Enjeux sociétaux

Réfléchir au-delà des clichés

Tribune Fonda N°208 - Faire ensemble (1) - Avril 2011
Rokhaya Diallo
Rokhaya Diallo
Synthèse des échanges de Rokhaya Diallo, fondatrice des Indivisibles, sur son analyse du communautarisme, des confusions que cela peut entrainer et de la présentation d'une initiative mettant en lumière la banalisation des préjugés qui y sont liés.
Réfléchir au-delà des clichés

Au cours du petit déjeuner, organisé le 2 décembre 2010 dans le cadre de « Faire ensemble 2020 », Rokhaya Diallo, militante associative, fondatrice de l’association Les indivisibles est intervenue en contrepoint de l’intervention de Michel Wieviorka.

Je préside et j’ai cofondé une association qui s’appelle « les Indivisibles » depuis quatre ans. Elle a été fondée sur le constat que nous étions citoyens d’un pays qui refusait de se percevoir dans son évolution. On a choisi de s’appeler « les Indivisibles » en signe de réappropriation d’un terme éminemment républicain puisque le premier article de la Constitution française dit que « la France est une République indivisible » et nous estimions qu’il en allait de même pour les gens qui composaient la nation française mais également pour le territoire français qui n’est pas seulement un hexagone mais qui comprend aussi un certain nombre d’îles qui sont situées dans différents océans sur la surface de la planète.

 

Un déni de réalité

Ce refus de prendre en compte cette réalité était exprimé à la fois par les discours publics assez hostiles mais aussi par certaines images avancées par la France. Deux exemples concrets : vous souvenez-vous du film fait par la ville de Paris pour postuler aux Jeux Olympiques face à Londres ? Luc Besson avait produit une image d’une France qui était plutôt une image d’Épinal. En face de cela, on avait le film de Londres qui montrait une ville et un pays composés de minorités, qui faisait la promotion d’une image qui était aux antipodes de ce que nous avions essayé de vendre. Et nous avons perdu !

Un autre exemple avec un film d’Harry Potter qui est sorti fin novembre. L’auteur fait évoluer Harry dans une école qui est tout à fait multicolore et multiethnique. Son premier amour était une jeune fille qui s’appelait Cho Chang d’origine asiatique. La capitaine de l’équipe était une jeune femme noire. Dans la classe deux sœurs étaient d’origine indienne. Dans le quatrième volume d’Harry Potter il y a un tournoi international de « quidditch » et l’équipe française arrive composée de jeunes femmes blondes. Je me suis retrouvée atterrée parce que cela semblait être la perception que les gens avaient de nous. L’école française serait composée de jeunes femmes blanches et blondes. C’est l’image que nous produisons et c’est le témoignage de notre incapacité à nous représenter tels que nous sommes. Pendant que les succès français sont Les Choristes et Le petit Nicolas, en Angleterre on fait Harry Potter qui est un sorcier moderne dans une école moderne.

Je crois que c’est symptomatique de notre incapacité à nous percevoir tels que nous sommes réellement. Quand on parle d’identité, l’identité cela ne veut pas dire identique. C’est quelque chose qui est en mouvement. La France a toujours été en mouvement, elle l’est encore aujourd’hui et elle semble traverser une crise d’identité comme cela peut arriver à certaines personnes. Cette crise s’est manifestée l’année dernière autour d’un débat sur l’identité nationale qui aurait pu être une bonne idée s’il ne s’était focalisé sur l’islam. Il semble y avoir un problème avec l’idée que la France puisse évoluer et qu’une composante croissante soit celle qui porte une religion minoritaire mais qui arrive en second rang dans la population et conduit la France à être le premier pays d’Europe quant au nombre absolu de musulmans.

 

La confusion entre question sociale et raciale

Notre association s’est créée aussi sur le constat que régulièrement dans l’actualité, les journalistes proposent une lecture ethniciste ou racialiste d’un certain nombre de faits, pourtant sociaux. Par exemple, les révoltes urbaines qui ont éclaté en 2005 où de grands intellectuels et des journalistes reconnus ont convoqué sur le banc des accusés, l’islamisme et la polygamie. Nicolas Sarkozy, à l’époque ministre de l’Intérieur, a envoyé des religieux pour prononcer une fatwa contre les émeutiers. Cela n’a eu aucun effet car les émeutiers n’étaient pas motivés par des raisons religieuses et rien n’indiquait qu’ils étaient par ailleurs musulmans. On semble invoquer de plus en plus la culture comme facteur explicatif de faits qui sont plutôt la résultante de défaillances politiques. C’est un véritable problème car cela conduit à une sorte d’assignation identitaire où des citoyens ne sont plus considérés que comme des gens qui n’appartiennent plus qu’à une certaine culture. On ne les voit plus comme des Français à part entière mais seulement comme appartenant à des minorités.

C’est vrai que l’islam a une dimension culturelle importante. C’est une religion mais il a aussi une dimension culturelle du fait des certaines pratiques et du port de certains signes. Pour des jeunes musulmans, parmi lesquels on observe une certaine réislamisation, c’est une façon d’affirmer une culture et une identité qui a été stigmatisée et qui est toujours perçue sous un registre négatif et n’est convoquée dans l’actualité que lorsque l’on parle de pays où agissent des terroristes ou qui sont dirigés par des théocraties autoritaires mais que l’on ne comprend pas comme un phénomène français.

 

Réfléchir au-delà des clichés

La question du voile, dans l’actualité depuis vingt-et-un ans, est toujours évoquée comme un élément étranger à notre culture. Or, les femmes voilées françaises sont françaises. Entre une jeune femme qui est issue de Sarcelles, de Saint-Denis, de Paris et une femme afghane, je ne vois pas le rapport. La femme française fait ce choix librement contrairement à la femme afghane qui est contrainte. On a une lecture univoque de signes qui sont différents parce que les contextes sont différents. Cette islamisation portée par de jeunes français est le fait d’une problématique tout à fait française et qui est une réponse à un climat qui est français et qui ne peut être comparé avec celui de l’Arabie Saoudite, de l’Afghanistan ou de l’Iran qui sont à mille lieues de nos réalités. Aujourd’hui, porter le voile pour une jeune femme est un acte très courageux parce que de fait cela écarte d’un certain nombre d’emplois, parce que cela peut générer des insultes. C’est un acte de visibilité qui doit être interrogé en tant que tel surtout que c’est une identité qui est relativement stigmatisée.

Il y avait la semaine dernière la journée contre la violence faite aux femmes. J’ai beaucoup entendu ces dernières années parler de féminisme mais uniquement pour cibler des populations qui seraient spécifiquement sexistes. Nous sommes dans un pays où tous les deux jours et demi une femme meurt sous les coups de son compagnon et ces femmes ne sont évidemment pas toutes musulmanes ! On a le sentiment que dans les cités il y aurait des rites particuliers qui rendraient les gens sexistes et on a tendance à déconnecter cela d’un sexisme structurel de la société française. L’Assemblée nationale est composée à 82 % d’hommes ce qui est moins qu’en Irak ou au Rwanda. Donc, on n’est pas exempt de cela. Il faut chercher aussi les explications dans la culture française.

La question du multiculturalisme s’est manifestée lors du débat sur le Quick halal qui a été un débat démesuré parce qu’il s’agit tout simplement d’un choix commercial. Le halal représente en potentiel 4 à 5 fois le bio et les impératifs commerciaux jouent pour répondre à une demande. La véritable interrogation c’est pourquoi y a-t-il des territoires où vivent 80 % de musulmans, ce qui fait que les fast food deviennent halal. Ça c’est une question de politique et non une question de culture.

 

Reconnaître que la France a évolué

On parle de multiculturalisme mais la question centrale est bien celle de l’islam. On a eu le cas en début d’année de cette femme qui s’était présentée sur la liste du Npa avec un voile. Toutes sortes de polémiques ont eu lieu. On a parlé de féminisme. On a parlé de laïcité. C’est le code électoral qui aurait dû servir de curseur pour confirmer la validité ou non de sa candidature. Sa candidature répondait aux critères juridiques mais cela n’a pas empêché la polémique. C’est la preuve que la France n’accepte pas son évolution.

J’ai entendu dire que la France c’est 2000 ans de christianisme. Certes, mais la France évolue. Cette mythologie de vagues de migrations qui se seraient progressivement intégrées sans heurts est fausse. Les Polonais, les Italiens ont subi aussi des injures. Ce n’est pas nouveau. Les musulmans ne sont pas différents des autres. Ils sont vus comme exogènes et le vrai challenge est de les concevoir comme partie intégrante de la nation française et de définir une laïcité qui serait inclusive. Qui ne serait pas un principe d’interdiction mais un principe d’égalité qui permettrait à toutes les minorités religieuses quelles qu’elles soient de s’exprimer librement sans crainte d’être stigmatisées, sans craindre d’être montrées du doigt comme étant des menaces pour la République.

Ce qui est important dans l’identité, c’est la liberté de chacun de se définir comme il l’entend. Par exemple : la liberté pour quelqu’un comme moi est de ne pas être cantonnée comme étant une personne d’origine africaine. Je fais partie de tous ces Français à qui l’on demande régulièrement d’où ils viennent. Or, je suis née pas très loin d’ici à l’Hôtel-Dieu dans le 4e arrondissement. J’ai tendance à répondre que je viens de Paris mais généralement les gens insistent en me demandant : « Mais avant où étais-tu ? » C’est une question que l’on ne posera jamais à Will Smith ou à Jennifer Lopez. Pourquoi ? Le premier est afro-américain et Jennifer Lopez est latino-américaine. Ce sont des acteurs américains pour qui il ne fait aucun doute qu’ils sont américains. En France, il serait important que l’on arrive un jour à ce résultat. 100 % français mais éventuellement d’origines diverses.

On peut être Algérien et Français, Chinois et Français. Quand il y a un match Algérie-Egypte, on a le droit de porter le drapeau algérien sans que cela soit une menace pour la France. Les gens qui étaient dans les rues avec le drapeau algérien étaient les mêmes que ceux qui étaient dans les rues avec le drapeau français en 1998. Les identités diverses peuvent ne pas être conflictuelles.

 

Le communautarisme n’est pas toujours là où on l’imagine

Je pense que le débat sur le communautarisme n’a pas lieu d’être sauf s’il interroge un communautarisme invisible. Parmi les élus nationaux, il n’y a qu’une seule femme non blanche. C’est une élue du 20e arrondissement. Il existe un communautarisme en France, c’est un communautarisme d’élite, un communautarisme blanc, masculin, hétérosexuel qui refuse à toutes les minorités d’accéder au pouvoir, d’accéder aux hautes sphères de l’économie et de la politique.

Quand on regarde la télé, il y a une grande différence avec le métro parisien. Quand on regarde un film français, on a l’impression que tout le monde a trente ans, vit à Paris et a des problèmes sentimentaux, mais ce n’est pas le cas. La France est diverse et elle gagnera à accepter sa diversité et à se reconnaître comme plurielle. Quand les élites cesseront-elles de restreindre l’accès de leurs pouvoirs aux minorités et les reconnaîtront comme étant capables de prendre le destin de la nation en mains et de représenter tout le monde ?

Quand on est élu et d’origine maghrébine ou musulmane, on ne représente pas les maghrébins ou les musulmans, mais les Français en tant que Français. Il faut que tout le monde puisse accepter d’être représenté par des gens issus de groupes minoritaires sans qu’ils soient affectés à une compétence particulière. Il faut qu’ils soient comme les autres ministres et non affectés à des missions liées à leur appartenance particulière. Les gens veulent des ministres qui incarnent la France et qui parlent à tous les Français.

 

Les y’a bon awards

La particularité des Indivisibles, c’est que l’on utilise l’humour pour lutter contre le racisme et les préjugés. On fait un travail de veille toute l’année sur tous les propos racistes tenus par les personnes publiques parce que l’on estime qu’elles ont une responsabilité et les phrases les plus remarquables sont mises à l’honneur tous les ans. C’est une parodie des Césars avec les galons d’or en l’honneur des tirailleurs sénégalais et des humoristes viennent les présenter dans diverses catégories : « Tu l’aimes ou tu la quittes », la catégorie « le bruit et l’odeur », la catégorie « les envahisseurs » qui est un prix extrêmement disputé et qui est remise à une personne pour l’ensemble de son œuvre. Et le trophée qui est remis par un artiste est une peau de banane dorée que personne malheureusement n’est venu chercher. J’en ai huit chez moi qui attendent leur lauréat. Le dernier lauréat a été Brice Hortefeux. L’idée ce n’est pas seulement que le racisme est alimenté par des préjugés mais il y a aussi une fonction de mémoire parce qu’une polémique en efface une autre et on a tendance à oublier. Lors de la dernière cérémonie, on a eu deux heures et demi de propos racistes. C’est dire si l’on subit au long de l’année un flux qui structure les préjugés et qui créé une ambiance. Ces propos répétés toute l’année sur l’invasion comment cela ne pourrait pas avoir d’effets sur les Français et alimenter l’agressivité et la suspicion sur les femmes voilées ou les barbus ? C’est une façon de mettre les gens devant leur responsabilité parce que les mots portent la haine. C’est pourquoi nous sommes des citoyens vigilants et à défaut d’une sanction légale nous proposons une sanction extralégale qui est la honte.

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