Engagement

Le pro bono comme outil de formation

Tribune Fonda N°234 - L’engagement associatif, source d’apprentissages - Juin 2017
Tatiana Heinz
Tatiana Heinz
Depuis 2011, l’association Pro Bono Lab encourage la pratique du « pro bono » qui consiste à partager ses compétences pour une cause d’intérêt général. Depuis sa création, elle a permis à près de 4 000 individus et à 350 associations ou organisations à finalité sociale d’expérimenter concrètement cette forme d’engagement, expérience qui se révèle très formatrice dans la grande majorité des cas.

En effet, pour ceux qui choisissent de participer à des « missions pro bono », structures bénéficiaires ou bénévoles enthousiastes à l’idée de transmettre, ce partage de compétences leur permet de découvrir de nouveaux horizons, mais aussi de développer leurs compétences ou d’en acquérir de nouvelles. Il s’agit donc d’une opportunité de formation pour des associations qui cherchent à se professionnaliser pour répondre à des besoins sociaux toujours plus complexes, mais également pour les individus qui s’engagent en mettant à disposition leurs compétences et espèrent ainsi les enrichir en les utilisant dans un cadre qui sort de leur quotidien.
 

Compétences et formation

C’est bien de compétences et de formation que l’on parle lorsque l’on évoque le « pro bono ». Cette expression latine a été popularisée par les avocats américains dans les années 1970 pour parler de l’aide juridique gratuite qu’ils offraient à des personnes défavorisées. Depuis, le pro bono s’est étendu à d’autres champs professionnels. Des individus accompagnent alors d’autres individus qui n’ont pas les moyens de payer pour l’accès à des compétences, ou bien des organisations poursuivant une finalité sociale.

En France, les associations font partie de cette catégorie. Des sociologues ont mis en évidence depuis plusieurs années le phénomène de professionnalisation des associations et les évolutions qu’il entraîne sur la gestion associative au quotidien1  : problématiques sociales de plus en plus complexes auxquelles il faut répondre, diminution des subventions publiques qui poussent à aller trouver de nouvelles sources de financement, cadre réglementaire de plus en plus complexe...

Les dirigeants associatifs deviennent des gestionnaires et nombre d’entre eux manquent de compétences pour mener à bien les missions de leurs organisations, comme l’attestent bon nombre d’études, notamment l’enquête de 2011 de la Conférence permanente des coordinations associatives (aujourd’hui le Mouvement associatif) et de l’Avise sur les besoins en accompagnement des associations2  : sur les 2 500 structures interrogées, 70% s’estiment par exemple démunies pour élaborer une stratégie et des outils de communication afin de valoriser leur travail. De même, Pro Bono Lab a réalisé une étude sur les pratiques et les acteurs du pro bono en France en 2016, le Panorama du pro bono3 , dont une partie portait sur les besoins en accompagnement et en compétences des associations. Sur les 200 organisations qui ont répondu au questionnaire, 84% déclaraient avoir un besoin en compétence qui ne pouvait pas être satisfait en interne.
 

La pratique du pro bono pour les associations

Concrètement, à quoi ressemble la pratique du pro bono, et comment peut-elle servir aux associations pour se former ? Un exemple parlant est celui du Marathon Probono : il s’agit d’un format d’engagement d’une journée développé par Pro Bono Lab pour répondre à une problématique concrète d’une association.

Cet échange est possible grâce à la participation de personnes qui se portent volontaires et qui ont les compétences nécessaires pour trouver des solutions. Pro Bono Lab joue un rôle d’intermédiaire entre ces deux parties : le but est d’analyser le plus précisément possible le besoin de l’association, afin de définir le cadre de la mission de conseil qui l’aidera à monter en compétences pour trouver des solutions.

Qu’il s’agisse de concevoir une nouvelle stratégie de communication, de définir une approche commerciale, de gérer au mieux ses bénévoles, ou encore de protéger un nouveau produit grâce à la propriété intellectuelle, les missions possibles en une journée sont variées. Au contact des bénévoles qui viennent découvrir son projet et l’aider à définir des pistes de structuration, l’association s’approprie de nouvelles méthodes, de nouveaux outils. Elle sort de la journée avec des recommandations concrètes pour améliorer son approche sur une thématique précise.

En 2016, d’après notre bilan d’impact, 80% des associations qui ont participé à des missions pro bono organisées par Pro Bono Lab l’ont fait pour accéder à des
compétences. 66% d’entre elles estiment, à l’issue de leur parcours d’accompagnement, que ce dernier leur a permis d’acquérir de nouveaux savoir-faire.
D’autres formats sont possibles : l’association Passerelles et Compétences propose par exemple un accompagnement plus long, avec un bénévole qui accompagne une association sur une problématique précise, pendant plusieurs semaines.

Cependant, cette journée n’est pas seulement formatrice pour l’association bénéficiaire : elle l’est aussi pour les personnes qui viennent partager leurs compétences.
Il leur faut en effet développer des facultés d’adaptation, prendre la parole pour expliquer un outil ou une méthodologie qu’ils connaissent, être force de proposition pour sortir des impasses auxquelles peut être confrontée l’association. 

Parfois même, ils découvrent des méthodes qu’ils ne connaissaient pas, et ils ont tout simplement l’occasion d’apprendre : le schéma de la pyramide de l’apprentissage
montre qu’en enseignant aux autres, on retient 90% de ce que l’on dit, fait et explique4 . Ainsi, non seulement ces personnes transmettent leurs compétences, mais elles les consolident. C’est donc une opportunité de formation pour elles aussi et les entreprises l’ont bien compris : le pro bono devient un outil de formation pour des salariés qui se confrontent à la problématique d’une association et développent ainsi des compétences qu’ils maîtrisent déjà mais qu’ils apprennent à utiliser dans un cadre différent. Pour les salariés, c’est un format qui change de leur quotidien, une formation sous forme de mise en situation. Ils ont également développé leurs « savoir-être » ou « soft skills », de plus en plus prisées par les entreprises : les recruteurs ne s’intéressent plus seulement aux compétences techniques, mais également aux capacités de leadership, d’adaptation, d’écoute ou encore au bon relationnel5 .

En 2016, 79% des individus qui ont participé à une mission organisée par Pro Bono Lab pour soutenir une association ont déclaré avoir développé des compétences.
99% déclarent avoir développé leur capacité d’adaptation, et la totalité leur capacité d’écoute et de compréhension d’autrui. 86% se sont sentis source d’initiative, voire force d’innovation et 57% ont eu l’occasion d’expliquer une méthode ou un outil de travail à l’association bénéficiaire. Au-delà donc de développer des compétences, on constate au travers de ces chiffres que les volontaires ont découvert un autre secteur, se sont adaptés à d’autres façons de faire, à des problématiques qui sont étrangères à leur quotidien mais pour lesquelles ils sont en capacité de trouver des solutions. Le pro bono permet donc aux professionnels de pratiquer et de développer ces deux types de compétences, techniques et savoir-être, ce qui est une importante valeur ajoutée pour les entreprises.
 

Partage de compétences

Pro Bono Lab a désormais mis en pratique la formation dans une autre sphère : l’association souhaite donner à d’autres acteurs des méthodes et des outils pour mettre eux-mêmes en oeuvre des projets pro bono. En cohérence avec une vision qui consiste à dire que chacun a des compétences et peut les partager avec une autre personne ou une organisation qui en a besoin, Pro Bono Lab a choisi de proposer, en plus de ses propres missions pro bono, des formations pour tous les acteurs qui souhaitent eux aussi favoriser la rencontre entre associations et professionnels.

Cette offre de formation comprend notamment une découverte du concept de pro bono, de ses bénéfices et de son impact, des contenus spécialisés sur les  méthodologies de Pro Bono Lab pour organiser des missions pro bono (diagnostic des besoins d’une organisation à finalité sociale afin de proposer une mission pertinente pour répondre à ces besoins, méthode d’animation d’une mission pro bono, et enfin gestion de projet spécifique d’une mission pro bono) ainsi que des formations pour des acteurs qui souhaitent concevoir une stratégie d’engagement comprenant l’organisation de missions pro bono. Cette offre de formation a donc tout simplement pour but de démultiplier les transferts de compétences entre associations et professionnels, en permettant à d’autres acteurs d’être opérationnels sur l’organisation de projets favorisant la rencontre entre ces deux mondes.

En faisant le lien entre professionnels conscients de leurs compétences et désireux de les partager, et associations souhaitant monter en compétence pour mieux se structurer et ainsi mieux répondre à des besoins sociaux, le pro bono permet donc un partage de savoir-faire et une montée en compétences. Celle-ci ne concerne pas seulement les associations bénéficiaires : au contact de ces dernières, les professionnels adaptent leurs compétences et découvrent de nouvelles situations dont ils n’ont pas l’habitude. Source de bénéfices pour tous, le pro bono est un outil très adapté au contexte actuel de professionnalisation des associations et de valorisation de toutes les compétences au sein des entreprises. Au delà de la formation, il permet également de placer autour d’une table des personnes très différentes, qui ne se seraient peut-être jamais rencontrées autrement : malgré leurs différences, ces personnes vont devoir travailler ensemble.

Il s’agit donc de faire société : le partage des compétences est un moyen de se comprendre, de comprendre les besoins de l’autre, d’essayer d’y répondre dans une logique de réciprocité, d’apprendre ensemble et finalement de mieux vivre ensemble.
 

  • 1Voir par exemple Trajectoire associatives, enquête sur les facteurs de fragilités des associations, de Viviane Tchernonog et Jean-Pierre Vercamer, CNRS, 2006 :www.associations.gouv. fr/IMG/pdf/trajectoiresassociatives. pdf
  • 2Renforcer l’accompagnement des associations : un enjeu pour l’avenir !, Avise et CPCA, juin 2011
  • 3Panorama du pro bono 2016
  • 4Pyramide de l’apprentissage selon le National Training Laboratories Institute de Bethel, aux États-Unis
  • 5Voir par exemple « Leadership ou compétence technique ? » d’Alain Goetzmann, coach en management, dans Les Echos, 9 mai 2017
Cas pratiques et initiatives
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