Le secteur associatif est historiquement le premier laboratoire d’innovations sociales, car il est en capacité de détecter les besoins sociaux peu ou mal satisfaits. Le secteur de l’ESS en France a ainsi créé un patrimoine méthodologique largement financé par le secteur public. Aujourd’hui cependant, les associations n’ont plus le monopole de l’innovation sociale. Elle émane aussi d’entrepreneurs rodés aux méthodes du secteur privé marchand. Un constat : la concurrence entre les acteurs traditionnels du social et les nouveaux entrants croît à la mesure de l’intérêt et de la reconnaissance du caractère indispensable de l’innovation sociale.
Dans le même temps, les mécanismes de financement évoluent et les fonds privés prennent de l’importance. Un financement hybride est désormais facilité par la souplesse accordée par la loi ESS de 2014. Ainsi, une multitude de moyens émergent, qui seront développés plus loin dans cet article. Autre signal fort : le terme « innovation sociale » a été reconnu par la BPI en décembre 2014 dans la lignée de la loi Ess. L’innovation sociale est à présent considérée au même rang que l’innovation technologique avec un prisme identique : le financement du risque.
Le financement de l’innovation sociale diffère par la durée de son retour sur investissement, qui implique des capitaux patients et vise des impacts sociaux-économiques à long terme. Les freins rencontrés par les innovateurs sociaux se situent à trois niveaux : les formes juridiques des organisations socialement innovantes, la R&D en sciences humaines et sociales et la phase d’expérimentation.
Quel statut juridique pour l’innovation sociale ?
C’est la première question à se poser. Il faut en effet distinguer l’utilité publique de l’intérêt général et de l’utilité sociale désormais ouverte aux entreprises de type SA, SAS, SARL.
- Les associations reconnues d’utilité publique peuvent recourir aux subventions, au mécénat de particuliers ou d’entreprises, aux donations et aux legs ainsi qu’à tous les financements accordés aux membres de plein droit de l’ESS.
- Les associations reconnues d’intérêt général peuvent recourir aux subventions, au mécénat de particulier ou d’entreprises ainsi qu’à tous les financements accordés aux membres de plein droit de l’ESS.
- La loi ESS a redéfini la notion d’utilité sociale en 2014 en l’élargissant à des organisations qui n’étaient pas membres statutairement de plein droit de l’ESS. Les conditions d’éligibilité sont communes à toutes les associations investies dans les domaines de l’ESS.
Les acteurs du financement
Dans la jungle des financements de l’innovation sociale on peut trouver plusieurs catégories :
- des financements publics : subventions, avances remboursables à taux 0 % et crédit d’impôt font partie des outils mobilisables. Aujourd’hui, l’innovation sociale est identifiée par la Commission européenne et de nombreux appels à projets en France ont été lancés dans le cadre du Plan des investissements d’avenir (Pia) ;
- des financements mixtes : on peut considérer que le mécénat, qui ouvre droit à des déductions fiscales pour le donateur, constitue un financement mixte. Un exemple : les Contrats à impact social (CIS) sont un dispositif expérimental permettant de bénéficier d’investissements privés pour mener à bien des programmes de prévention socialement innovants. Les premiers CIS ont été signés avec l’Adie et Impact partenaires ;
- des financements privés : le mécénat d’entreprise est de plus en plus orienté vers l’innovation sociale : les banques (la Nef, la Banque Postale, BNP Paribas, Crédit mutuel, Crédit coopératif, etc.) financent également l’entrepreneuriat social sous forme de prêts garantis par France Active. Enfin le label Finansol propose des produits d’investissement solidaire ou des produits de partage ;
- le développement de fonds dédiés à l’innovation, des start-ups et l’impact investing : des fonds dits « à impact social » se sont développés et intègrent l’impact social parmi leurs critères de « Due Diligence » (vérification de la solidité du projet et des potentialités de retour sur investissements). Parmi d’autres : Investir et +, INCO (Comptoir de l’innovation), Citizen Capital, Phitrust, les Cigales, les fonds d’épargne salariale solidaires des entreprises et tous ceux labellisés par Finansol ;
- des financements citoyens : le développement fulgurant du crowdfunding avec 233 millions d’euros sur les 630 millions d’euros collectés par la finance alternative ; il faut différencier ici le don, parfois défiscalisé, du crowdlending (prêt) et de l’equity (participation).
À quel stade se situe le projet d’innovation sociale ?
Comme pour n’importe quelle start-up, les différents stades de maturation de l’innovation sociale ouvrent différents types de financement. Les aides à l’innovation ont, pour la plupart, pris en compte l’impact social de l’activité économique dans une approche plus « sciences humaines et sociales ». Il faut retenir malgré tout que la génération de revenus propres est fortement recommandée pour faciliter la demande de financement.
Idéation, recherche, conception
Certains programmes d’idéation ciblés portés par des organisations et incubateurs spécifiques y contribuent : Make Sense, Enactus pour les étudiants, Ticket For Change pour les jeunes et les intrapreneurs. L’Avise également offre une base de ressources qui permettent de bien concevoir son projet. Selon l’organisation porteuse de l’innovation, le financement sera supporté par des fonds propres, des frais de structures, une campagne de crowdfunding. Les régions ou des fondations apportent des « coups de pouce ». Les bourses Déclic Jeunes de la Fondation de France peuvent également contribuer à cette première étape. Enfin le crowdfunding sur le modèle du don est aussi un bon moyen de mobiliser quelques fonds.
Prototypage/amorçage : des financements multiples
C’est le stade critique de l’innovation sociale : il s’agit de prouver la validité du projet en mettant en œuvre une première expérimentation étayée par des hypothèses solides. Plusieurs types de financements peuvent y contribuer.
- Le Fonds de Confiance de l’Avise permet à un « innovateur » d’être incubé par une organisation et de faire financer son salaire à 50 %, le temps de développer son projet, pour pouvoir ensuite créer une organisation indépendante pour le porter.
- Les Agences régionales d’innovation (ARI) aident les entreprises ou les futurs créateurs à structurer leur projet et peuvent les accompagner pour accéder aux financements. Par ailleurs, les établissements de recherche et d’enseignement supérieur facilitent les financements par des laboratoires comme Le Rameau ou des chaires dédiées (Chaire de l’Essec ou de Hec).
- Des incubateurs comme le SenseCube (MakeSense), Antropia à l’Essec, la Ruche sont également dédiés à ce stade de maturation de l’innovation sociale. À ce niveau, le mécénat d’entreprise (voir par exemple la Fondation Macif dédiée à l’innovation sociale) et les subventions de collectivités sont plus aisées à obtenir. Il faut citer le concours européen de l’innovation sociale de l’Avise, le prix de l’innovation sociale locale de l’Unccas-Banque Postale. Enfin, la co-conception et le partenariat peuvent également constituer des moyens intéressants pour financer ce stade de l’innovation sociale en allégeant les charges liées aux ressources humaines.
Essaimage et changement d’échelle
Une fois le prototype (preuve de concept) mis en œuvre, évalué et corrigé, la due diligence est plus facile à valider. Tous les types de financements sont alors ouverts et notamment ceux qui réclament un remboursement (prêts garantis, épargne solidaire) ou un retour sur investissements (fonds d’impact investing, contrats à impact social…).
Concurrence ou opportunité ?
La concurrence de nouveaux acteurs intervenants sur le secteur social peut dans un premier temps sembler menacer le secteur associatif. Mais leur expertise n’est pas substituable et le partenariat et la mutualisation de ressources semblent aujourd’hui constitutifs de l’innovation sociale, comme les recherches du Rameau, laboratoire de recherche-action autour des partenariats multi-acteurs pour l’intérêt général, le démontrent depuis dix ans.
La mutualisation des idées, des ressources et des compétences à tous les niveaux du développement de l’innovation sociale permet de diversifier les sources de financement et le modèle économique. Plus que jamais, l’innovation sociale devra donc passer par la recherche de partenariats pour le bien commun. Il faut aujourd’hui innover dans les financements de l’innovation sociale en misant sur les collaborations multi-acteurs pour mieux répartir le risque et augmenter les chances de réalisations concrètes et de retour social sur investissement.