Enjeux sociétaux

En France, rendre effectif le droit à l'éducation pour tous

Tribune Fonda N°242 - Favoriser l'accès de tous à l'éducation - Juin 2019
Anne-Lise Denœud
Anne-Lise Denœud
La France, on le sait, est l’un des pays de l’OCDE où les inégalités en matière de résultats scolaires sont les plus grandes, au détriment des enfants les plus défavorisés. On sait moins que certains enfants et adolescents rencontrent des obstacles pour accéder à l’école, alors que l’exercice de leur droit à l’éducation est la clé de leur insertion dans la société, et bien souvent de celle de leur famille. Cette réalité inacceptable, vécue par des milliers de jeunes et parfois en marge des statistiques officielles, est pourtant loin d’être insurmontable.
En France, rendre effectif le droit à l'éducation pour tous

Soulignant la situation de certaines catégories d’enfants, parmi lesquelles  les enfants en situation de handicap, les enfants vivant en habitat précaire, les enfants Roms et les enfants migrants non accompagnés, le Comité des droits de l’enfant des Nations unies exhortait la France, en février 2016, à « garantir à tous les enfants le droit à l’éducation sans discrimination »1 . Ces jeunes qui restent au seuil de l’école échappent pour la plupart aux statistiques officielles.
 
Cette invisibilité est partie intégrante du problème : elle constitue le premier frein au repérage de ces jeunes et à leur accompagnement vers l’école et les dispositifs existants.


Plusieurs catégories d'enfants invisibles


Parmi eux se trouvent de nombreux enfants en situation d’extrême précarité. On estime que 8 000 enfants vivent en bidonvilles, forme extrême du mal-logement, en France métropolitaine. Ces enfants sont, pour beaucoup, identifiés comme Roms. Une écrasante majorité d’entre eux ne va pas à l’école de manière régulière, et 30% des enfants en âge d’être scolarisés ne l’ont jamais été, ni en France, ni ailleurs2 . Plus généralement, les enfants vivant en habitat précaire, notamment à l’hôtel social3 , en squat, ou hébergés chez des tiers de manière précaire connaissent eux aussi des difficultés dans l’accès à l’école.

En outre-mer, deux territoires inquiètent particulièrement par l’ampleur du phénomène qui les traverse. En Guyane, des estimations évoquent 10 000 enfants et jeunes éloignés de l’école, un taux de non-scolarisation sans commune mesure avec celui de métropole. Les acteurs associatifs de terrain soulignent par ailleurs de longue date la non-scolarisation des enfants primo-arrivants et des enfants des peuples autochtones et des forêts4 . À Mayotte, on estime qu’environ 5 000 enfants seraient éloignés de l’école.

Par ailleurs, de nombreux jeunes isolés étrangers rencontrent aussi des freins à l’accès à la scolarisation ou à la formation professionnelle, en fonction de leur âge, de leur situation administrative et des pratiques des conseils départementaux.

 

Des barrières plurielles à l'accès à l'école


Les barrières à l’entrée à l’école et à l’accès à une éducation de qualité sont multiples, et cette pluralité de facteurs nécessite une approche globale dans la démarche d’une plus grande effectivité du droit à l’éducation de ces enfants.

Ainsi, pour les enfants vivant en habitat précaire, bien que le code de l’éducation précise que « le statut ou le mode d’habitat des familles installées sur le territoire de la commune ne peut être une cause de refus d’inscription d’un enfant soumis à l’obligation scolaire »5 , on constate l’existence de pratiques illégales au sein de certaines municipalités afin de faire obstacle à l’inscription à l’école d’enfants vivant en bidonvilles : variabilité des pièces à fournir et demandes abusives de justificatifs, comme le souligne régulièrement le Défenseur des droits6 .

Les expulsions  de lieux de vie, les conditions d’extrême pauvreté des familles (dont les difficultés d’accès aux fluides, aux sanitaires ou aux vêtements) sont autant de facteurs déterminant la scolarisation ou sa poursuite. Les coûts engendrés par l’école (cantine, fournitures scolaires, transport…) sont des freins matériels qui viennent s’y ajouter.

Enfin, l’accueil parfois inadapté de l’institution scolaire, du fait du manque de souplesse des dispositifs, des réticences et des préjugés, est à surmonter.

En Guyane, sous l’effet de la croissance démographique, l’école n’arrive pas à accueillir tous les enfants d’âge scolaire dans de bonnes conditions : il n’y a pas assez d’établissements scolaires pour le nombre d’élèves. Cette tension crée de profondes inégalités d’accès aux droits. Entre 2015 et 2030, il est pourtant projeté que les effectifs scolaires augmentent en moyenne de 55%7 . Les enjeux d’accès à l’école s’accentueront donc dans les années à venir, et la politique de rattrapage entamée risque de ne pas être à hauteur des besoins réels de la jeunesse guyanaise, ni d’être suffisante pour endiguer efficacement l’écart creusé entre métropole et Guyane.

Enfin, les jeunes isolés étrangers présents sur le territoire français peuvent de leur côté rencontrer un manque de diligence du conseil départemental dans les démarches d’inscription : le manque de stabilité de leur situation administrative peut venir retarder leur accès à l’école ou à la formation. Peuvent s’ajouter des délais d’évaluation et d’affectation très longs par les services compétents de l’Éducation nationale.

Cette multiplicité de facteurs, internes ou externes à l’école, et dont l’exhaustivité n’est pas représentée ici, engage l’ensemble des parties prenantes, au delà de l’Éducation nationale, à mettre en œuvre des réponses globales et adaptées à l’enjeu de faire du droit à l’éducation de ces enfants vulnérables une réalité.


Des propositions pour avancer


Si des initiatives locales existent, qui permettent à l’échelle des territoires d’identifier et de repérer les enfants en besoin d’accompagnement vers l’école8 , un observatoire national de la non-scolarisation pourrait être créé. Il pourrait contribuer, à la fois au niveau national mais aussi au sein de déclinaisons départementales, à produire des données et informations, favoriser la coordination des acteurs pour l’établissement d’un diagnostic concerté sur les freins et leviers existants à un droit à l’éducation effectif et voir émerger des solutions opérationnelles efficaces adaptées à chaque territoire.

Par ailleurs, la médiation éducative pourrait être promue et développée comme un outil contribuant à réduire certains des freins éloignant les enfants, les jeunes et leurs familles de l’institution scolaire. L’accompagnement dans les démarches administratives, le travail de facilitation avec tous les acteurs concernés, la mise  en place d’actions éducatives auprès des enfants et adolescents, un suivi personnalisé... sont autant de missions qui contribuent à rendre possible une scolarité au delà des difficultés existantes.

La pratique professionnelle de la médiation scolaire existe en France, portée par des projets associatifs ou institutionnels – mais les postes sont épars, en nombre insuffisant, et dépendent des volontés locales dans les académies. De telles initiatives sont à encourager.

À titre d’exemple, l’action Passerelles, au sein de l’académie de Lille, s’adresse à des jeunes collégiens en risque de décrochage et s’inscrit dans la problématique de la scolarisation des élèves à besoins éducatifs particuliers, ainsi que de la lutte contre le décrochage scolaire, en s’appuyant sur les dispositifs d’intégration UPE2A9 destinés aux élèves allophones nouvellement arrivés. En permettant la mise en place d’un projet individualisé, mobilisant l’ensemble de l’équipe pédagogique et des familles avec la présence d’un médiateur au sein de quatre collèges de l’académie, l’initiative est exemplaire.

Aux difficultés d’accès à l’école, dont la présentation ici est loin d’être exhaustive, s’ajoute le défi de la réussite éducative de ces enfants et jeunes. Gageons que l’extension de l’instruction obligatoire dès l’âge de trois ans à la rentrée prochaine soit pour l’Éducation nationale le prétexte à s’engager pleinement dans le défi d’un droit à l’éducation garanti pour tous.

Ce serait une manière d’honorer la Convention internationale des droits de l’enfant, qui fête ses trente ans cette année, et dont l’article 28 assure le droit à l’éducation, base de l’égalité des chances.

 

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  • 1Comité des droits de l’enfant des Nations unies, observations finales concernant le cinquième rapport périodique de la France, février 2016.
  • 2Trajectoires / Secours catholique, Habitants des bidonvilles en France, Connaissance des parcours et accès au droit commun, mai 2017.
  • 3L’enquête Enfams de l’Observatoire du Samu social de Paris montrait ainsi dès 2014 que 10,3% des enfants qui vivaient à l’hôtel (parmi 10 280 familles) n’étaient pas scolarisés.
  • 4Commission nationale consultative des droits de l’Homme, Avis sur l’effectivité du droit à l’éducation dans les Outre-mer, juillet 2017.
  • 5Article L.131-5 du Code de l’Éducation tel qu’issu de la loi Egalité et Citoyenneté du 27 janvier 2017.
  • 6Défenseur des droits, Droit fondamental à l’éducation : une école pour tous, un droit pour chacun, rapport sur les droits de l’enfant, 2016.
  • 7CNCDH, avis précité.
  • 8Unicef France, Enfants des bidonvilles : au seuil de l’école, repères pour les maires et les acteurs nationaux, décembre 2017.
  • 9Unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants.
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