Associations et démocratie

Acte II de la décentralisation : enjeux et conséquences pour les associations / Première partie

Jean-Pierre Worms
Jean-Pierre Worms
Et Jean-Pierre Duport, Acte II de la décentralisation : enjeux et conséquences pour les associations / Première partie
Séminaire Fonda du 11 juin 2005 Première partie : Acte II de la décentralisation nouvelle donne régionale et nationale ? in La tribune fonda n° 175 - octobre 2005

Première partie

ACTE II DE LA DÉCENTRALISATION : NOUVELLE DONNE RÉGIONALE ET NATIONALE ?

  • Retour sur l'acte I de la décentralisation par JP Worms, Fonda
  • L'acte II de la décentralisation : l'absence de vision stratégique par JP Duport, Fonda
  • Acte I et II de la décentralisation : similitudes et changements par Georges Gontcharoff, conseiller de la revue Territoires

Avec la décentralisation et particulièrement la régionalisation, un mouvement important est engagé depuis près d’un quart de siècle qui change profondément la donne politique pour tous les acteurs de la société, notamment pour les associations. Celles-ci doivent en prendre la mesure, dégager les enjeux qui les concernent et prévoir la meilleure façon pour elles de les aborder. C’est à cette tâche que la fonda et son comité de coordination de l’action régionale ont consacré le séminaire de juin 2005. Ce premier séminaire ouvert a réuni trente personnes : des membres de la fonda et des fonda régionales, et quelques représentants de leurs partenaires (Dies, Fondation de France, autres associations). Voulu et co-animé par la fonda et les fonda régionales, il importait qu’il associe d’emblée des associations locales qui réfléchissent à la façon de prendre position dans ce nouveau dispositif institutionnel ; elles représentaient la moitié des participants. Ce séminaire ouvre une série d’autres séminaires de la fonda sur la décentralisation et ses conséquences pour les associations, avec l’objectif d’accumuler progressivement des expériences et des informations, des réflexions et des analyses à partager entre responsables associatifs locaux et nationaux membres ou partenaires de la fonda, et entre ceux-ci et des représentants des pouvoirs publics.

PREMIÈRE PARTIE

ACTE II DE LA DÉCENTRALISATION : NOUVELLE DONNE RÉGIONALE ET NATIONALE ?

Retour sur l’acte I de la décentralisation

Jean-Pierre Worms, fonda

Les logiques politico-administratives de l’acte II de la décentralisation prolongent celles de l’acte I, avec les mêmes défauts et les mêmes lacunes. Cependant, le paysage s’est modifié et le jeu des acteurs aussi. Il importe de rappeler quelques-unes des caractéristiques de ce paysage installé par la première décentralisation, avant de s’arrêter sur les traits de la seconde.

  • Dès avant 1981, trois enjeux pour la décentralisation *

En 1981, la démarche de la décentralisation avait déjà été engagée, en particulier par une loi au Sénat, avant que le nouveau gouvernement ouvre le chantier. Même si les constats n’étaient peut-être pas unanimement partagés, trois enjeux devenaient absolument criants.

> Un enjeu d’efficacité pour la gestion et le développement du pays : la capacité d’adaptation de la société française à un univers international, économique et technologique, en transformation rapide. Il ne pouvait être question de gérer plus longtemps selon un modèle hyper concentré et centralisé, avec un monopole administratif de l’appareil d’état qui édictait des directives pour mettre en œuvre les politiques nationales sur le territoire. Ce modèle de fonctionnement organisationnel était extraordinairement lent et lourd, coûteux en rigidité bureaucratique et en inertie, incapable d’adaptation aux diversités du territoire. Il n’était pas en mesure de mobiliser les énergies de la société. Le constat d’un modèle archaïque et désuet était fait depuis longtemps.

> Un enjeu démocratique : dans la mesure où le modèle de relations entre l’appareil d’Etat central et les acteurs locaux était féodal, avec un monopole de l’argent, de la compétence et de la décision aux mains de l’appareil de l’état, avec un système de tutelle et de contrôle de légalité des décisions en principe a priori qui se transformait souvent en contrôle d’opportunité. En dehors des communes qui avaient conquis une certaine autonomie politique, les départements et les régions étaient entièrement sous la tutelle et la direction des préfets. On était dans un état de sous-développement caractérisé des collectivités territoriales, qui montrait de toute évidence une grave carence de démocratie.

> Un enjeu culturel et civique : en rupture avec une tradition de dix siècles de monopole de la légitimité par le pouvoir central, où l’intérêt général était défini par ce pouvoir et où les citoyens bénéficiaient de la manne descendue du sommet qui représente, à lui seul, l’intérêt collectif. Dans ce système, les habitants sont transformés en consommateurs du bien public construit par l’appareil d’état. Cette logique a fabriqué une certaine conception de la citoyenneté en France. Cet enjeu de la décentralisation était particulièrement difficile à concevoir pour l’administration et pour la classe politique, à gauche comme à droite.

Avant 1981, au sein du Parti socialiste qui allait prendre le pouvoir, une importante réflexion sur la décentralisation avait permis de déposer, dès la fin des années 1970, une proposition de loi-cadre autour de grands principes qui devaient ouvrir sur des lois d’application. Gaston Deferre ne croyait pas à cette façon de prendre les choses. Il fallait une stratégie de transformation face à ce chantier extraordinairement difficile à conduire, en raison de la masse considérable d’intérêts qui régnait dans l’appareil d’état et chez tous ses « clients » y compris les élus locaux. L’insatisfaction était générale, mais on mesurait déjà les très importantes résistances à dépasser.

  • 1981 : un déplacement démocratique important *

Comment avancer, sinon en adoptant, comme Gaston Deferre l’a fait, une démarche que l’on peut qualifier de « déséquilibre moteur ». Comme pour la marche à pied, cela consiste à se mettre régulièrement en déséquilibre pour avancer. Partant d’une première loi qui supprimait le contrôle a priori des décisions des élus locaux pour les mettre en responsabilité, on passait à un contrôle a posteriori, non plus par l’exécutif (en l’occurrence le préfet) mais par le judiciaire (tribunal administratif, chambre régionale des comptes) ; ce qui constituait un déplacement démocratique important. Les élus devenaient totalement responsables, mais aussi entièrement vulnérables, d’où une demande de définition des compétences et des domaines de leurs responsabilités.

Il fallait arracher, lambeau par lambeau, des domaines de compétences et des attributions administratives qui appartenaient jusqu’alors aux différents ministères, pour les transférer aux collectivités territoriales, avec l’idée d’identifier des blocs de compétences : la proximité à la commune ; la solidarité territoriale et sociale au département ; le développement économique, les grandes infrastructures et la formation à la région. Pour l’enseignement, le partage était plus compliqué entre commune (écoles maternelles et primaires), département (collèges) et région (lycées). La décentralisation se heurtait à des résistances considérables de l’appareil d’état et à celles de certains politiques de la majorité présidentielle. Ainsi, la décentralisation des compétences s’est arrêtée à la moitié du chemin pour le budget de la culture : une culture toujours adossée à une diffusion culturelle très centralisée alors qu’un autre modèle était avancé, celui de l’Allemagne par exemple.

Pour que les élus puissent gérer leurs nouvelles compétences, il a fallu engager la réforme de la fonction publique car la fonction d’état avait jusqu’alors le monopole total de la compétence pour l’exercice des responsabilités locales, avec toutes les clés et les moyens techniques. Très assise sur ses privilèges, elle était peu disposée à voir répartir les compétences et les moyens entre les élus. Il s’agissait de faire accepter le découpage de la fonction publique en trois ensembles : fonction publique d’état, fonction publique territoriale et fonction publique hospitalière, avec un système compliqué de principes généraux et une mise en œuvre adaptée à chaque champ, accompagnée de problèmes de transfert de personnels. Il fallait créer la capacité politique de gérer cette nouvelle organisation des compétences et des moyens ; il y fallut toute l’intelligence stratégique et tactique du ministre Gaston Deferre.

  • Décentralisation acte I : les problèmes restés en jachère *

La première démarche de la décentralisation est restée assez classiquement centrée sur le fonctionnement institutionnel, la mobilisation de la société civile étant un peu oubliée. Avec l’acte I de la décentralisation, des problèmes restaient en jachère.

La décentralisation se fait sur les mêmes territoires qui avaient présidé à la gestion centralisée précédente. Sont gardés le morcellement du territoire en 36 000 communes (issu de celui des paroisses avec ses facteurs de consensus autour du curé et du hobereau local) et le découpage administratif arbitraire des départements. Quant à la géographie des régions, on en reste à celle qui avait été créée pour les besoins de l’état en matière notamment de consolidation des données statistiques : dans les années 1960, le Commissariat général au plan avait eu besoin de circonscriptions d’action régionale pour développer de la rationalité administrative et établir des prévisions (par exemple, pour le logement). Aux côtés des fonctionnaires, on avait associé peu à peu des élus, installant les commissions de développement économique régional (Coder) puis les conseils régionaux, sans dégager un espace de mobilisation des compétences humaines, économiques et sociales.

La décentralisation reproduit les découpages sectoriels de l’action publique et de l’appareil de l’état, au sein des différentes collectivités territoriales.

La décentralisation transfère des charges, en principe au franc le franc, pour chaque attribution de compétence par l’état à une collectivité, sous forme de dotation globale ou de transfert d’impôt. Or, on décentralise des activités où la demande est en croissance rapide : par exemple, un secteur social en pleine crise avec une explosion des besoins et un parc d’établissements scolaires complètement dégradé. Le résultat est que, les usagers et les habitants protestant, les élus des collectivités territoriales vont être face à des transferts de charges que ne couvrent pas les transferts de moyens.

La décentralisation ne règle pas les rapports entre les collectivités territoriales, notamment les compétences des regroupements de communes ou les choix à faire entre département et région. On reste devant un morcellement et un empilement des territoires.

La décentralisation ne traite pas du statut et des pouvoirs des élus : la limitation du cumul des mandats n’est pas véritablement réfléchie ; on en reste à une petite limitation, retirant de la loi la présidence de toutes les structures intercommunales aux compétences pourtant considérables.

La décentralisation ne se penche pas sur les relations entre les collectivités territoriales et les forces vives locales. En dépit du constat de quelques parlementaires attachés à la mobilisation de la société civile, il n’y a pas eu transfert de capacités d’initiatives, notamment aux associations, en ce qui concerne par exemple les enquêtes publiques et plus généralement les procédures d’urbanisme, pour avoir progressivement des lieux et des temps de concertation avec la société civile autour de l’élaboration des politiques publiques locales. Du coup, l’enjeu de révolution culturelle que pouvait porter la décentralisation n’est pas traité et ce grand chantier de la décentralisation reste donc ouvert.

Enfin, avant la décentralisation, existaient au sein de l’état des administrations de mission qui s’efforçaient de mobiliser les forces vives de la société ; la répartition obsessionnelle des compétences entre l’état et les collectivités territoriales a sclérosé cette dimension.

L’acte II de la décentralisation : l’absence de vision stratégique

Jean-Pierre Duport, fonda

  • Des remarques complémentaires *

La situation actuelle appelle quelques remarques complémentaires et personnelles qui viennent compléter les informations déjà fournies sur la répartition des compétences, après cette nouvelle étape de la décentralisation.

Pour l’acte II, des lois ont été votées avec difficulté. Malgré la forte majorité gouvernementale actuelle, la dernière loi (peut-être la plus importante) a été votée par le recours au « 49.3 ». Cette procédure permet au gouvernement d’arrêter le débat parlementaire et de ne retenir que les amendements qu’il agrée, avant de demander à l’Assemblée nationale un vote de confiance.

Alors que l’on attendait une vision stratégique qui clarifierait la répartition des compétences et articulerait une politique de décentralisation avec la politique issue notamment des lois de 1992 et de la loi Chevènement sur l’intercommunalité, s’est développé un mille-feuilles qui contribue à aggraver la complexité du dispositif. On peut regretter qu’il n’y ait pas eu de lien réel entre le transfert de compétences et la restructuration de l’espace territorial. C’était déjà, dans les années 1980, la position très forte du Premier ministre Pierre Mauroy et du ministre de l’Intérieur Gaston Defferre : les questions de l’intercommunalité n’étaient pas pour eux majeures et ils ont refusé d’aller dans ce sens. Ainsi, dans le domaine de l’urbanisme, il est regrettable d’avoir donné la totalité du pouvoir aux communes et, par exemple, de n’avoir pas obligé à ce que la logique des schémas directeurs d’aménagement et d’urbanisme (aujourd’hui des schémas de cohérence territoriale) ne soit pas affirmée en tant que telle : on s’est refusé à donner la compétence territoriale de l’organisation urbaine aux seules agglomérations s’étant dotées d’une structure de coopération ; on a choisi de la donner aux communes, à charge pour elles de se regrouper volontairement si elles le souhaitaient.

Le gouvernement a hésité à aller dans le sens de compétences mieux articulées. Alors qu’il affirme sa volonté d’attribuer aux régions un rôle de leader en matière économique et de confier, pour le social, ce rôle aux conseils généraux en décentralisant par exemple le Fonds de solidarité pour le logement, le gouvernement ne va pas au bout de sa logique. Du coup, il n’y a pas eu de choix régional fort et la loi est plutôt départementaliste, alors que la région aurait pu être confortée dans son rôle et ses responsabilités. Le gouvernement a vraisemblablement été « échaudé » par le scrutin de mars 2004.

  • Des questions sensibles *

La loi n’a manifesté aucune volonté de renforcer l’intercommunalité, tout au contraire : le texte contient la possibilité de sortir des intercommunalités, en réponse à l’existence de problèmes locaux. C’était accepter plus largement qu’il n’y ait pas de continuité territoriale et cela signifiait qu’on allait avoir des intercommunalités de droite et d’autres de gauche.

En ce qui concerne le logement, on peut être choqué par le choix systématique en faveur des seules communes, même en Ile-de-France. Les communes ont la possibilité de déléguer cette compétence à l’agglomération, mais seulement dans une démarche volontaire. Ce choix ne permet pas de lutter contre les inégalités spatiales dont on connaît le lien avec les inégalités sociales. Or, les lois de 1992 et la loi Chevènement avaient choisi de développer l’intercommunalité et, à présent, 30 000 communes sont dans une intercommunalité. Il aurait fallu revenir sur l’article de la loi Chevènement qui permet aux communes en intercommunalité de s’exonérer du versement au Fonds de solidarité. Certes, des conditions ont été posées telle l’existence d’un Plan local de l’habitat (Plh), mais on ne peut croire à la capacité des préfets de s’opposer aux grands élus. Le contingent préfectoral est quasiment décentralisé alors qu’il restait un élément de garantie ; avec lui, disparaît un levier d’intervention.

L’expérimentation est une bonne chose pour acclimater les esprits à la réalisation de la décentralisation. Ainsi, l’expérimentation en matière ferroviaire sur quatre régions s’est avérée concluante et a permis de faire évoluer les mentalités tant du côté des syndicats que des régions.

En ce qui concerne la contractualisation avec les associations, en l’absence de chef de file et d’engagement pluriannuel avec les collectivités territoriales, les textes ne marquent aucun progrès. Tout va dans le sens de la compétition pour la recherche des subventions, sans que soit envisagé un contrat unique qui, pour les associations, comporterait d’ailleurs des risques accrus d’instrumentalisation (d’autant plus qu’il y aurait un seul interlocuteur).

Le débat public a été en principe renforcé par la loi du 27 février 2002 et la création d’une autorité indépendante : la Commission nationale du débat public, bonne manière de voir si la population s’approprie ou rejette les projets auxquels s’attachent les collectivités publiques. Mais, grande est la crainte de voir se développer le référendum qui n’est pas le processus le plus démocratique d’expression des positions de la population.

Il faudrait s’appuyer davantage sur les comités économiques et sociaux régionaux, à condition que les associations y soient plus présentes et qu’il leur soit donné un rôle réel d’évaluation de la démocratie participative dans les régions. Dans ces comités, il y a moins de rivalités avec les pouvoirs politiques que dans les communes notamment.

L’acte II de la décentralisation n’est pas porté par un projet de société avec une vision de l’organisation de la République. Du côté des services de l’état, cette loi est ressentie comme importante et elle bouleverse beaucoup de choses. Les transferts de personnel liés à cette loi sont massifs : sans revenir sur les problèmes posés par le transfert des personnels techniques de l’éducation nationale, c’est la fin des directions départementales de l’équipement et les directions départementales de l’action sanitaire et sociale y perdent beaucoup. Les préfets de département y laissent également des responsabilités. Prédite par certains il y a quarante ans, la « sous-préfectorisation » des préfectures de département se réalise, à l’heure où l’administration de l’état continue de s’organiser autour des préfets de région dont les pouvoirs sont renforcés. La réforme de l’état reste à faire et la perte de moral des administrations de l’état au niveau départemental en témoigne.

La réforme de la fiscalité n’a pas davantage été entreprise, ni la gauche ni la droite ne voulant s’y attaquer. Ainsi, la réforme des bases de la taxe d’habitation est en plan, alors que le système ponctionne davantage les habitants du logement social.

L’état a laissé disparaître tous les lieux où il y avait de la réflexion prospective et de la pensée au sein de l’administration, ainsi de la Datar et du Commissariat général au plan. Par le passé, un jeune fonctionnaire se formait en participant aux commissions du plan. Aujourd’hui, la formation des fonctionnaires en reste à des formations techniques et financières. Les fonctionnaires de l’état ne sont plus guère en mesure de prendre des initiatives, de soutenir des innovations et de mobiliser les forces vives sur le terrain, faute de moyens.

Enfin, il n’y a pas eu de réflexion globale sur le rôle de l’état en matière de solidarité. On ne gère qu’un transfert de points du produit intérieur brut (Pib) du budget de l’état sur la sécurité sociale. Or, le pays reste confronté à d’importants problèmes de société qui ne sont pas véritablement traités : assurance maladie, retraites, etc. Les points du Pib filent et l’état se paupérise.

Acte I et acte II de la décentralisation : similitudes et changements

Georges Gontcharoff, conseiller de la revue Territoires

Entre l’acte I et l’acte II de la décentralisation, le fond de tableau a énormément changé, même si apparaissent des similitudes qu’il est utile d’identifier.

Un développement de l’intercommunalité est intervenu, aussi rapide qu’incroyable pour ceux qui, depuis quarante ans, observaient l’esprit de clocher et les réticences des élus à aller dans ce sens. C’est la multiplication des communautés de communes et d’agglomérations mais aussi des pays, qui avait commencé indépendamment de l’acte II de la décentralisation, les lois Joxe et Chevènement y étant pour beaucoup. Avoir vu la France se couvrir aussi rapidement et de manière bientôt exhaustive de communautés, non plus seulement pour une intercommunalité de services mais pour une intercommunalité de développement, est fantastique. Cette explosion a surpris tous les spécialistes, y compris par sa rapidité. La mentalité des élus a changé, n’en déplaise à la majorité sénatoriale qui a cherché à retirer des textes de loi la moindre allusion à l’intercommunalité ; il a fallu quelques amendements pour la réintroduire, comme par surprise. Le fait est là, têtu, et l’acte II de la décentralisation ne le prend pas assez en compte. à cet égard, il y a un décalage entre l’évolution du pays réel et la prise en compte par la nouvelle législation de ce phénomène. Cette intercommunalité cherche un espace entre la commune et le département. C’est aussi la poussée autour des pays qui, après les lois Pasqua et Voynet, reçoivent une reconnaissance.

À côté des élus, a été prévue une instance représentative, le conseil de développement. Il faut étudier la manière dont les associations se sont (ou non) impliquées. ainsi, en animant une plate-forme interassociative nationale et régionale, l’Unadel a expérimenté une démarche d’accompagnement et d’évaluation, appelée « Territoires d’avenir ». Le conseil de développement est un lieu nouveau de dialogue institutionnalisé qui n’exclut pas des batailles forcenées entre associations pour obtenir une place dans ces conseils, comme cela a été le cas dans plusieurs régions.

La vieille opposition entre « départementalistes » et « régionalistes », qui traverse tous les partis, subsiste. à cet égard, l’acte II de la décentralisation est aussi départementaliste que l’était l’acte I ; cela se fait, à nouveau, au détriment du pouvoir régional qui sort de l’acte II moins affirmé qu’on veut bien le dire.

Le désengagement financier de l’état est synonyme d’une extrême paupérisation de l’état qui n’est d’ailleurs pas uniquement liée à la décentralisation. Il ne dispose plus des financements qui permettaient des incitations. Ne serait-ce pas la seule logique de l’acte II de la décentralisation que de diminuer l’impôt étatique, suivant les promesses du président de la République, et de rattraper les obligations du pacte de stabilité ? Du coup, l’état se défausse : il se débarrasse de pans entiers de ses attributions pour alléger ses charges, quitte à ce que la fiscalité locale s’accroisse ; il abandonne aux collectivités territoriales 200 000 fonctionnaires. Ainsi, l’état décentralise la formation initiale des travailleurs sociaux et médico-sociaux, ce que n’avait pas voulu faire l’acte I afin de la maintenir dans une certaine neutralité et de ne pas la politiser. L’état largue donc tout ce qu’il peut.

Le développement des inégalités territoriales s’accroît : les distorsions deviennent intolérables au regard de l’égalité républicaine, suivant les choix prioritaires que font par exemple des départements : les mêmes pauvres, les mêmes exclus ne sont plus traités de la même manière sur le territoire national. La décentralisation se  veut « désuniformisation », mais l’état ne met pas en place une réorganisation des solidarités, de la fiscalité dans son ensemble, pas plus qu’il ne pense sérieusement à des mécanismes de péréquation ; c’est le grand trou de l’acte II.

Dans l’acte II comme d’ailleurs dans l’acte I, il n’y a aucune réflexion sur le rôle de l’état après la décentralisation et aucune trace d’une véritable redéfinition de ses fonctions. Les choses n’ont été pensées qu’en termes de collectivités territoriales.

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