Associations et démocratie Prospective

Associations et politique

Tribune Fonda N°214 - Associations demain : enjeux et perspectives - Juin 2012
Jean-Pierre Worms
Jean-Pierre Worms
Point de vue sur les relations entre associations et pouvoirs politiques.
Associations et politique


Une évidence sociale …


46 % des personnes de plus de 18 ans se disent membres d’au moins une association ; les déclarations annuelles en préfectures de nouvelles associations oscillent depuis plus de vingt ans entre 60 et 70 000 ; les cessations d’activités n’étant pas comptabilisées avec la même précision, on estime néanmoins en activité quelques 1,3 millions d’associations déclarées ; elles mobilisent près de 16 millions de bénévoles et 1,8 millions de salariés pour un « chiffre d’affaire » de 70 milliards d’euros, soit 3,5 % du PIB national.

Mais ces chiffres sont loin de dire toute la vérité. En plus de ces associations « déclarées », il faut aussi prendre en compte tout ce que les citoyens font ensemble spontanément sans éprouver le besoin ni la nécessité de se doter d’une forme juridique pour porter leur désir de rencontre, d’échange et de réunion, pour réfléchir et agir en commun.

Ces « associations de fait » relèvent néanmoins tout autant de cette liberté collective reconnue et protégée par la loi de 1901. Aux côtés des instances collectives instituées, reconnues et recensées, ces liens sociaux informels tissent aussi le « capital social » de notre société. Jusqu’à une date récente celui-ci dépendait des possibilités de contact physique entre les individus.

Avec les TIC et la multiplication des réseaux sociaux, ces liens de proximité ont pu s’émanciper de cette nécessité : ils se sont développés considérablement, pour l’essentiel, hors de tout cadre juridique statutaire. Reste à intégrer cet apport associatif dans la construction des politiques sociales et notamment des politiques d’emploi, ce qui est loin d’être acquis. Notons aussi que cet apport associatif concerne tout autant le redéploiement économique. La nécessaire valorisation économique du capital social de la société française est une autre « évidence ».

Mais qu’en est-il de l’apport associatif au renouveau démocratique et, plus fondamentalement encore à la refondation du politique ? En quoi le capital social est-il non seulement un capital économique mais aussi un capital politique ?
 


… qui devrait être aussi une évidence politique


Les citoyens s’associent pour porter ensemble leur parole et leur capacité d’intervention dans tous les champs de la vie collective, partout où se fabrique la société. Mais avec le développement de l’état social, tous ces domaines « sociaux », ou dans la novlangue d’aujourd’hui « sociétaux », sont devenus des domaines où s’exerce l’action publique, où s’affirme la responsabilité politique. bref, partout où le politique est aujourd’hui présent, les associations interviennent aussi.

Mais qu’y font-elles ? En quoi leur intervention est-elle de nature politique ? Partout elles tissent des liens d’intérêt ou, plus précisément, de « concernement » partagé, partout elles créent de la communauté, de la réciprocité partout elles initient de la collaboration pour mettre en commun les volontés, l’intelligence et les compétences de chacun, qu’elles soient apprises ou acquises.

Mais en quoi ces liens de solidarité et de fraternité, sont-ils eux-mêmes intrinsèquement des liens politiques et pas seulement des liens d’usagers de la production politique ?

C’est que ce désir et ce plaisir d’être ensemble pour « faire société » s’accompagne toujours d’une volonté, également partagée, de changer la société. On s’associe dans le but de créer des biens d’usage collectif meilleurs que ceux offerts par les pouvoirs publics. bref on s’associe pour changer l’ordre des choses, pour irriguer de ses prises de positions et de ses initiatives, le sens, l’ordonnance et la production du bien public.

En tant que producteurs de biens publics partageables dans l’espace public, les associations sont donc par nature des acteurs du politique. Elles en sont, en outre, des acteurs incontournables.

Si les instances « politiques » fournissent à la société son architecture institutionnelle, ses structures organisationnelles et ses règles de fonctionnement, c’est-à-dire son squelette, elles ne peuvent pas seules créer la société et la faire vivre. Ce sont le sang, les muscles et les influx nerveux qui la mettent en mouvement, lui donnent la vie et la capacité de se développer ; les associations en sont une composante essentielle.

En démocratie, cette capacité de faire vivre la fonction politique s’appelle la citoyenneté. Là est l’évidence de la fonction politique des associations.

À travers elles les individus s’instituent comme citoyens. Ce terme a tellement été galvaudé qu’il faut ici préciser le sens que nous lui donnons. Quand elle n’est qu’attribuée par une autorité supérieure, la citoyenneté n’est qu’assujettissement. Ce n’est que quand elle est « agie », investie pas ses « assujettis » de leur liberté créatrice qu’elle est pleinement citoyenneté.

La cause est donc entendue : créateurs incontournables de la citoyenneté, les associations sont de ce fait des acteurs incontournables du politique. Et pourtant…


… mais qui heurte la conception du politique dont nous avons hérité


Et pourtant la nature politique des associations continue d’être questionnée, voir contestée non seulement par les acteurs « politiques » mais aussi par les associations elles-mêmes. Cela tient à un long et lourd héritage, tant culturel qu’institutionnel, dont nous peinons à nous émanciper.

Dès la révolution, on a voulu construire la démocratie sur un principe de séparation radicale entre le politique et le social. Par leur suffrage les citoyens délèguent leur souveraineté aux instances du politique. ils leur confient par là un monopole de légitimité dans l’exercice du pouvoir dans la société. Pour être insoupçonnable de partialité, ce pouvoir doit être à l’abri de toute influence émanant de la société et de ses particularismes. C’est par abstraction du social que le politique conquiert sa légitimité. À ce politique abstrait revient la charge de traduire dans l’organisation de la société l’universalité des principes fondateurs de la République, et de les incarner dans la toute-puissance de l’État, de la loi et du règlement.

En contrepoint la société concrète en devient quasiment suspecte. Elle est le siège des intérêts particuliers, des arrangements partiels et partiaux, de la contingence, de la viscosité obscure des sentiments qui troublent la pure transparence de la raison.
 

Les associations n’entrent dans l’espace du politique que dans la mesure où elles y sont autorisées, où elles y sont « agréées ».


On a dès lors à faire à deux sociétés, celle qui se construit dans la quotidienneté de la vie sociale et qui est par nature porteuse de lourdes menaces pour les vertus de l’ordre républicain et celle que crée le politique par opposition à la première : une société abstraite, faite de citoyens anonymes, égaux parce que semblables, définis par les seuls droits et devoirs communs édictés par la loi.

Entre la société instituée par le politique et celle que vivent les citoyens, les compromis, on le sait, sont évidemment nécessaires et, en fait, permanents.

Mais c’est l’opposition de principe entre ces deux sociétés qui pose problème car elle relègue dans l’illégitimité politique tout ce que produit la société concrète où naissent et se développent les associations. C’est cette illégitimité de la société concrète qui explique un siècle d’illégalité des corps intermédiaires. Mais c’est aussi ce principe d’illégitimité politique qui explique que ces corps intermédiaires, et notamment les associations, sitôt acquis ce droit à l’existence, se soient pliés aux exigences d’une reconnaissance publique de ce droit par le politique.

On aboutit ainsi à des libertés collectives dont l’exercice dépend de leur inscription dans les cadres légaux, réglementaires et statutaires édictés par le politique.

Les associations n’entrent dans l’espace du politique que dans la mesure où elles y sont autorisées, où elles y sont « agréées ». Et elles sont devenues elles-mêmes avides de cette reconnaissance, admettant implicitement, qu’elles n’ont de légitimité politique que celle que le politique veut bien leur concéder et non celle qu’elles possèdent intrinsèquement du simple fait de leur existence et de leurs activités.


Une fonction politique à réinvestir et à reconstruire


Avec « Faire ensemble 2020 » la Fonda a lancé une démarche de prospective alors même que jamais l’avenir n’a paru aussi incertain. Précisément pour cela, car la prospective n’est pas la prévision du futur mais un effort de lucidité pour se poser les bonnes questions sur le présent afin d’être capable de comprendre et d’agir quand le futur fait advenir l’imprévu.

Alors qu’émergent, portées par les TIC, une économie et une société mondialisée de l’intelligence et de la communication, cette vertu politique propre aux associations est elle-même un bien commun dont on aura de plus en plus besoin pour faire face à des bouleversements dont on ne sait qu’une chose : qu’ils seront à la fois brutaux et pratiquement toujours imprévus.

Il devient dès lors essentiel et urgent de sortir des impasses où associations et pouvoirs politiques se sont enfoncés conjointement pour emprunter simultanément deux voies nouvelles et convergentes :

  • une réforme du statut, des structures et des modes de fonctionnement et d’action du politique pour que la dynamique associative y trouve légitimement toute sa place ;
  • un changement radical du rapport au politique des associations elles-mêmes pour qu’elles se dégagent de ce rapport de dépendance dans lequel s’inscrit leur quête de reconnaissance et de légitimité afin de construire elles-mêmes et d’assumer pleinement leur autonomie d’acteurs politiques à part entière.


Des travaux de recherche et des expériences sociales ont déjà ouvert ces voies et commencé à les explorer. La Fonda souhaite poursuivre et approfondir ce travail avec eux et y associer tous les responsables et militants associatifs, organisés et inorganisés, qui le souhaitent ainsi que ses partenaires de la société civile, de la société politique et du monde de la recherche.

 

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