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Nouvelles fragilités : nouveaux métiers

Tribune Fonda N°236 - Le fait associatif au cœur des nouveaux métiers - Décembre 2017
Caroline Germain
Caroline Germain
Le monde associatif est à la fois l’observateur privilégié des évolutions des fragilités sociales et l’acteur de terrain le plus à même d’apporter des réponses adaptées. Innovateur de solutions, il l’est aussi pour les métiers et expertises qu’il sait développer et expérimenter face aux besoins détectés.
Nouvelles fragilités : nouveaux métiers

La Fonda a lancé un appel à témoignages pour faire remonter des exemples de nouveaux métiers expérimentés au sein des structures associatives, à découvrir dans ce dossier « Tribune Fonda » n°236.

Les premiers constats ont corroboré ce que l’Association pour le développement de l’accompagnement à la stratégie et à l’innovation de l’intérêt général (Adasi) a pu observer lors de ses missions de conseil en stratégie réalisées auprès d’acteurs d’intérêt général, et ce dans de nombreux secteurs (santé, environnement, logement…) : les associations sont de véritables laboratoires de nouveaux métiers, conçus comme autant de miroirs des lignes de faille qui traversent notre société.


Un écosystème de plus en plus complexe


Ce début de XXIe siècle est marqué par plusieurs évolutions structurelles génératrices de nouvelles fragilités conduisant le monde associatif à expérimenter de nouvelles pratiques pour réduire ces fragilités. Sans prétendre à l’exhaustivité, citons à cet effet quelques exemples de grandes tendances comme la dématérialisation des démarches (perte de lien direct avec des personnels, transformation des lieux d’accueils « classiques » du territoire…) mais aussi de manière moins visible et tout aussi profonde une complexification croissante de l’éco-système (foisonnement des solutions, hyper « spécialisation » ou hyper « diversification » des activités des acteurs…), autant de tendances qui contribuent à aggraver la vulnérabilité des publics les plus fragiles.

Déjà fragilisés économiquement, socialement, culturellement ou physiquement, les personnes vulnérables, qui conjuguent le plus souvent ces différentes difficultés, sont pénalisées pour accéder aux solutions adaptées à leurs besoins. Face à de véritables problématiques d’accessibilité (aux droits, aux soins, aux services…), celles qui sont le moins entourées ou qui ne disposent pas des codes ou repères nécessaires voient leur situation se détériorer et sont prises dans un engrenage de difficultés qui les confinent à l’exclusion. L’écosystème de plus en plus complexe à appréhender renforce le sentiment d’isolement, voire de relégation de ces populations.

Le monde associatif, quel que soit son domaine d’action (handicap, mal-logement, mobilité…), a ainsi repensé ses métiers d’accompagnement, voire en a développé de nouveaux.


Renouer le lien humain


Ces nouveaux métiers d’accompagnement ont des appellations et des fonctions tout à fait spécifiques : Référent Parcours Santé pour l’AFM-Téléthon, travailleur sociojuridique pour la fondation PSP-Actes basée à Nice et spécialisée dans l’accueil des migrants, référent copropriétés dégradées pour l’association RHSR (Relais Habitat Syndic de Redressement).

Mais au-delà des différences, on constate des grandes tendances qui sont partagées par ces nouveaux métiers : ils renouent tous avec le lien humain ; ils ont pour enjeu d’apporter une réponse adaptée aux problématiques de la personne et de la mettre en posture de gagner en « pouvoir d’agir » ou « empowerment » ; ils se positionnent comme architectes et articulateurs de différentes actions et acteurs pour construire et mettre en place une solution « sur-mesure ».

En faisant le lien entre le social, le sanitaire et le médical, en pouvant « informer, guider, conseiller » de manière holistique, le Référent Parcours Santé de l’AFM tisse des liens, orchestre un écosystème. Il en va de même pour le nouveau métier d’appui aux copropriétés dégradées dont s’occupe RHSR qui agit tant sur l’appropriation des pratiques que sur la gestion très technique. Les habitants délaissés de ces copropriétés soulignent l’importance pour eux d’avoir un interlocuteur en capacité de diagnostiquer leurs problématiques, d’identifier des solutions et de les articuler dans une temporalité adaptée mais aussi l’importance d’une présence qui écoute, informe, prend le temps du dialogue. Ce sont ainsi des métiers d’architectes de solutions et de parcours d’appui individualisé qui émergent pour apporter une réponse globale et adaptée à des fragilités.

Faciliter le rapport à l’écosystème ainsi que nourrir le besoin d’échanges sociaux en tant que tel expliquent aussi pour partie l’essor des métiers de la médiation sociale. Caractérisée par des interventions pédagogiques et de proximité, la médiation permet certes de combler le fossé entre les individus et les organisations d’un territoire mais permet surtout de redonner de la capacité d’agir aux individus.

En organisant la réalisation de missions de porte à porte dans les quartiers défavorisés portées par des habitants du même quartier et salariés à cet effet, Voisin Malin a su trouver les conditions pour restaurer un lien en réalisant le « dernier km » pour les organisations d’un territoire et en initiant le « 1er km » pour les habitants. En aidant à renouer avec l’écosystème, en étant au plus près des publics et de leurs besoins, ces nouveaux métiers privilégient ainsi la capacité d’agir des individus.


Restaurer l’autonomie des personnes


La volonté d’amener les personnes à gérer eux-mêmes leurs fragilités pour les transcender est sans doute l’un des aspects les plus importants de ces nouveaux métiers d’accompagnement. C’est une dynamique d’autonomisation des personnes qui est à l’œuvre. L’accompagnement est là pour aider la personne à construire son propre projet de vie quelles que soient ses fragilités. Il s’agit pour l’accompagnant d’aider le bénéficiaire à devenir acteur de sa solution. C’est transformer leur situation de fragilité non plus en une situation de survie mais de vie souhaitable et durable. L’association Coloc’autisme rattache leur métier à celui de coach plus qu’à ceux d’auxiliaire de vie ou d’éducateur spécialisé. Tout en se personnalisant, l’accompagnement des fragilités tend également à s’inscrire dans la durée pour disposer du temps nécessaire à ce passage de relais.

De fait les accompagnants « nouvelle génération » portent des connaissances croisées dans plusieurs domaines. Alors que plusieurs métiers, voire disciplines, nécessitent une profondeur d’expertise de plus en plus accrue, l’exercice de nouveaux métiers d’accompagnement nécessite d’être en capacité de croiser et mettre en lien différents savoirs.

Au lieu de créer deux postes pour répondre aux besoins des publics migrants – l’un juridique, l’autre à vocation sociale – la Fondation de Nice PSP-Actes a choisi de regrouper ces compétences au sein d’un même métier afin de créer un lien privilégié avec la famille, facilitant leur intégration dans la société. Il incombe aux intervenants associatifs de maîtriser une diversité de sujets pouvant impacter la personne et d’instaurer des synergies entre eux. Pour donner une image, on passe d’un fonctionnement en silo à une pratique en étoile.


Construire de nouveaux partenariats


Et les organisations dans tout ça ? L’évolution des besoins entraînant des mutations au niveau des métiers ne concerne pas que les individus. On observe un phénomène similaire au sein de toutes les formes d’organisations.

Face à la raréfaction des ressources, à la complexification des besoins, le monde associatif utilise de nouveaux leviers d’actions. L’un de ces leviers est de développer de nouvelles dynamiques de co-construction pour répondre au mieux à l’ensemble de ses enjeux, comme le constate le Rameau (référentiel « Co-construction territoriale », novembre 2016).

Dans le cadre de cette dynamique, des métiers émergent autour des questions de rapprochements inter-organisations, issues notamment de mondes différents (public, privé non lucratif, privé lucratif). Trois métiers ont ainsi émergé sur le terrain : le directeur de partenariats stratégiques, ambassadeur et pilote d’alliances à très forte valeur ajoutée ; le catalyseur territorial, animateur de la co-construction locale ; le médiateur inter-organisations, tiers de confiance neutre entre partenaires

Leur point commun ? Une finalité commune de créer des alliances entre acteurs pouvant provenir d’univers très différents afin d’enrichir l’utilité sociale générée.

Ce rôle de pivot dans le maillage des acteurs n’est pas sans rappeler le profil de ceux qui accompagnent les fragilités individuelles. Comme quoi, le besoin d’orchestration de l’écosystème pourrait bien s’imposer comme une dimension incontournable de la réponse aux fragilités des individus comme à celle des enjeux des organisations. Ce qui s’esquisse derrière ces nouveaux métiers, c’est bien de répondre à l’enjeu majeur d’inventer de nouvelles passerelles entre individus, entre organisations et entre individus et organisations.

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