacrée aux sociétés communistes et sociales-démocrates. Ces dernières succéderont aux sociétés «propriétaristes» entre 1920 et 1980.

Guerres, révolutions, mais aussi un corpus idéologique dénonçant l’extrême inégalité des régimes « propriétaristes » contribueront à mettre fin à ceux-ci et verront, entre 1920 et le début des années 1980, la domination — dans le monde occidental — des sociétés sociales-démocrates.

Chute du communisme, absence de réponse idéologique de la gauche aux propositions néolibérales et attirance croissante pour un discours méritocratique sonneront le glas des sociétés sociales-démocrates. Ce sera le retour des sociétés « propriétaristes » sous leur forme de l’hypercapitalisme inégalitaire.

Comment sortir de l'hypercapitalisme ?

La quatrième partie nous propose des pistes pour sortir de l’hypercapitalisme. Le « nouveau socialisme participatif » repose sur deux piliers principaux : la généralisation de la cogestion au sein de l’entreprise et, plus novatrice, la création d’un impôt sur les successions de 90 % qui serait redistribué pour permettre à chaque jeune de disposer d’un capital de 120 000 € et casser le cycle d’accumulation du capital.

Piketty parle souvent de « bifurcations », ces moments où l’histoire, en partie mue par les ferments puissants de l’idéologie, a pris ou aurait pu prendre une autre trajectoire. Son « nouveau socialisme participatif » intègre peut-être ces ferments, qui mettront fin à l’hypercapitalisme.

Thomas Piketty, Capitalisme et idéologie , édition Seuil, 2019, 1198 pages.

Fiche de lecture