Engagement

Les bénévoles, mémoire vive des festivals

Tribune Fonda N°256 - Les associations, garantes de nos droits culturels - Décembre 2022
Stéphanie Havet-Laurent
Stéphanie Havet-Laurent
Et Vincent Salaun
La France compte plus de 6 000 festivals musicaux répartis sur l’ensemble du territoire. Le plus souvent constitués en association, ils reposent significativement sur des bénévoles pour fonctionner. Pour un événement comme les Vieilles charrues, ce sont plus de 7 000 bénévoles qui sont mobilisés pour accueillir quelque 300 000 participants. Pourquoi ces bénévoles sont-ils si importants ? En partie parce que leur contribution est indispensable au modèle économique des festivals, mais pas exclusivement. Selon les dernières recherches sur le sujet, les bénévoles sont la mémoire vive des festivals. Ils contribuent grandement à la persistance de leur identité dans le temps.
Les bénévoles, mémoire vive des festivals
Un bénévole de la protection civile lors d’un concert des Solidays en juin 2022 © Mat Napo

Qu'est-ce que l'identité d'une organisation ?

L’identité d’une organisation répond à la question « Qui sommes-nous en tant qu’organisation ? »1 . Si la question est simple, la réponse est plus complexe.

L’identité d’une organisation est composée des caractéristiques centrales, distinctives et durables.

Elle est faite de pratiques, d’interrelations et de croyances fondamentales.

  • Les pratiques sont liées à la manière de faire les choses : comment accueillir le public ou comment aménager l’espace par exemple.
  • Les interrelations sont mises en place sur le temps long grâce à un réseau de partenaires, patiemment construit. Pour la plupart, elles reviennent d’année en année.
  • Les croyances sont des éléments fondamentaux en lien avec les valeurs de l’organisation, avec sa raison d’être : faire vivre un territoire, donner vie à un espace de partage intergénérationnel, créer un temps festif par exemple.

Pour qu’un festival perdure d’année en année, il faut que le public le reconnaisse d’une édition à l’autre et donc que son identité ait une certaine stabilité2 .

Garder le contact avec les bénévoles entre deux éditions du festival : une nécessité !

À la différence d’événements qui ont lieu tout au long de l’année, comme les saisons musicales par exemple, la plupart des festivals n’ont lieu qu’une fois par an. C’est bien là le défi spécifique des festivals : l’alternance de périodes d’activité très intenses, avec la présence d’artistes, de spectateurs, de bénévoles, de fournisseurs, et de périodes plus calmes, à distance de l’événement.

C’est justement pendant ces périodes de calme que tout se joue... Les organisateurs de festivals proposent à leurs bénévoles un certain nombre d’événements qui permettent aux personnes de se retrouver et de garder un lien avec l’organisation : repas de remerciement des bénévoles, courriels annonçant le programme en avant- première, ou encore réunion d’accueil des nouveaux volontaires.

Ainsi, d’année en année, les valeurs de l’organisation se transmettent et se diffusent, entre bénévoles, mais aussi entre salariés et bénévoles. Comme l’évoquait récemment un organisateur : « le festival ce n’est pas seulement 3 jours par an, c’est toute l’année, c’est les relations avec les associations, avec les partenaires, avec les institutions. On se rencontre régulièrement pour parler du festival ou d’autre chose »3 .

Des pratiques bénévoles nécessaires au maintien identitaire du festival

Conserver le lien avec les bénévoles n’est pas simplement une volonté politique ou une démarche de remerciement, mais un enjeu critique pour nos événements culturels. En effet, les bénévoles apparaissent comme les réceptacles de nombreuses pratiques mises en œuvre : ils développent de véritables connaissances tacites dans la réalisation des tâches qu’ils exécutent d’année en année.

Lors d’une étude longitudinale4 réalisée dans un grand événement de l’ouest de la France, il est apparu que des équipes de bénévoles participant au même festival durant près de 5 ans développent des expertises dans le traitement de déchets ou dans l’optimisation des collectes.

Les outils et méthodes développés par ces équipes ne sont pas connus de manière directe par les superviseurs (eux aussi bénévoles), mais sont maîtrisés uniquement par les bénévoles eux-mêmes. Ces derniers sont alors le lien qui unit les éditions d’un événement, mais aussi sa mémoire vive et fonctionnelle qui lui permet chaque année de reproduire ce cadre propice aux rencontres et à la fête que recherchent les festivaliers.

Les bénévoles sont la mémoire vive et fonctionnelle d'un événement qui lui permet chaque année de reproduire un cadre propice aux rencontres et à la fête.

L'engagement bénévole, un droit culturel à part entière

Si le bénévole est au cœur des festivals musicaux, le considérer comme une simple « petite main » qui agit dans l’ombre pour produire un moment « hors du temps » pour reprendre l’expression de Luc Benito5 serait fortement réducteur.

En agissant pour le bon fonctionnement du festival, le bénévole est aussi un participant à part entière de l’expérience festivalière : il construit et vit le festival en même temps.

L’expérience du bénévolat ne se résume pas, bien heureusement, à nettoyer des toilettes, servir des boissons ou ranger des voitures, c’est aussi vivre une expérience humaine différemment.

Sur ce point, il est intéressant de constater que depuis longtemps bon nombre de festivals français ont fait le choix de comptabiliser parmi leurs participants leurs bénévoles. Le bénévole est alors un festivalier comme les autres, avec un petit plus : il donne « un coup de main » pour faire apparaître une expérience globale partagée par tous.

Être bénévole dans un festival, c’est contribuer à sa pérennité dans le temps, rendre possible sa réalisation, mais c’est aussi exercer un droit culturel fondamental. C’est être acteur de la culture et de son rayonnement sur le territoire.

Dans nos petits et grands événements musicaux, qui font la force et la spécificité culturelle française, les bénévoles sont ces clés indispensables au bon fonctionnement des festivals tout en étant des participants à part entière qui rendent possible une décentralisation de la culture.

Sans les bénévoles des Vieilles Charrues, qui aurait pu voir un concert de Bruce Springsteen dans le centre Bretagne ? Sans les bénévoles du Cabaret Vert, qui aurait eu accès à un concert des Pixies dans les Ardennes ? Et que dire des bénévoles d’Europavox qui ont permis au public auvergnat d’assister au concert de Franz Ferdinand ?

Le bénévole est à la fois participant, acteur, producteur, réalisateur des festivals, mais il est avant tout un acteur d’une politique culturelle décentralisée et la clé de voûte de la pérennité des événements de nos territoires.

  • 1Stuart Albert et David Whetten, « Organizational Identity », Research in Organizational Behavior, n° 7, 1985.
  • 2Stéphanie Havet-Laurent et Camille de Bovis, « À quoi servent les bénévoles ? Bénévolat et identité des associations du spectacle », dans Hervé Defalvard, Culture & économie sociale et solidaire, Presses universitaires de Grenoble, 2019.
  • 3Vincent Salaun, La pérennité des Organisations temporaires (OT) : Compréhension du rôle conjoint de la pulsation organisationnelle et de la logistique. - L’apport de l’étude des festivals musicaux, Thèse soutenue à Aix-Marseille Université, 2016.
  • 4Vincent Salaun, Ibid.
  • 5Luc Benito, Les Festivals en France : marchés, enjeux et alchimie, L’Harmattan, 2001.
Analyses et recherches