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Les pétitions en ligne : enjeux pour les associations

Tribune Fonda N°226 - Numérique : un nouveau pouvoir d’agir ? - Juin 2015
Benjamin des Gachons
Benjamin des Gachons
L’élan citoyen qui s’est exprimé le 11 janvier dernier en réponse aux attaques terroristes que nous avons vécues est sans précédent. Des millions de personnes sont descendues dans la rue ce jour-là tandis que, sur Internet, elles ont été très nombreuses à relayer et organiser cet élan, comme en témoigne le succès de l’image «Je suis Charlie». Cette vague de mobilisation positive montre en quoi Internet peut servir de relais et d’outil puissant d’engagement citoyen.

C’est ce que nous constatons sur la plateforme de pétitions en ligne Change.org lancée en France depuis mai 2012, qui compte plus de 4,7 millions d’utilisateurs dans l’Hexagone et 97 millions dans le monde. En réaction aux attentats, plus de 130 pétitions ont été lancées, rassemblant plus de 500 000 signatures. Moyen d’expression, la pétition en ligne permet de transformer son indignation en action, comme en témoignent les demandes relayées par ces pétitions : appel pour la réédition du dernier numéro (1 177) de Charlie Hebdo (plus de 200 000 signataires) « afin que chaque Français puisse l’acheter au moins une fois dans sa vie », pétition demandant à Ebay et Amazon de retirer les ventes de Charlie Hebdo à des prix exorbitants pour « mettre fin à ce commerce de la honte ».

De plus en plus souvent, la pétition génère du changement. C’est ce dont nous avons été témoins avec la naturalisation le mardi 20 janvier de Lassana Bathily, le jeune Malien musulman employé de l’Hyper Casher de la porte de Vincennes, qui a caché des clients pour les protéger du preneur d’otages. Elle a suivi une formidable mobilisation sur Change.org lancée par Thiaba Bruni, porte-parole du Conseil représentatif des associations noires de France (Cran). Sa pétition appelle le président François Hollande à accorder la nationalité française et la Légion d’honneur à Lassana Bathily : elle a dépassé en quelques jours 400 000 signatures. L’immense élan de solidarité ayant conduit à la naturalisation du jeune homme a contribué à faire connaître son histoire dans le monde entier. Pour beau- coup de signataires, il s’agissait à la fois de saluer le courage de Lassana et de souligner la portée symbolique de son geste de solidarité face aux risques de divisions et d’amalgames. La mobilisation continue, pour demander qu’il obtienne la Légion d’honneur.
 

La promotion d’une « démocratie positive »

Grâce à l’outil qu’est Internet, des associations comme le Cran s’appuient sur les citoyens pour imposer la « démocratie positive ». J’emprunte le terme au sociologue Gérard Mermet qui, dans son ouvrage Réinventer la France, se désole de l’état de crise de notre démocratie. Il appelle de ses vœux cette « démocratie positive », c’est-à-dire active, collaborative et permanente, dans laquelle les associations et les citoyens exerceraient un pouvoir de proposition et de délibération, où de nouveaux mécanismes de participation émergeraient dans une société devenue horizontale. Des campagnes comme celle pour Lassana Bathily, rendent cet objectif réalisable. Les nouvelles technologies et le développement de plateformes comme la nôtre permettent aux citoyens de s’engager et aux associations de renouveler leurs moyens de mobilisation, en faisant s’épanouir cette « démocratie positive ». Chacun peut utiliser le web pour faire entendre sa voix, créer des mouvements, dialoguer avec les décideurs et faire bouger la société, dans toutes les circonstances, même les plus tragiques.

Beaucoup d’associations utilisent les pétitions en ligne pour étendre leurs moyens d’action et toucher de nouveaux publics. Elles ont compris que les pratiques de l’engagement citoyen et de la démocratie sont en train d’évoluer : des réseaux de mobilisation citoyenne émergent alors que les partis politiques se vident de leurs militants. Des initiatives comme celles de l’association Regards citoyens bous- culent les députés et les sénateurs, en les poussant à rendre des comptes sur leur travail. De plus en plus d’individus saisissent le potentiel d’une société devenue horizontale et hyperconnectée grâce au numérique, pour s’engager dans la Cité, sans attendre qu’on le fasse pour eux. Ils témoignent, lancent des alertes, signa- lent leur adhésion à une cause et créent leur propre mouvement.

C’est ce qu’a fait Adrien Sergent, jeune entrepreneur web de 21 ans, qui a utilisé ces nouveaux leviers pour bousculer la politique au niveau national. Il est à l’origine du mouvement des Poussins auto-entrepreneurs, lancé sur Change.org en avril 2013 en réaction au projet du gouvernement de limiter le statut d’auto-entrepreneur dont bénéficient près d’un million de personnes en France. Au bout d’un an de mobilisation (141 000 signatures sur la pétition, mobilisation sur les réseaux sociaux, lobbying auprès des élus...), les Poussins ont non seulement stoppé le projet initial, mais aussi fait inclure leurs propositions pour améliorer ce statut dans la loi sur l’auto-entreprenariat adoptée en mai 2014 : comment passer de l’indignation à la proposition constructive, et comment créer son propre mouvement pour se faire entendre.

Face à la multiplication de ces mouvements horizontaux et de ces initiatives individuelles, certaines associations pourraient penser qu’elles sont en train de perdre du terrain. Au contraire, sur des plateformes comme Change.org, elles peuvent, chaque jour, toucher toujours plus de citoyens qui ont envie d’agir, qui découvrent l’engagement à travers les pétitions en ligne, et qui souhaitent à terme s’engager sur la durée à leurs côtés. Les équipes de Change.org sont là pour faire connaître à tous, gratuitement, les bonnes pratiques de la mobilisation citoyenne.

Dès qu’un individu, une association ou un collectif lance une pétition sur Change.org, il a accès à une série de conseils et guides en ligne qui vont l’aider à construire une véritable campagne de mobilisation en ligne à partir de la pétition. Par ailleurs, de plus en plus d’associations et d’ONG ont recours à notre service de campagnes sponsorisées leur permettant de promouvoir leurs propres campagnes auprès des utilisateurs de Change.org, des citoyens par définition actifs et engagés, qui seront leurs futurs donateurs, militants, adhérents ou sympathisants.
Change.org devient un formidable espace de contact, au service de beaucoup d’associations qui sont à la recherche de nouveaux publics et de nouveaux sou- tiens pour poursuivre et développer leurs actions. En trois ans, 700 000 sympathisants ont ainsi été mis en contact avec des dizaines d’associations et ONG françaises. Parmi elles, Peuples solidaires qui a mené campagne sur Change.org au lendemain de la catastrophe du Rana Plaza au Bangladesh et qui a obtenu en juin 2013 de la marque Camaïeu un fond d’indemnisation pour les victimes.

Enfin, si de plus en plus d’acteurs de la société civile viennent agir sur Change.org, c’est parce que les décideurs politiques et économiques, qui sont la cible de leur travail de lobbying et de plaidoyer, y sont aussi de plus en plus présents. Change.org a lancé une nouvelle fonctionnalité permettant aux responsables politiques et aux entreprises de créer leur profil sur notre plateforme pour recenser les pétitions qui les ciblent, y répondre publiquement et engager une conversation avec les signataires afin d’aboutir, ensemble, à des solutions.
 

Faire dialoguer citoyens et décideurs

Déjà plus de 300 « décideurs » dans le monde ont ainsi créé leur profil sur le site, parmi lesquels la maire de Paris Anne Hidalgo, l’entreprise Ikea, le maire de New York Bill de Blasio, le maire de Barcelone Xavier Trias, la ministre de l’Éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem ou encore l’entreprise Coca Cola en Espagne.

Nous sommes convaincus que cette nouvelle « démocratie positive » ne pourra pleinement fonctionner que si elle est inclusive, que si toutes les parties prenantes participent à la délibération en ligne, rendue possible par ces nouveaux outils de mobilisation. Il ne s’agit donc pas d’un simple renversement des rapports de forces dans lequel le pouvoir serait donné aux David que sont les citoyens et les associations face aux Goliath que sont les décideurs politiques et économiques. Il s’agit aussi de créer les conditions d’un dialogue renouvelé et efficace entre les

associations, les citoyens et les décideurs.
Dès lors, des plateformes comme Change.org peuvent devenir pour les associations et les citoyens non seulement des espaces d’indignation, d’organisation et de mobilisation mais aussi des espaces d’actions productrices de changement. Les plus de 5 000 pétitions victorieuses en 2014 dans le monde en témoignent avec force.
 

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