Enjeux sociétaux

Le développement durable dans les auberges de jeunesse

Tribune Fonda N°238 - ODD : quelles alliances pour demain ? - Juin 2018
Edith Arnoult-Brill
Edith Arnoult-Brill
Du voyage à pieds en 1907 au potager en permaculture en altitude en 2017, le chemin parcouru par le réseau des Auberges de jeunesse en France témoigne de la permanence de valeurs communes et d’un engagement partagé pour agir concrètement sur les territoires et dans la diversité des projets au service de solutions pour une planète durable.
Le développement durable dans les auberges de jeunesse

Aborder les Objectifs de développement durable (ODD) dans le réseau d’Auberges de jeunesse Hostelling International (HI)1 France renvoie à l’origine du mouvement et à l’évolution des pratiques d’une génération à l’autre pour préserver les fondamentaux et la mission des Auberges de jeunesse en France et dans le monde.

Si les valeurs et les convictions partagées sont déterminantes pour faire avancer les questions sociétales, la méthode et les outils sont indispensables pour générer des actions efficaces, engager des partenariats, et croiser l’expertise avec les ambitions collectives au cœur de la démarche de projet. Ainsi, la prise en compte des ODD résulte d’un processus qui a mobilisé les acteurs progressivement, tout d’abord sur la question de l’environnement, puis sur celle plus large du développement durable.
 

Une idée novatrice


En accueillant en 1907 des jeunes dans une salle de classe en Allemagne, le fondateur des Auberges de jeunesse2 proposait d’ouvrir les écoles pendant les vacances pour promouvoir l’éducation des jeunes du monde entier via le voyage à pieds. La 1ère Conférence Internationale en 1932, composée de onze associations nationales, a rédigé la mission des Auberges de jeunesse3 qui apparaît avec un regard contemporain comme l’une des premières définitions du tourisme durable, doublée d’une intention d’éducation non formelle4 .

Déjà se profile à cette époque la volonté de sauvegarder l’environnement contre les pollueurs. Ainsi a commencé l’histoire du mouvement des Auberges de jeunesse, à l’initiative d’hommes et de femmes partageant une même vision du monde basée sur la compréhension mutuelle et à la réconciliation des peuples via une coopération internationale.

La construction d’une culture de la Paix est depuis inscrite dans l’ADN des Auberges de jeunesse, réparties aujourd’hui dans 81 pays. La mise en œuvre de cette ambition historique toujours féconde répond à l’ODD n°16, particulièrement dans le champ de la revitalisation de la démocratie participative, contributive et inclusive avec, comme supports d’actions, des programmes spécifiques 5 .
 

D'une génération à l'autre


Avec les premiers congés payés et l’essor des Auberges de jeunesse6 apparaît l’esprit des Auberges de jeunesse basé sur la vie au plein air (ODD 3), le goût du partage et de l’échange dans des Auberges de jeunesse spartiates, autogérées par les jeunes adhérents de l’époque qui revendiquent le pouvoir de décision à tous les niveaux de la hiérarchie sociale et le partage des responsabilités. La mixité inclut la reconnaissance de l’égalité des femmes et des hommes (ODD 5). Les jeunes des auberges inaugurent un nouveau style de vie.

La philosophie qui se dégage de la vie en Auberges de jeunesse est marquée par la recherche d’un nouveau rapport à l’autre. Le contact de l’homme avec la nature connaît un nouvel intérêt. Après avoir été principalement développé à la campagne, à la montagne et en bord de mer, le réseau français des Auberges de jeunesse entrera dans les villes à partir des années 1970.
 

De l'environnement au développement durable : les outils


Première matrice commune au niveau international, la Charte de l’environnement, créée au début des années 1990, encourage les associations nationales à prendre conscience de leurs responsabilités en matière de respect de l’environnement et à adopter des pratiques écologiques. Elle impulse un élan collectif significatif qui génère des initiatives partout dans le monde (ODD 17).

En mars 2009, la Charte éthique réaffirme les valeurs portées par le projet associatif de la Fédération unie des Auberges de jeunesse (FUAJ) que tous les acteurs, adhérents, bénévoles et salariés, s’engagent à promouvoir au sein des Auberges de jeunesse. C’est également un support qui donne des repères à chacun afin d’inscrire son engagement dans une démarche collective porteuse d’intérêt général.

L’écocitoyenneté est l’une des sept valeurs inscrites dans la Charte éthique de la FUAJ : solidarité, lutte contre le racisme et la xénophobie, mixité, laïcité, autonomie et engagement, interculturalité (ODD 12 et 16).

La FUAJ a créé7 et mis en place fin  2009 une signalétique environnementale commune à l’ensemble des Auberges de jeunesse de son réseau avec pour objectif d’inciter les acteurs du projet associatif (adhérents et salariés) à participer à la préservation de l’environnement par de petits gestes quotidiens. Composée de dix autocollants placés dans toutes les Auberges de jeunesse du réseau de façon appropriée aux différents messages (économies d’eau, d’énergie et tri des déchets), cette signalétique est un moyen pour associer les voyageurs au principe d’éco-citoyenneté suggérant que chacun au quotidien peut agir sur les économies d’énergie et que ce comportement individuel génère, par la répétition dans toutes les Auberges de jeunesse, un impact significatif dans un élan collectif8 (ODD 12).

La FUAJ s’est dotée au fil de l’eau d’autres outils pour promouvoir non seulement à l’interne, mais aussi vis-à-vis des popula tions sur les territoires, des partenaires et des voyageurs, son engagement en faveur du développement durable et inciter toutes les parties prenantes à s’engager avec elle. Le développement social durable est incarné par l’expérience de vie que constitue le voyage à travers le réseau des Auberges de jeunesse et les programmes d’activité d’éducation non formelle axés sur le dialogue interculturel (ODD 4 et 5).

C’est un moyen de faire tomber les stéréotypes et d’ouvrir la voie à la compréhension mutuelle. Cette vision amène les Auberges de jeunesse à créer des opportunités de découverte authentique des peuples et des territoires via un ancrage territorial pertinent et d’engagement pour les jeunes via des projets concrets sur le territoire.

L’évolution des pratiques au sein du réseau mondial et la montée en puissance du concept de développement durable ont conduit à franchir un pas supplémentaire avec l’élaboration de la Charte de développement durable adoptée à la Conférence internationale en 20109 . Cet aboutissement a nécessité une certaine rigueur intellectuelle pour éviter d’implanter un modèle unique contraignant, faisant fi de la diversité des régions du monde autour de la table. Aussi, la Charte a-t-elle été conçue à partir des critères mondiaux du tourisme durable10 . Elle a élargi la vision des associations nationales à une dimension plus globale de la responsabilité des Auberges de jeunesse sur le territoire où elles sont implantées autour de cinq objectifs majeurs11 .

Alors que les ODD ont été adoptés en septembre 2015, nous pouvons aujourd’hui dire que l’élaboration de la charte internationale entre 2008 et 2010 ainsi que sa mise en œuvre depuis, répondent à plusieurs des ODD (8, 9, 10, 11, 12, 14, 15, 16, 17).


L’engagement du réseau s’appuie sur dix axes pour développer, mesurer et communiquer sur ses initiatives :

 l’axe écologique a pour objectif de minimiser l’impact du réseau des Auberges de jeunesse sur le changement climatique en réduisant l’empreinte carbone de son activité (ODD 13) ;

 l’axe social commande de s’assurer que les activités des Auberges de jeunesse contribuent au développement de la société par le respect du patrimoine culturel, humain et naturel (ODD 9,10,15) ;

 l’axe économique cible un réseau d’Auberges de jeunesse et d’associations nationales financièrement durables et dotées d’un système de qualité (ODD8).

C’est au quotidien, par la certification internationale HI-Qualité/Durabilité, que les mentalités évoluent via l’application  de procédures qui permettent d’atteindre les objectifs fixés tout en faisant prendre conscience aux équipes de salariés et aux voyageurs de la nécessité d’agir pour la préservation de la planète, de l’humanité et donc des générations futures. Le label «La Clé Verte» conforte l’action des équipes de terrain et constitue un marqueur attractif qui valorise aussi le territoire.
 

Les auberges de nouvelle génération


L’une des premières expériences concrètes a vu le jour en 2004 avec la déconstruction/reconstruction de l’Auberge de jeunesse HI Grenoble-Echirolles dans une démarche HQE  : toiture végétalisée, orientation appropriée et gestion par un ordinateur de bord du chauffage et des volets. Le projet d’ouverture d’une nouvelle Auberge de jeunesse HI Rouen en 2010 a constitué une étape dans le cheminement vers un modèle plus complet de développement durable en termes de préservation du patrimoine culturel et social en intégrant la renaissance des locaux d’une ancienne teinturerie12  avec une maison de maître du XVIIIe  siècle, classée patrimoine national. Dotée de toiture végétalisée et de deux puits de géothermie, l’Auberge de jeunesse est quasiment autonome pour la production d’eau chaude.

Le projet le plus abouti en matière d’incarnation des critères du développement durable et le plus complexe est sans aucun doute encore aujourd’hui celui de l’Auberge de jeunesse HI Paris Yves Robert ouverte en mai 2013. Qualifié de 100% Développement Durable, construit en bois, ce bâtiment novateur a été imaginé par l’une des rares spécialistes de l’architecture environnementale en Europe, Françoise-Hélène Jourda. L’éco-îlot dont fait partie l’Auberge de jeunesse s’inscrit fortement dans une démarche centrée sur les énergies renouvelables. La toiture de la Halle abritant l’Auberge de jeunesse est dotée d’une centrale solaire de 4 000 m² de panneaux photovoltaïques. Les espaces verts ont été privilégiés avec 9 000 m² aménagés en forum paysager, arrosés au moyen de la récupération de l’eau de pluie. L’eau sanitaire est chauffée par des panneaux solaires (ODD 9, 11 et 13). A elle seule cette réalisation couvre 8 ODD (7, 8, 9, 11, 12, 13, 16 et 17). 

L’Auberge de jeunesse HI Lille-Maison Stéphane Hessel, ouverte en octobre 2015, symbole d’un nouvel éco-quartier, accueille en son sein la maison de l’ESS. Ce bâtiment aux allures avant-gardistes et mêlant minéralité et verdure, respectueux de l’environnement et des générations futures, offre un espace de vie inondé de lumière. L’agora centrale, les terrasses, l’ouverture du bâtiment sur la Cité offrent espaces de brassage social, de rencontres et d’échanges interculturels (ODD 9, 11 et 13). Ouverte en mars 2017, l’Auberge de jeunesse HI Cahors-Le Chai, inscrite dans une démarche de développement local, située face au Pont Valentré , est la porte d’entrée sur le quartier en devenir à « Haute Qualité de Vie ». Inscrit dans la démarche Agenda 21 de la Ville et du Grand Cahors, l’Auberge de jeunesse est l’emblème d’un renouveau urbain avec le choix de matériaux sains, durables et une construction permettant de maîtriser les consommations en énergie et en eau (ODD 9, 11 et 13).

Enfin, l’Auberge de jeunesse HI Serre Chevalier, entièrement rénovée située dans un village classé et une station de sports d’hiver qui a fait du sport adapté un atout, offre la possibilité aux sportifs de pleine nature de pratiquer leur sport en mixité valides et personnes en situation de handicap en proposant un lieu de vie accessible aux 4 déficiences, ouvert à toutes et tous dans la diversité (ODD 10).
 

Un potager en permaculture en altitude


Porté par l’Auberge de jeunesse HI La Clusaz, ce projet (ODD3, 12, 13 et 15) a obtenu en 2017 le 1er prix du concours annuel du fonds de développement durable d’Hostelling International13 . Soutenu par quelques 3 500 internautes, il résulte du cheminement du Directeur de l’Auberge de jeunesse, Michel FENIX, vers l’objectif de servir des repas bio, après avoir travaillé à l’obtention du label La Clé Verte. L’objectif de 90 % d’ingrédients bio dans les repas, avec un approvisionnement en circuits courts, a été atteint en 2016. Une première tentative de création d’un potager a été lancée pour les produits frais dont l’approvisionnement était difficile sur le territoire. Le partage de cette expérience, incertaine du fait de l’exposition au nord, avec des acteurs locaux, a ouvert la porte à la connaissance d’autres initiatives (jardins dans des zones d’activités pour servir des repas bio aux salariés). S’en est suivie la mise en relation avec un spécialiste du jardin en permaculture14 . Le projet a pris une autre dimension. Doté d’une expertise spécifique, ce partenaire exprime son intérêt pour le projet de La Clusaz par « son côté novateur et émergent» tout  en soulignant l’importance de travailler avec un porteur de projet engagé, donc réceptif aux exigences du diagnostic mettant en évidence les spécificités du terrain afin de respecter le principe « faire avec la nature plutôt que contre  ses tendances ».

Constitué de trois zones (culture, cueillette libre, repos), le jardin  a une dimension pédagogique. L’impact se mesure au regain d’image de l’Auberge de jeunesse : l’affichage de la démarche durable génère de l’adhésion et amène de nouveaux voyageurs. Désormais, les équipes se constituent sur le projet responsable qui draine vers l’emploi à l’Auberge de jeunesse des jeunes sensibilisés donc ambassadeurs du projet, très motivés et facilitateurs dans la relation aux voyageurs.

In fine il s’agit, par une démarche structurée, innervée de partenariats multiples, d’ancrer l’activité des Auberges de jeunesse sur le territoire en maîtrisant les impacts environnementaux et de promouvoir la découverte authentique hors des sentiers battus en proposant un tourisme durable et accessible.


Illustration ©Wikimedia : auberge de Jeunesse Yves Robert, située au sein de la Halle Pajol à Paris,accueille depuis 2016 l’université de prospective biennale de la Fonda. 

  • 1Réseau international des Auberges de jeunesse
  • 2Richard Schirmann, instituteur allemand.
  • 3« Promouvoir l’éducation de tous les jeunes, de toutes les nations, en particulier les jeunes aux moyens limités en encourageant en eux une plus grande connaissance, amour et soin de la campagne et une appréciation des valeurs culturelles des villes et des cités dans le monde entier, et de fournir des foyers dans lesquels il n’y aura pas de distinc- tions d’origine, de nationalité, de religion, de sexe, de classe ou d’opinion politique et de développer ainsi une meilleure compréhension de leurs semblables, à la fois chez eux et à l’étranger ».
  • 4Hors de l’école.
  • 5IOU Respect/Je te dois le Respect, créé après les attentats des Tours Jumelles en 2011 et toujours en cours.
  • 6Sous l’impulsion de Léo Lagrange, l’homme d’Etat qui deviendra ensuite le Président du Centre Laïc des Auberges de Jeunesse.
  • 7Par les étudiants d’une école de graphisme en partenariat.
  • 8La légende du colibri, par Pierre Rabhi.
  • 9Réunie à Shenzhen en Chine, sous la présidence d’Édith Arnoult-Brill
  • 10Les critères du tourisme durable ont été lancés par l’ONU, l’OMT et Rainforest Alliance en 2008 au World Conservation  Congress.
  • 11Démontrer une gestion durable efficace, maximiser les avantages sociaux et économiques apportés aux communautés locales, minimiser les impacts négatifs causés au patrimoine culturel et à l’environnement, préserver la biodiversité, les écosystèmes et les éco-paysages.
  • 12Ateliers datant de 1780
  • 13Marque de la Fédération internationale des Auberges de Jeunesse.
  • 14Adrien Auziel, écologue spécialisé en permaculture.
Cas pratiques et initiatives
Initiative