Enjeux sociétaux Économie sociale et solidaire Associations et démocratie

Les associations, acteurs incontournables du développement durable

Tribune Fonda N°237 - Faire des ODD un projet de société - Mars 2018
Mickaël Landemaine
Mickaël Landemaine
Personne ne peut prédire avec exactitude le temps qu’il fera demain et encore moins ce qu’il adviendra dans dix, vingt, cinquante ou cent ans. Les formidables avancées réalisées en quelques siècles nous permettent cependant de mieux connaître la situation globale et invitent à admettre que nous allons devoir composer avec la menace des «limites planétaires», ainsi qu’avec une somme croissante de problèmes sociaux, économiques et politiques. Des changements civilisationnels profonds et de long terme sont nécessaires.
Les associations, acteurs incontournables du développement durable

La recherche d'un modèle de développement durable n'est pas une ambition nouvelle. Des experts de toutes origines et de toutes disciplines, des porte-paroles issus de la société civile, mais aussi des décideurs politiques et des chefs d’entreprise se réunissent au plus haut niveau depuis plus de quarante ans pour parvenir à de nouveaux compromis.

Ainsi à l’appui de nombreuses expertises, inventaires, débats, prévisions, chacun est incité avec de plus en plus d’insistance à prendre part à un programme global de changement incarné par un développement durable. Sur le plan technique, ceci a donné lieu à de multiples innovations. Des réglementations étatiques et des actions de sensibilisation ont aussi su révéler leur importance (Gendron, 2006)1 .

Malgré cela les phénomènes susceptibles d’être endigués ne se trouvent pas pour le moins réduits, au contraire assistons-nous à leur emballement. Un modèle de développement durable ou soutenable reste donc une quête bien actuelle. Alors que nous faisons ce constat, une interrogation concernant les raisons pour lesquelles il reste un idéal non atteint, se présente tout d’abord comme incontournable. 

Un premier examen nous montre en ce sens que nous reposons sur une tension, voire une contradiction, entre une volonté déclarée de promouvoir une approche participative et une démarche d’inspiration en réalité planificatrice, donc de type top-down (Jollivet, 2015, p.117)2 . Rappelons en ce sens la mise à l’écart des ONG aux différentes négociations sur le climat. Ensuite, cela nous invite à porter un regard éclairé sur les mécanismes de régulation et de gestion introduits, qui excluent un certain nombre de données et de points de vue, tout en recatégorisant des objectifs à atteindre (Palpacuer, Leroy & Naro, 2010)3 .

À titre d’exemple, si nous prenons le rôle de l’ONU en matière de développement durable, et plus spécifiquement du Pacte Mondial (Global Compact)4 , nous voyons bien, au travers de la possibilité qu’il offre aux entreprises d’adhérer à ses principes, sans être juridiquement contraignant, et sans offrir les moyens de les surveiller et de les contrôler, qu’il s’agit bien ici de l’amorce d’un mécanisme de gestion qui doit, au regard de notre situation actuelle être questionné. En filigrane c’est une certaine idée du progrès qui s’impose, incapable de reconnaître « des genres alternatifs de savoir et de comprendre comment entretenir avec eux des rapports d’égalité » (De Sousa Santos, B., 2011, p.40)5 .

Il est par ailleurs important de se rappeler que le succès grandissant du développement durable est corrélatif d’une contestabilité croissante des modèles de développement de l’entreprise (Godard & Hommel, 20066  ; Pérez & Silva, 20137 ), ce qui suppose la mise en place de différentes stratégies pour la surmonter. En d’autres termes, il s’agit de « réinventer les procédés techniques, les modèles économiques, les pratiques » (Girard et Gendron, 20138 ), mais aussi de redéfinir les priorités et là où se situent les intérêts collectifs.
 

Le rôle décisif des associations

Face à ces différents constats, se tourner vers les acteurs associatifs revêt donc un intérêt certain pour élargir un champ de vision, mieux tenir compte de l’ensemble des propositions, mais aussi en raison de leurs spécificités et de leur histoire qui les rendent uniques. Une prise de recul nous montre en effet que grâce aux associations des évolutions sociétales ont déjà été possibles dans le sens de la démocratisation et qu’elles ont été en mesure de créer de nouvelles matrices de l’action collective (Laville, 20169 ).

Il se trouve que ces dernières années, un développement durable n’est plus un objectif prôné uniquement par celles qui se sont historiquement mobilisées aux côtés de la communauté scientifique pour nous éveiller sur les risques que nous encourons et nous inciter à repenser notre rapport au vivant et à autrui (associations de défense de l’environnement, de la biodiversité, droit-de-l’hommiste, etc.) ; c’est aussi une diversité moins connue d’initiatives et de réflexions engagées par un nombre croissant d’associations ne portant pas nativement cet objet (associations du domaine sanitaire et social, culturel, sportif, éducatif, etc.).

Que faut-il retenir de leur implication sur ce champ ? Il serait tentant d’y voir un simple effet de mimétisme par rapport aux pratiques des autres composantes de la société, ou encore une certaine forme d’opportunisme. Ce qui se donne à voir nous éloigne de ces présupposés. C’est avant tout la  réceptivité des acteurs associatifs à des problématiques sociales, environnementales et économiques qui dépassent le strict cadre de leur mission sociale qui est frappante.

C’est aussi leur envie d’y répondre et la somme des savoirs dont ils disposent pour apporter des solutions concrètes. Mais ce qui les différencie c’est avant tout la centralité que certains d’entre eux partagent pour une logique d’ouverture, à même de susciter une mobilisation, de faciliter une compréhension, de favoriser des questionnements et des possibles, de permettre une meilleure cohérence et de participer de la création de rapports fondés sur le partage de valeurs communes. Comme se plaisait à le dire Christian Coméliau « les connaissances et les réflexions ne peuvent s’accumuler que si elles circulent ». Cette circulation exige sans doute un certain nombre de conditions techniques (qui ne sont sûrement pas insurmontables) ; elle demande surtout une capacité d’ouverture et de dialogue (1994, p. 73)10 .

Enfin, ce qui apparaît lorsque tente de se mettre en place une logique plus délibérative au sein de certaines associations, ce sont des personnes capables de dépasser des intérêts purement individuels, de donner la primauté du sens et de la cohérence, ce qui interpelle beaucoup des dimensions d’un développement durable et en réintroduit selon nous la principale, la possibilité de participer et donc de compter.
 

Le secret : l’ouverture et l’action collective

Pour répondre aux ambitions transformatrices portées par un développement durable, ce serait donc davantage une intelligibilité collective, une faculté d’être ensemble, d’expérimenter, de choisir, de se relier les uns aux autres et aux choses, qu’il s’agirait de faire plus largement se développer, et très certainement est-ce dans cela qu’il faut voir le principal message adressé par les associations à un mouvement de développement durable. L’enjeu serait donc pluridimensionnellement relationnel : se lier aux autres, se lier au sens, se lier au réel (Fleury, 2015)11

Il ne s’agit donc pas uniquement d’un faire ensemble, mais aussi de comprendre des réalités et d’ouvrir la voie à une dépolarisation des rapports, à la possibilité de consensus (Galam et Moscovici, 1991)12 . Une manière aussi de répondre à la recommandation de Tilly : « Il faut donc remplacer le modèle de l’action rationnelle par un modèle d’interaction rationnelle à plusieurs acteurs » (cité par Gendron, 2006, p. 109)13 , faisant aussi écho aux propos de Lionel Charles et de Bernard Kalaora : « les acteurs et leurs capacités spécifiques à interagir deviennent plus importants que les structures. Le développement durable ne peut pas s’envisager par référence à un état ou à un simple univers d’objets, mais à un champ de relations, dans un sens à la fois pragmatique et stratégique » (2007, p. 129)14 .

L’enjeu est énorme, le futur incertain et la réalité associative n’est pas encore un symbole d’unité ni d’homogénéité.

Ce n’est pas non plus ce qu’il faut attendre des associations, car c’est une diversité  qui produit de l’équilibre, il s’agit donc davantage de déceler, au travers de leurs  spécificités et de leurs potentialités actuelles, ces nouveaux dénominateurs communs qui peuvent être force de « mouvement » ne serait que pour satisfaire Bonneuil et Jouvancourt, pour qui « Il ne saurait avoir de monopole, ni sur les histoires, ni sur les savoirs » (2014)15

  • 1Gendron, C. (2006), Le développement durable comme compromis : la modernisation écologique de l’économie à l’ère de la mondialisation, Presses de l’Université du Québec.
  • 2Jollivet, M. (2015). Pour une transition écologique citoyenne, Éditions Charles Léopold Mayer, p. 58.
  • 3 Palpacuer, F., Leroy, M., & Naro, G. (2010). Management, mondialisation, écologie. Regards critiques en sciences de gestion, Hermès Science Publications, Lavoisier.
  • 4Créé en 2000, il repose sur dix principes qui touchent notamment aux droits de l’homme, aux droits du travail, à l’environnement et à la lutte contre la corruption.
  • 5De Sousa Santos, B. (2011) « Épistémologies du sud », Études rurales, (187), p.21-49.
  • 6Godard, O. et Hommel, T. (2006). « Les multinationales, un enjeu stratégique pour l’environnement et le développement durable ? », La Revue internationale et stratégique n° 60, p. 100-111.
  • 7Pérez, R., & Silva, F. (2013). « Gestion des biens collectifs, capital social et auto-organisation : l’apport d’Elinor Ostrom à l’Economie sociale et solidaire », Management & Avenir, (7), p.94-107.
  • 8Girard, B. & Gendron, C. (2013). « Et maintenant ? », in Corinne Gendron et al., Repenser la responsabilité sociale de l’entreprise, Armand Colin « Recherches », p. 403-418.
  • 9Laville, J-L. (2016). L’économie sociale et solidaire, pratiques, théories, débats, Editions du Seuil.
  • 10Comeliau, C. (1994). « Développement du développement durable ou blocages conceptuels ? », Revue Tiers Monde, p. 61-76.
  • 11Fleury, C. (2015). Les irremplaçables, Editions Gallimard.
  • 12Galam, S., & Moscovici, S. (1991). “Towards a theory of collective phenomena: Consensus and attitude changes in groups”, European Journal of Social Psychology, n°21(1), p. 49-74.
  • 13Gendron, C. (2006). Le développement durable comme compromis : la modernisation écologique de l’économie à l’ère de la mondialisation, Presses de l’Université du Québec
  • 14Charles, L., & Kalaora, B. (2007). « De la protection de la nature au développement durable : vers un nouveau cadre de savoir et d’action ? », Espaces et sociétés, (3), p. 121-133.
  • 15Bonneuil, C. et De Jouvancourt, P. (2013). « En finir avec l’épopée, récit, géopouvoir et sujet de l’Anthropocène », in É. Hache, B. Latour, C. Bonneuil et al. (éd.), De l’univers clos au monde infini, op. cit., p. 105.
Analyses et recherches
Analyse