Économie sociale et solidaire

Ne laissons pas l’économie collaborative au capitalisme sauvage

Hugues Sibille
Hugues Sibille
Tribune du président du Labo de l'ESS pour une révolution numérique au service du progrès social.

L'affaire Uber en est une preuve évidente : économie collaborative et économie coopérative ne sont pas synonymes. Elles ne doivent plus être confondues. L'économie collaborative, récente, est selon wikipedia "une activité humaine qui vise à produire de la valeur en commun, en s'appuyant sur une organisation horizontale, rendue possible par les plateformes internet; elle privilégie souvent l'usage sur la possession".

Ici commence une forme de mystification : supprimer les intermédiaires ne veut pas dire mettre en commun la valeur créée. C'est l'inverse qui se produit : les plateformes internet sont souvent des entreprises à forme capitaliste qui accaparent une valeur financière créée (AirBnB introduite en Bourse pour 8 Milliards de dollars) en partie grâce au fait qu’elles n’ont pas à investir dans les biens utilisés (voitures, appartements, etc). Pire, ces firmes captent, s'approprient et concentrent des masses énormes de données, sur des systèmes d'information fermés et privés. Les usagers n'ont là aucun pouvoir sur la gouvernance ni retour sur les résultats économiques.

C'est donc l´exact opposé de l'économie coopérative, beaucoup plus ancienne, qui repose sur des groupements de personnes et non de capital, dans lesquels les usagers ou les salariés (ou les deux) ont le pouvoir sur l'entreprise (une personne égale une voix) et se partagent les résultats après avoir fait des réserves. Chez Uber les résultats repartent dans la Silicon Valley après un passage par les bermudes pour échapper à l’impôt.

Le moment est amplement venu pour le monde coopératif et plus largement celui de l'économie sociale et solidaire, de passer à l'offensive, car il y a évidemment du bon dans ces approches collaboratives qui permettent à chacun de devenir acteur et de partager des usages. Nous devons concilier coopératif et collaboratif en travaillant, vite, dans trois directions.

D'abord rendre les choses plus lisibles pour les usagers en proposant des circuits courts coopératifs, répondant à des exigences conformes aux valeurs de l'Économie sociale et solidaire. Le Labo de l’ESS a rédigé une Charte des circuits courts économiques et solidaires reposant sur 4 critères : le lien social établi entre les usagers, la coopération structurant une communauté d'intérêts non fondée sur la rémunération du capital, la transparence des informations données et l'équité pour une juste répartition des rémunérations en fonctions des contributions de chacun. On voit immédiatement que Uber et AirBnB ne pourraient signer cette charte et se revendiquer de circuits courts coopératifs…

Ensuite mettre en place des stratégies de conquête entrepreneuriale de cette nouvelle économie de la fonctionnalité. Ne laissons pas le capital envahir et prendre le contrôle de la totalité de l'économie du Nouveau Monde Digital. Nous devons créer des coopératives collaboratives dans les secteurs du tourisme, de la mobilité, de l'alimentation, de la santé, de l'éducation, du crowfunding... La Maif l'a compris qui vient de créer Maif Avenir, structure dédiée au financement de l'innovation, du digital, et de l'économie collaborative. Il y a urgence à mettre en place des stratégies de filière que la Loi ESS rend possibles et de nouveaux outils financiers (FPCI Impact Cooperatif) rendent finançables.

Enfin occuper résolument le terrain de l’open data, des logiciels libres et de la révolution digitale, pour ne pas laisser se concentrer les données entre les mains de firmes internationales. Nous pouvons devons créer des coopératives de données dont la valorisation profite à tous. L'ESS doit rapidement établir les liens qui s'imposent avec l'approche des Biens communs.

Conjuguons collaboratif et coopératif pour que la révolution digitale soit porteuse de progrès social et non de désintermédiation sauvage.

Hugues Sibille Président du Labo de l'ESS

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