Associations et entreprises

Les syndicats et les relations association-entreprise

Tribune Fonda N°217 - Association et entreprise : quelles alliances pour transformer le monde ? - Mars 2013
Pierre Vanlerenberghe
Pierre Vanlerenberghe
Dans l’ensemble, les organisations syndicales sont favorables aux associations et sont prêtes à collaborer avec elles(1). L’expérience de l’action collective comme la bi-appartenance de bon nombre de militants à ces deux formes d’action collective ne sont pas étrangères à cette ouverture. Mais dès lors qu’il est question de bâtir des actions communes au sein ou autour de l’entreprise, des réticences se font jour. Pour tenter de mieux comprendre ces attitudes, un examen des lignes de fond qui marquent et souvent divisent le mouvement syndical s’impose. Il conviendra alors dans un second temps d’explorer les conditions à respecter pour que les coopérations entre entreprises et associations se développent.

Les organisations syndicales n’ont pas la même conception des relations entre la société civile et l’état

La place accordée à la société civile, à ses différents acteurs, à leur rôle dans la transformation du monde, est différente selon la façon de penser le rôle de l’état. Entre l’état régentant l’économie (l’esprit du programme commun de la gauche relayé à l’époque par la Cgt) et l’état régulateur dont se revendique la CFDT aujourd’hui (après avoir été le chantre de l’autogestion et de l’état décentralisateur), tout un continuum de positions existe. Fo est la plus précise, insistant sur la place essentielle de l’état républicain auquel aucun autre acteur ne peut se substituer et qui est le seul habilité à faire des arbitrages au nom de l’égalité républicaine. Au syndicat, la revendication, à l’état de faire le tri, et de décider (2), telle serait leur maxime. La CFDT (3) qui, traditionnellement, ordonne ses revendications à des considérations sociétales, plaide quant à elle pour une certaine autonomie des acteurs par la négociation : plus la question traitée est proche du rapport salarial le plus concret, plus les acteurs de l’entreprise sont habilités à dire la norme (4). Quant à la Cgt, il semble loin le temps où les associations n’étaient convoquées que pour venir en appui au mouvement social central généré par l’affrontement entre le capital et le travail. Aujourd’hui, cette confédération ne semble plus rai- sonner en termes de subordination des unes aux autres en mettant plus l’accent sur la mobilisation indifférenciée de la société civile pour assurer la transformation de la société. « C’est par la mobilisation des salariés et d’autres acteurs, en particulier les acteurs des mouvements sociaux et de la société civile – parmi lesquels les associations – que nous pourrons impulser un renversement de situation ( 5) ».


Des divergences essentielles concernant le rôle de l’entreprise

Quant à l’entreprise, entre l’hostilité historiquement cultivée depuis la réaction à l’exploitation de la classe ouvrière au XIXe siècle, et la tradition anarcho-syndicaliste, là-aussi existe un continuum de positions. La Cgt et Fo sont encore très proches du premier pôle, celui de la méfiance. La CFDT, qui se trouve à la jonction de la tradition libertaire (celle de l’auto-organisation ouvrière qui a lancé les mutuelles et les coopératives, de Fourier et de Proudhon) et du personnalisme communautaire, est plus à même de comprendre la valeur de l’activité entrepreneuriale, même si l’entreprise est fortement critiquée. Quitte à placer l’entreprise en position centrale dans la société ( 6) : « Dans une société en profonde mutation, où les acteurs institutionnels (état, église, syndicats…) sont en crise et en perte de repères, l’entreprise reste un lieu de contraintes où se vit la société. Parmi ces contraintes, la nécessité d’assurer sa survie suppose de nouer des compromis permanents implicites ou explicites. […] Plusieurs hypothèses s’offrent à elle : l’affrontement et la concurrence exacerbée ; ou la coopération pour trouver des solutions communes. […] L’entreprise doit être au cœur de cette coopération qui génère des changements fondamentaux en son sein et dans son rapport à l’environnement externe. »


Mais toutes cependant se retrouvent pour dénoncer la financiarisation de l’économie et l’incapacité de l’entreprise à se repenser. Elle serait devenue un lieu de non-performance car n’utilisant pas au mieux son capital humain par la construction d’organisations « apprenantes » fondées sur la coopération en interne et avec l’externe.


La reconnaissance d’un possible dialogue entre les associations et les entreprises…

Tous les syndicats sont ouverts au dialogue entre les associations et les entre- prises moyennant le respect de certaines conditions, cependant quelque peu différentes selon leur doctrine. Mais tous sont agacés devant le langage dominant qui identifie facilement l’entreprise à ses dirigeants oubliant la part essentielle que représentent les salariés dans son développement.
L’entreprise est structurée par le diptyque capital/travail. D’un côté des actionnaires qui nomment un ou des dirigeants (7), de l’autre côté des salariés insérés dans une organisation du travail décidée par le dirigeant et ses délégués, qui mobilise et met en cohérence les savoirs et les savoir-faire. L’entreprise n’est donc pas réductible à une seule entité mais à trois entités en relation.

Les rapports sociaux sont donc organisés autour du dialogue/confrontation entre dirigeants et salariés, institutionnalisé par des règles de négociation et des fonctions assumées par les institutions représentatives du personnel (IRP). Notamment, le comité d’entreprise est un lieu de collaboration et d’information dirigeants/représentants des salariés. Tout dialogue entre le dirigeant et son environnement, qui pourrait toucher à l’organisation de l’entreprise et à sa gestion, concerne donc à des titres divers les organisations syndicales et/ou les IRP. Celles-ci sont donc concernées par toute démarche des dirigeants d’entreprise en direction des associations, et vice-versa, qui pourrait avoir un impact sur l’organisation de l’entreprise.
Les syndicats sont donc naturellement méfiants vis-à-vis de toute intrusion des associations dans le jeu des IRP.


Pour la Cgt : « Sous le vocable de démocratie sociale, on tend à privilégier un affichage en faveur des associations, parfois au détriment des organisations syndicales. Il ne faudrait pas, sous prétexte d’accorder un rôle d’acteurs à part entière aux associations dans le dialogue social, porter atteinte à la négociation dans l’entreprise et sur les territoires. Syndicats et associations doivent être vigilants. »


Pour Fo : « Certains chefs d’entreprise se réfugient derrière ces acteurs (élus, administrations ou associations) à travers la Rse pour intervenir sur des choix sociaux et opérer certains choix stratégiques en contournant les IRP. Faire appel à une expertise technique en amont de certaines réunions internes à l’entreprise est souhaitable mais relève de la responsabilité des seuls dirigeants. Le dialogue social ne doit se faire qu’entre le patron et les représentants élus des salariés… Nous refusons de faire entrer dans l’entreprise des parties prenantes externes, dont la légitimité reste à démontrer… »


Pour la CFDT : « Les associations défendent une cause, généralement noble, et ont légitimité à le faire. à la différence des associations, l’entreprise a l’obligation d’être un acteur global. Il faut trouver une forme de dialogue entre les associations et les acteurs de l’entreprise, notamment les salariés et leurs représentants, car toute interpellation par les acteurs externes à des conséquences sur l’organisation du travail. Nous proposons que soient négociées, dans l’entreprise avec les syndicats, des ouvertures du dialogue multi-acteurs externes à l’entreprise. La géométrie de ce dialogue dépendra des sujets. Le cadre n’existe pas et est à inventer… »


…à certaines conditions

De ces approches, j’en déduis la ligne directrice suivante pour tous ceux qui souhaitent œuvrer pour des actions communes entre entreprises et associations. Toute action des dirigeants en direction des associations (et inversement) doit être validée par une instance dont il reste à définir les contours, surtout lorsqu’existent des IRP ou sont présentes des organisations syndicales. De même, rien n’empêche un comité d’entreprise (fondé sur la parité dirigeants/élus) de répondre aux sollicitations des associations, voire de prendre des initiatives : par exemple, il y a des besoins sociaux non encore couverts par le contrat collectif ou par les comités d’entreprise l’initiative associative ou mutualiste pourrait répondre, sinon ils seront un jour couverts par l’initiative privée.


Mais les organisations syndicales devront dans les années qui viennent enrichir leur approche de l’entreprise en tenant compte des travaux de Hatchuel- Segrestin (8). Pour eux, et beaucoup d’autres analystes, l’entreprise moderne, « fondée sur l’innovation, mobilise vers un avenir incertain, donc de risque, tout aussi bien des actionnaires durables que des salariés, autour du dirigeant d’entreprise qui met en mouvement les savoirs et savoir-faire » et qui bousculent la professionnalité de bon nombre de salariés. Tous, ainsi que d’autres acteurs extérieurs à l’entreprise, sont alors parties prenantes du risque, au cœur de l’activité entrepreneuriale. Cette analyse pourrait enfin conduire à définir un droit de l’entreprise qui ne soit pas réduit à la seule société de capitaux ce qui serait un saut substantiel d’accompli en matière de régulation des rapports économiques et sociaux. Leur apport donne plus de consistance à cette notion de « parties prenantes », traduction du terme stakeholders, (en opposition à shareholders) de la littérature anglo-saxonne, qui a inondé le jargon managérial. Il devrait certainement permettre d’y positionner les associations, ou tout au moins certaines d’entre elles.


1. Voir les interviews de Pascal Pavageau (FO) et de Marcel Grignard (CFdt) dans La tribune fonda, n° 216 et celui d’Agnès Naton (CGt) dans ce numéro.
2. « Nous sommes contre la logique du concept anglo- saxon de RSE qui consiste à transférer la création de la norme à l’échelle de l’entre- prise. L’ANi du 11.01.2013 privilégie une logique d’accord majoritaire dans l’entreprise et supplante la hiérarchie des normes. Si vous mettez cette logique de transfert de création de la norme du national vers l’entreprise en parallèle avec l’Acte iii de la décentralisation qui permet à chaque collectivité publique d’être créatrice de droit, c’est l’égalité républicaine qui est bafouée et anéantie. »
3. Mais on peut généraliser à la CFtC et à la CGC.
4. Pour elle, sur les dossiers centraux engageant l’avenir de l’ensemble de la société, c’est à l’état de décider ce qui n’exclut pas la concertation (cf. les retraites et plus récemment l’évolution de son attitude concernant la couverture maladie).
5. Nous dit Agnès Naton dans ce numéro.
6. Cf. comme le dit Marcel Grignard dans le numéro de La tribune fonda, n° 216.
7. dans la TPE ou la petite PME, l’entrepreneur est bien identifié, il est souvent le seul propriétaire.
8. Voir La tribune fonda, n° 216.

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