Associations et démocratie

Réforme des collectivités territoriales de 2010 : une affaire d'État ou une affaire de société ?

La Fonda
Et Institut de la gouvernance territoriale et de la décentralisation
Document de synthèse du séminaire du 15.11.2010 en partenariat avec l'Institut de la Décentralisation
Réforme des collectivités territoriales de 2010 : une affaire d'État ou une affaire de société ?

*"Cette carte était sublime (...). L'essence de la modernité, de l'appréhension scientifique et technique du monde s'y trouvait mêlée avec l'essence de la vie animale. (...) Dans chacun des hameaux, des villages représentés suivant leur importance, on sentait la palpitation, l'appel de dizaines de vie humaines..."

La Carte et le Territoire, Michel Houellebecq*

Introduction par Laurence Lemouzy, rédactrice en chef de Pouvoirs Locaux

Comme l'exprime si bien le romancier, derrière la carte des découpages politico-administratifs, il y a des territoires peuplés et vivants. Les contours de nos institutions se doivent de respecter et d'entretenir la respiration de la société civile.

En ce sens, la proximité de l'action publique est un élément essentiel de son efficacité et de sa légitimité démocratique. Le 20 octobre 2009, vingt-sept ans après les premières lois de décentralisation, le président de la république introduisait sa nouvelle réforme territoriale, en rappelant que "la décentralisation est un bien commun, la décentralisation est une conquête".

Mais cet effort de modernisation de l'État n'a pas empêché la désaffection croissante des citoyens à l'égard de la vie politique. Impuissance des collectivités nationales face à la mondialisation, déficit démocratique de l'UE, défiance vis à vis des hommes politiques...

Face à la crise de la citoyenneté, il s'agit de réinventer les formes de la participation à la vie publique. Les propos de Jean Pierre Worms nous invitent à renouveler en profondeur notre conception de la citoyenneté: "le citoyen n'est plus seulement celui qui délègue son pouvoir à d'autres qui font la loi mais un citoyen est lui-même acteur de la fabrication de la société". Les collectivités territoriales fournissent le cadre idoine où est susceptible de s'épanouir cette nouvelle figure du citoyen-acteur.

Pour répondre à cet impératif démocratique, que propose la nouvelle réforme des collectivités territoriales ? Sera-t-elle en mesure de réconcilier la société civile et l'Etat ? Quelles formes peuvent prendre leur collaboration en vue d'une co-construction de l'action publique ?

Les enjeux politiques et démocratiques de la décentralisation (Jean-Pierre Worms)

Jean-Pierre Worms fait remarquer que le débat sur la réforme territoriale, qui porte principalement sur la nature des rapports juridique entre l'Etat central et les Collectivités Territoriales, passe sous silence un aspect pourtant essentiel, celui des relations entre l'ensemble de ces institutions avec le citoyen.

Selon lui, les responsables publics mettent l'accent sur le critère de l'efficacité - il s'agit de rendre l'action publique plus efficace en faisant jouer les complémentarités entre les niveaux différenciés d'interventions publiques - mais oublient de penser à associer le citoyen à la construction du bien public. Ce faisant, la réforme ne risque-t-elle pas de passer à côté de l'objet même de la décentralisation, qui a été conçue avant tout pour rapprocher la décision publique du citoyen ?

Jean-Pierre Worms propose de juger l'action publique à l'aune de quatre exigences démocratiques :

  • Sa pertinence tant dans son contenu, qui doit correspondre aux besoins réels des bénéficiaires, que dans le choix d'un niveau territorial d'intervention. Il s'agit d'entreprendre une rénovation profonde de la République, qui, dans sa première version bureaucratique, adressait un contenu abstrait à un citoyen indifférencié. De même, le découpage des échelons administratifs n'est pas nécessairement adéquat pour traiter les problèmes au niveau où ils se posent (ex: le bassin d'emploi).
  • Son efficacité, qu'il faudrait pouvoir évaluer à long terme. Bien souvent, l'action publique est évaluée selon des critères formels, incapables de rendre compte de ses effets réels dans le temps.
  • Son équité, mis à mal par les inégalités dans l'accès à la redistribution sociale, par l'injustice du système fiscal français, par les inégalités des territoires.
  • Sa légitimité, d'autant plus forte quand l'action publique répond à ces 3 attentes et que les citoyens ont accès au partage de la responsabilité collective. A l'heure actuelle, la légitimité de l'État et la crédibilité des responsables politiques sont mis en doute.

La réforme à la loupe : enjeux et risques (Jean-Pierre Worms, Jean-Pierre Balligand , Georges Gontcharoff, Jean-Pierre Duport)

1. Quelles architectures institutionnelles locales ?

L'idée directrice du gouvernement est de réformer le "mille feuilles français". Il y aurait trop de niveaux territoriaux et éventuellement trop d'effectifs dans chaque catégorie. Le choix est fait d'organiser le territoire autours des régions et autour de 3500 unités communales (au lieu des 36 000 actuelles), qui seraient soit des communautés de communes, soit des "communes nouvelles". Le niveau départemental, pris en étau entre des communautés de communes dynamiques et des régions de petites tailles, est voué à la disparition. Pour ce faire, la loi prévoit une période de transition, par l'élection de conseillers territoriaux en 2014, à l'issue de laquelle le département pourrait être supprimé.

Pour aller au bout de la réforme, Jean-Pierre Duport propose de reprendre les propositions contenues à l'époque dans le rapport Mauroy dans lequel le Conseil Général regroupait les présidents des intercommunalités et ses prérogatives étaient strictement limitées à trois compétences : la gestion de l'action sociale, la voirie et le collège.

2. La métropole et son territoire

La métropole doit permettre de redonner aux hommes la maitrise de l'espace urbain, éclaté entre centre et proche banlieue. La métropole est le territoire pertinent pour traiter la question du logement, du transport, du développement économique.

Toutefois, le texte de loi est en rupture avec la vision traditionnelle d'un espace rural organisé autour d'un pôle urbain (dont les Pays donnent une visibilité institutionnelle). La métropole s'émancipe de l'espace que la ville était censée organiser, pour devenir un pôle de compétitivité dans l'espace national et international. L'espace rural devient un espace résiduel dont la seule vocation est d'advenir comme espace urbain.

3. La maîtrise des dépenses publiques

Un des objectifs majeurs de la réforme est la diminution des dépenses publiques. Il s'agit d'appliquer les principes de gestion modernes aux Collectivités Territoriales. Les élus locaux, stigmatisés comme dépensiers (voir accusés d'être responsables de la dette de la France) y seront contraints par la loi. La réforme de la taxe professionnelle a pour conséquence directe de geler leurs budgets pour 3 ans et de les déposséder de leur autonomie financière.

L'encadrement financier des collectivités territoriales peut être une bonne chose, à la condition que, à la manière allemande, l'affectation des ressources soit inscrite dans la loi organique.

4. Le bloc de compétences territoriales spécifiques

Cette question est liée à la précédente puisque la réorganisation des compétences est pensée en fonction des économies à réaliser. Le premier aspect est donc celui de la mutualisation des services entre la région et le département, qui peut prendre des formes diverses : fusions de services, mises à disposition de personnel. Le gouvernement a affiché un objectif chiffré de suppression de 55000 postes de fonctionnaires territoriaux.

La réforme introduit une logique de blocs de compétences spécifiques associés à chaque niveau territorial. Pour cette raison, la clause de compétence générale est supprimée et la possibilité de financements croisés est sévèrement réduite.

Directement affecté par ces mesures, le secteur associatif risque de voir ses financements diminuer et surtout, de devenir largement dépendant d'un financeur unique. On peut s'inquiéter alors de l'instrumentalisation politique qui sera faite des associations.

5. Quelle place pour la démocratie locale ?

La réforme des conseillers territoriaux est au cœur du dispositif et soulève de nombreuses oppositions. Tout d'abord, en réduisant le nombre d'élus territoriaux, et en concentrant les responsabilités, ne risque-t-elle pas d'éloigner un peu plus les citoyens de leurs élus ? La charge d'élu s'apparente déjà à un métier à part entière, par un emploi du temps surchargé, et une professionnalisation accrue (formation initiale, carrière). En outre, on peut douter que l'élu soit en mesure de porter une vision politique à l'échelle de la région, alors qu'il dépend de par son périmètre d'élection, d'un niveau territorial inférieur.
Autre effet pervers, le recul programmé de la diversité en général : baisse de la parité homme/femme, scrutin défavorable aux petits partis.

La décentralisation est un combat politique à mener (Jean-Pierre Balligand)

Pour Jean-Pierre Balligand, le bilan à mi-parcours de la réforme territoriale est médiocre. "La réforme est avortée". Le sénat a vidé le texte de sa substance sur ses aspects essentiels : partage des compétences, métropoles... Il ne reste pas grand-chose des ambitions initiales, hormis la réforme des conseillers territoriaux qui aura des effets néfastes pour la gouvernance locale et risque d'éloigner encore un peu plus les élus des citoyens.

Si Jean-Pierre Balligand ne perçoit pas d'avancée significative, en revanche, il met en garde contre le recul de la décentralisation. En effet, les finances sont la clé des évolutions à venir. La perte d’autonomie financière des collectivités territoriales va conduire un certain nombre de Conseils Généraux et de communes au bord de l'asphyxie... lesquelles seront menacées par une reprise en main de l'Etat central.

En réalité, nous assistons peut-être à un retour, au sein des forces politiques, de l'idée de l'Etat jacobin. Or la crise de la représentation politique vient précisément de la réticence à la délégation de souveraineté aussi bien au supranational, qu'à l'infranational. Pour Jean-Pierre Balligand, il est urgent de franchir un cap supplémentaire dans la décentralisation en accordant à la Région de véritables pouvoirs réglementaires.

La véritable réforme territoriale est encore devant nous.

Synthèse réalisée par Corentin Gallo

Opinions et débats
Rencontre-débat