Engagement

Profession "bénévole"

La Fonda
Synthèse d'une journée de travail de la Fonda sur le bénévolat le 5 décembre 2006 à Salon-de-Provence.
Profession "bénévole"

Une journée de travail s’est tenue, à Salon-de-Provence, le 5 décembre 2006, sur le thème « Profession bénévole ». Organisée par le Carrefour de la vie associative et du bénévolat et la Fonda Provence Alpes-Côte d’Azur, avec le soutien de la Ville de Salon-de-Provence, du Conseil régional Paca et du Conseil général des Bouches-du-Rhône et du Crédit mutuel, elle a rassemblé une centaine de représentants d’associations et d’institutions. En cette journée internationale du volontariat (Onu, 1987), il a été question des compétences « professionnelles » attendues des bénévoles, sans perdre de vue que 83 % des associations françaises fonctionnent grâce au colossal investissement des seuls bénévoles.

Parler de « profession bénévole » choque ceux qui estiment que l’appellation est à réserver aux salariés. Or, les associations appellent de plus en plus de compétences des bénévoles. En effet, la société évolue et se complexifie, les pratiques sont de plus en plus encadrées juridiquement, les budgets sont de plus en plus lourds à gérer et les responsabilités de plus en plus nombreuses. Du coup, les bénévoles non-salariés se professionnalisent et le bénévolat appelle de nouvelles réponses, en matière par exemple de formation ou de validation des acquis de l’expérience.

Organisant cette journée en partenariat avec un Carrefour de la vie associative, la Fonda est bien dans sa mission d’animer un espace de réflexion autour de la vie associative, à l’échelon de Paca, sachant que la vie associative y est relativement éclatée au travers de grandes mais aussi de nombreuses petites associations, tournées vers l’action, « le nez sur le guidon » et pour qui le bénévolat n’est pas un épiphénomène. Il est le moteur de leurs pratiques, dans un environnement bousculé par de profondes mutations sociales, culturelles et politiques.

Regard de sociologue sur le bénévolat

D’entrée, il était demandé à la sociologue de traiter des formes que prend le bénévolat associatif dans notre société. En effet, en France, si le bénévolat est plus visible qu’il ne l’était, le discours des politiques en fait encore peu de cas et se réfère à des représentations stéréotypées.

À présent, il ne faut plus opposer bénévole et militant, d’autant qu’au sein d’une même association, certains se disent militants et d’autres bénévoles. Le terme de « militant » caractérise en principe un individu qui a un projet de changement de la société ou d’une situation. Le terme de « bénévole », quant à lui, renvoie à une activité accomplie gratuitement. De leur côté, des salariés revendiquent d’être militants de l’association qui les emploie et ils peuvent être bénévoles, dans la mesure où ils en font beaucoup plus qu’ils ne devraient. Par ailleurs et depuis peu, une distinction est faite entre bénévole et « volontaire ». Des entreprises marchandes et des organisations à but non lucratif utilisent des volontaires : sans être salariés, ils se voient confié des missions, avec un défraiement qui peut prendre en compte leur formation, les déplacements, le logement et la subsistance, voire de l’argent de poche. Des statuts réglementaires de volontaire se mettent en place.

De nombreux travaux européens montrent qu’il est difficile de comparer, d’un pays à l’autre, les situations et statuts différents que recouvrent les termes de « bénévole », « militant » et « volontaire ». C’est encore le terme de « travail pour l’honneur » qui se rapproche le plus du « bénévolat » à la française, sachant que le bénévole est une personne qui n’est pas rémunérée pour l’action qu’elle choisit de conduire librement en direction d’autrui ou de la collectivité.

Le concept d’« engagement », quant à lui, évite de caractériser l’engagement bénévole ou militant. Les sociologues eux-mêmes parlent de sociologie de l’engagement. Mais ce terme s’applique aussi à l’engagement salarié et militaire et renvoie aux « gages » qui étaient versés au serviteur ou à l’esclave. Les associations invitent les bénévoles à s’engager dans la durée et cela peut apparaître comme en contradiction avec la liberté du bénévole. Un changement de vision du bénévolat est confirmé par le fait que, du côté de l’université comme des entreprises, l’engagement bénévole et associatif constitue de plus en plus une expérience et une référence dans un parcours de formation et un curriculum vitae.

L’expression « profession bénévole » apparaît plus pertinente que celle de « métier de bénévole ». En effet, elle prend acte qu’il est aujourd’hui demandé aux bénévoles des compétences « professionnelles ». Ainsi, notamment dans les associations de soins palliatifs, se sont mises en place des chartes et des réflexions éthiques, en lien avec les milieux professionnels. En contrepartie, il importe d’apporter aux bénévoles de la formation, de les assurer et de les accueillir, et cela peut passer, par exemple, par l’aménagement d’un lieu où ils puissent prendre un café. Quelques associations l’ont compris depuis longtemps qui considèrent qu’elles ont des obligations à l’égard de leurs bénévoles, comme elles en auraient à l’égard de salariés. Par contre, de nombreuses associations célèbrent les mérites de leurs bénévoles, mais ne se préoccupent guère – ou pas assez – de leurs conditions de travail, s’étonnant de rencontrer des difficultés de recrutement de bénévoles.

Tout un chacun convient que les bénévoles rendent des services considérables et que la société ne pourrait s’en passer. Donner du temps et être bénévole devient la norme : la pression sociale autour du bénévolat est forte, tant du côté des associations elles-mêmes que des politiques, les médias relayant le mouvement. Ajoutons que dans les associations qui emploient des salariés, ces derniers n’ont pas été formés à travailler avec les bénévoles ou très peu, alors que d’autres pays forment des « superviseurs » de bénévoles. Certes, les choses évoluent lentement, d’autant qu’au sein de certaines associations, des personnes passent du statut de bénévole à celui de salarié et réciproquement : cela conduit à s’expliquer sur les motivations, les missions et les tâches de chacun.

Le monde du bénévolat a longtemps été considéré comme un autre monde, régi par d’autres valeurs que celles de l’économie marchande. En théorie du moins, il n’y avait pas de rémunération des bénévoles, pas de carrière pour eux, pas d’exigence de diplôme ou d’expérience, pas de concurrence et pas de hiérarchie. Depuis quelques années, la vie associative évolue et les bénévoles connaissent aussi des formes de carrière et de parcours, ont à faire avec des situations de concurrence et de hiérarchie, bénéficient d’indemnisation ou de défraiement. Le monde associatif et le bénévolat n’en défendent pas moins pour autant d’autres valeurs – notamment de solidarités choisies – que celles des entreprises de l’économie marchande ou des administrations. D’ailleurs, une même personne peut assumer des identités différentes, salarié d’une banque par exemple et engagé bénévolement dans une association de solidarité. Le bénévolat permet de jouer un autre jeu social, d’avoir un autre type d’engagement, quant à la recherche du sens, quant au pouvoir, aux valeurs et à la culture. Des bénévoles continuent d’affirmer aussi que leur engagement associatif est d’abord affaire de plaisir et de choix.

Témoignages de bénévoles, militants et professionnels

Quelques responsables d’associations confirment que leur militantisme les conduit à un bénévolat de plus en plus compétent et à formaliser, dans une charte ou une autre forme d’écrit, les engagements réciproques du bénévole et de l’association :

  • les associations attendent de plus en plus de leurs bénévoles un engagement sur la base de réelles compétences techniques (pédagogiques, juridiques, comptables, etc.) ou politiques, selon les fonctions confiées et leur disponibilité ; elles attendent aussi de leur part une capacité à collaborer avec d’autres bénévoles, voire avec des salariés, une rigueur dans le travail, un respect des règles, des échéances et des contraintes de fonctionnement de l’association. En bref, ils souhaitent du bénévole une efficacité quasi professionnelle, comme il est demandé à un salarié ;
  • les bénévoles sont en droit d’attendre de leur association un engagement à les accueillir, à soutenir leurs interventions, à respecter leur parcours, à les former autant que de besoin, à améliorer leurs conditions de travail, à réguler au mieux les relations entre bénévoles et les salariés, si l’association en emploie. Le faible succès des formations de bénévoles peut notamment tenir en partie à des contraintes de distance, en l’absence d’une délocalisation. L’utilité de la formation comme d’ailleurs des lieux ressources est à démontrer aux personnes qui viennent du monde de l’entreprise et qui ne perçoivent pas toujours les spécificités des associations et la nature des responsabilités bénévoles : cette « chape de responsabilités » prend le pas sur les dimensions d’échange et de partage, de convivialité et de fête; elle stérilise alors l’initiative et dévore le dirigeant associatif qui encourt de nombreux risques, y compris sur ses propres biens ;
  • les salariés des associations ont à développer des compétences pour apprendre à travailler avec des bénévoles, à soutenir leur engagement, à leur fournir des outils pour mieux exercer leurs responsabilités et articuler les engagements dans la complémentarité. Par ailleurs, ils peuvent être aussi des militants – sans que cela soit une obligation – au sens où leur activité salariée peut viser une transformation de la société, une évolution des mentalités et un développement du mouvement associatif, à charge à l’association de leur faire éventuellement une place dans le fonctionnement des instances ;
  • les pouvoirs publics ont à reconnaître cette compétence et cette professionnalisation des bénévoles, à soutenir de différentes manières cette montée en qualification dans l’exercice de responsabilités, à cesser de considérer l’action bénévole comme de l’amateurisme ou à la cantonner indéfiniment dans une fonction de suppléance. Un film sur les emplois jeunes dans les foyers ruraux a illustré l’intérêt d’une démarche intitulée d’automédiatisation : il a permis à des personnes qu’on entend peu ou pas de dire comment elles percevaient une politique publique dont elles étaient les bénéficiaires et de mesurer comment l’encadrement, les tuteurs et les administrateurs bénévoles de l’association vivaient eux-mêmes cette arrivée massive de jeunes salariés au sein d’un mouvement d’éducation populaire.

Photographie du bénévolat

Il existerait près de 50 000 associations dans le département qui regrouperaient 550 000 bénévoles, représentant 40 000 emplois à temps plein. Bon nombre des associations étudiées sont « invisibles » : petites associations peu connues des institutions ou des regroupements d’associations. Quelques constats éclairent la professionnalisation des bénévoles :

– 42 % des bénévoles ont moins de 40 ans et 34 % entre 40 et 60 ans ;

– 56 % sont diplômés à Bac+2 et les cadres sont surreprésentés : ils ont conscience de pouvoir apporter quelque chose aux autres, ce qui est moins le cas des personnes peu diplômées ;

– un bénévolat associatif où s’exprime des compétences qui ne s’expriment pas ailleurs ;

– 8 heures de durée moyenne hebdomadaire de bénévolat, notamment des plus âgés et des plus anciens dans la vie associative, les moins de 30 ans et les actifs étant moins disponibles ;

– 38 % des bénévoles font partie de plusieurs associations, plus âgés que la moyenne des bénévoles, de sexe masculin, davantage diplômés, souvent fonctionnaires (40 %) ; ces « experts associatifs », souvent dirigeant ou encadrant, assurent un transfert et une mutualisation des compétences ;

– l’utilité sociale est la première motivation des bénévoles, l’engagement militant étant moins cité, d’autant que pour les jeunes, il fait figure d’épouvantail ;

– 50% seulement des bénévoles se disent « encadrés » ; 40 % utilisent des compétences personnelles, 30 % des compétences professionnelles et 17 % seulement de nouvelles compétences ; ces derniers sont plus souvent formés et demandeurs de formation ;

– les compétences d’animation et de communication sont les plus attendues, une certaine « spécialisation » étant fréquente qui appelle une nécessaire professionnalisation ;

– le partage des rôles entre hommes et femmes est « classique » : les femmes plus souvent dans le secrétariat ou l’animation, les hommes dans le management ou le sport ;

– 20 % seulement des bénévoles ont suivi une formation, un tiers seulement en souhaite une.

Engagement bénévole d’hier et d’aujourd’hui !

Quatre responsables associatifs ont apporté leurs points de vue sur les évolutions de l’engagement associatif. De cet échange, il est ressorti quelques conseils et recommandations à l’heure où les bénévoles sont confrontés peu ou prou à une incontournable « professionnalisation ».

  • Les aspirations et les motivations des bénévoles associatifs sont aussi multiples et diverses que le sont les histoires personnelles des intéressés :

– une attente d’échange et de rencontre, de formation et d’enrichissement personnel, de contact humain, mais aussi de convivialité et de fête ;

– un besoin de s’occuper, d’échapper à l’inactivité et à l’ennui, en particulier avec la retraite ;

– un désir de rendre service, d’être utile et opérationnel, de venir en aide, d’apporter du lien ;

– le choix d’un engagement dans un projet associatif qui peut avoir une dimension philosophique, idéologique et militante de choix de société.

  • L’environnement économique, administratif et politique pèse sur l’engagement du bénévole, avec des risques réels d’usure et de découragement :

– la concurrence forte du secteur marchand dans les services, le primat des règles du marché, l’alignement sur le fonctionnement des entreprises ;

– la réquisition et l’instrumentalisation par les pouvoirs publics jusqu’à aliéner la liberté d’action associative et personnelle ;

– les toujours plus nombreuses contraintes juridiques et administratives ;

– un questionnement autour de l’intérêt général et des valeurs ;

– des problèmes sociaux et de société nouveaux auxquels il faut répondre.

  • Le bénévolat ne se vit pas aujourd’hui comme hier. Il change de visage en raison :

– des évolutions de la société : nouveaux problèmes, nouveaux besoins…

– des conditions de vie différentes : populations plus mobiles, chômage…

– d’une technicisation et un nécessaire accroissement des compétences ;

– d’une production de services pour d’autres personnes que les membres ;

– d’une culture du projet individuel et de projets ou actions, limités dans le temps et sans cadre idéologique ou fédéral préalablement défini ;

– des relations complexes entre bénévoles et salariés, associés au même projet, au sein d’une même organisation ;

– de la nécessaire recherche de nouveaux modes de financement, y compris privés.

  • 83 % des associations ne recourent pas à des salariés et vivent donc essentiellement du dynamisme et du bénévolat de leurs membres : vu les projets qu’elles développent, leur inévitable « professionnalisation » passe par le développement des compétences de leurs responsables bénévoles. Beaucoup de ces associations fonctionnent « avec les  moyens du bord » et dans une précarité certaine. Plutôt que de « vivre de la charité publique » et de subventions, elles aspirent à davantage de reconnaissance de leur projet associatif et de leur investissement bénévole et militant. En tout état de cause, ces petites associations qui n’ont pas de salarié sont à prendre en compte en tant que telles et à différencier – sans les opposer – des grandes associations et fédérations.
  • 17 % des associations emploient des salariés. Bon nombre de ces associations assurent des missions de service public pour d’autres personnes que leurs membres et bénéficient, à ce titre, de financements. La professionnalisation de ces associations est passée principalement par la montée en puissance d’un salariat permanent. La question d’un statut juridique plus adapté à certaines d’entre elles est régulièrement soulevée. Leurs soucis sont à la mesure du niveau de leur activité et de leur salariat : diminution des financements publics, frictions avec le marché, contraintes de gestion… Salariés et bénévoles, pour être attachés au même projet associatif, sont devant l’obligation de développer leurs compétences et qualifications respectives, d’améliorer leurs conditions de travail, en soignant leur collaboration et leur complémentarité, dans le respect des rôles et des responsabilités clairement imparties ou déléguées à chacun.

En guise de conclusion provisoire, les responsables associatifs s’accordent autour de quelques leviers susceptibles de soutenir l’engagement et le bénévolat associatif. Il est rituel, en France, de célébrer associations et bénévoles ; cela ne suffit pas !

  • Le bénévolat associatif reste fort et important, mais il a besoin d’être encouragé, consolidé et étayé, au vu des contraintes et des questionnements auxquels il est aujourd’hui confronté ; il y faut des outils : charte d’engagement, formation, amélioration des conditions de travail, etc.
  • La valorisation systématique du bénévolat – et le plan comptable offre cette opportunité – favorise la reconnaissance de l’engagement massif des bénévoles et du poids économique que représentent l’ensemble des associations sur un territoire.
  • L’arrivée de jeunes ou de nouveaux bénévoles « bouscule » le projet, les valeurs et les modes de fonctionnement des anciens, à condition que ces nouvelles générations prennent toute leur place dans les associations. Dès le plus jeune âge, il y faudrait aussi une éducation et une sensibilisation.
  • Le mécénat d’entreprises – à l’heure où les fonds publics se font rares – peut apporter un soutien à des associations et à leurs bénévoles.
  • La place que tiennent les associations dans la vie économique, sociale et civique du pays, le travail qu’elles accomplissent sur le terrain, au quotidien, l’engagement massif des bénévoles sont insuffisamment pris en compte : les bénévoles ne sont pas assez respectés et soutenus par les pouvoirs publics.

mise en forme avec la collaboration de Gabriel d’Elloy

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