Économie sociale et solidaire Innovation sociale

L'UNHAJ au carrefour des enjeux de la jeunesse

Tribune Fonda N°252 - L'inclusion comme horizon - Décembre 2021
Marianne Auffret
Marianne Auffret
Et Bastien Engelbach
Créés en 1955, les foyers jeunes travailleurs proposaient à ces derniers de se lancer dans la vie active en vivant près de leur travail. Depuis, le contexte social a évolué et l'Union nationale des foyers jeunes travailleurs (UFJT) est devenue l'Union nationale pour l'habitat des jeunes (UNHAJ). Cette union accueille chaque année 90 000 jeunes au sein de logements temporaires. Au croisement de l'éducation populaire et des politiques de jeunesse, ce réseau multiple continue d'évoluer.
L'UNHAJ au carrefour des enjeux de la jeunesse
Un des jeunes habitants pose devant la tiny house qu'il habite. © Un Toit en Gâtine / UNHAJ

Marianne Auffret répond aux questions de Bastien Engelbach de la Fonda.

Pouvez-vous présenter l’UNHAJ en quelques mots ?

L’Union nationale pour l’habitat des jeunes regroupe 300 adhérents qui sont porteurs du projet « Habitat Jeunes ». Chaque année, 90 000 jeunes sont accueillis dans les 45 000 logements du réseau. Les séjours sont assez courts (7 mois en moyenne), car il s’agit de logement temporaire. Ce délai s’allonge néanmoins avec la précarisation des jeunes.

Le projet s’inscrit à la croisée de plusieurs politiques publiques : jeunesse, logement, éducation populaire, action sociale, Économie sociale et solidaire, aménagement du territoire, autant de champs avec des cultures de travail, des identités professionnelles et des histoires très différentes.

Comment s’est opéré le passage de l’Union nationale des foyers jeunes travailleurs (UFJT) à l’UNHAJ ?

Depuis sa création en 1955, on a assisté à une diversification des solutions proposées aux jeunes, à travers notamment l’implantation de microrésidences ou le développement d’une activité de services logement, des dispositifs d’accueil et d’orientation pour répondre à la demande sociale.

Après la guerre, les foyers jeunes travailleurs servaient à rapprocher les jeunes — pour la plupart des hommes — des endroits où il y avait du travail. Ils y restaient généralement jusqu’au mariage. Le contexte social a évolué, avec des répercussions sur la jeunesse : le plein emploi a cessé, les structures familiales sont devenues moins linéaires, la formation a évolué… Les foyers ont accueilli des publics différents.

L’UFJT est ainsi devenue l’UNHAJ en 2007. Il s’agissait à la fois de mieux refléter la diversité des publics accueillis, celle de l’offre de logement, de souligner par l’emploi du mot habitat l’inscription du projet dans un territoire, mais aussi d’améliorer l’image des foyers de jeunes travailleurs, en mettant en avant l’objectif d’émancipation qui fonde le projet du réseau.


Comment l’UNHAJ s’inscrit-elle dans les mouvements d’éducation populaire ?

L’UNHAJ est issue de différents mouvements parmi lesquels plusieurs se reconnaissent dans le cadre intellectuel et pratique de l’éducation populaire.

Ainsi, le bâti, les murs, sont des outils concrets sur lesquels on s’appuie pour créer les conditions de l’autonomie et apprendre à vivre et délibérer ensemble. J’insiste sur la notion de délibération, à l’heure où le système démocratique est en panne, particulièrement au sein de la jeunesse. Rares sont les espaces où les jeunes sont amenés à devoir s’organiser avec d’autres, parfois très différents d’eux, pour prendre des décisions, vivre ensemble.


Quelle est la position de l’UNHAJ face à la politique du «Logement d’abord» ?

Lors du lancement du plan « Logement d’abord » en 2017, l’UNHAJ s’est interrogée sur son inscription dans cette dynamique.

D’un côté, nous affirmons depuis longtemps qu’il est absolument essentiel pour vivre d’avoir un toit sur la tête ! C’est en ce sens conforme au paradigme du « Logement d’abord ».

Mais nous nous en distinguons d’un autre côté, car nous ne pensons pas qu’il faille déterminer ce qu’il faut « d’abord ».
Nous envisageons plutôt les choses sous la forme d’interactions, sans ordonnancement entre la sécurité du bâti et la sécurité psychique et existentielle qui nous situe au monde, notamment à travers l’emploi, la formation ou même simplement le lien aux autres et à l’environnement.

Quel est le profil des jeunes accueillis ?

Les profils sont divers. Le brassage social est notre marque de fabrique, notre idéal et notre outil au quotidien.

Il y a à la fois des jeunes qui travaillent ou cherchent un emploi et des jeunes en formation, des étudiants, des apprentis, des alternants.

Le plafond des revenus est défini par celui du prêt locatif aidé d’intégration. ⅓ des jeunes dispose de ressources mensuelles inférieures à 460 € ; ⅓ a plus de 950 €. Les ¾ des résidents en 2019 étaient sous le seuil de pauvreté, fixé en dessous de 1000 €, contre 1 jeune sur 5 en France.

Le réseau loge également environ 20 % de jeunes dits vulnérables, qui ont eu des trajectoires parfois assez périlleuses, comme c’est le cas les jeunes ayant eu un parcours au sein de l’aide sociale à l’enfance et parmi eux les mineurs non accompagnés (MNA).

Il y a 70 % de garçons. Plusieurs facteurs sont à l’origine de ce déséquilibre, qui tient à la nature de nos publics : beaucoup de MNA sont des garçons ; les apprentis sont majoritairement des garçons également. Une autre explication peut résider dans une certaine représentation qu’on peut avoir des foyers de jeunes travailleurs.

À l’issue de notre prochain congrès, un travail important sera effectué sur ces sujets.

Sur quoi l’accompagnement des jeunes porte-t-il ?

C’est un accompagnement global, socio-éducatif, qui porte sur des questions de santé, d’alimentation, de formation, d’apprentissage de la vie collective. Tout ce qui fait la vie des humains et de la jeunesse en particulier.

Il s’agit d’une intervention basée historiquement sur l’animation du collectif. L’accompagnement individuel s’est développé notamment auprès des publics plus précaires.


Quel est le rôle que joue l’UNHAJ dans les politiques de jeunesse ?

Notre fonction de plaidoyer est centrale, elle est au cœur de notre activité. Nous sommes reconnus sur ce champ : nous siégeons au Comité d’orientation des politiques de jeunesse et au Conseil économique social et environnemental.

Nous avons des relais concrets pour à la fois porter la parole du terrain et l’alerter en retour sur les grandes orientations dessinées par l’État et permettre le débat. Le chemin est long, mais nous commençons à voir émerger la prise de conscience par les pouvoirs publics que sans volet logement, le déploiement de l’apprentissage par exemple ne peut pas bien fonctionner.

À l’inverse, les récentes annonces sur le contrat d’engagement ne nous satisfont pas : la forte dimension de contrepartie et l’insuffisance numérique des jeunes que cette réforme toucherait ont été des annonces décevantes. Nous portons depuis toujours la nécessité absolue pour la jeunesse de disposer de ressources suffisantes et stables.

Quelles sont les démarches innovantes que porte actuellement l’UNHAJ pour répondre à de nouveaux besoins ?

Nous venons de sortir un guide à ce sujet qui répertorie et monographie les différentes façons dont le FJT historique s’est diversifié.
Chaque solution innovante tient compte des spécificités du territoire où elle se situe.

Dans les territoires ruraux par exemple, certains adhérents ont monté des programmes de tiny house — petite maison en habitat démontable. Nous avons aussi développé les microrésidences, des résidences intergénérationnelles, de l’hébergement chez l’habitant et de la colocation.

Il y a également une réflexion sur l’accueil des alternants, car ceux-ci ont parfois plusieurs lieux d’habitation et cela peut générer de la vacance et nécessiter un accompagnement spécifique.

La question de l’échelle et de la taille critique se pose également dans les pratiques de l’accompagnement. Comment maintenir l’accompagnement du groupe par le groupe et maintenir une logique collective au sein de logements en diffus ?

L’UNHAJ est un réseau multiple, au croisement de plusieurs enjeux. Comment se structure sa démarche partenariale ?

Nous devons engager des coopérations avec les élus locaux qui sont porteurs des besoins des territoires, avec les acteurs économiques et de la formation, et avec les bailleurs — la majorité des adhérents sont locataires de bailleurs sociaux. Il nous faut établir les conditions d’un dialogue sincère entre les parties prenantes.
 
Il s’agit de déployer une méthode pour permettre à chacun d’établir ses besoins et de dépasser les éventuels antagonismes. Nous avons appelé cela la maîtrise d’ouvrage collective (MOC) qui est le moment fondateur où l’on décide ensemble de ce que l’on doit faire sur le territoire.


Quelles sont les répercussions du COVID-19 sur l’action de l’UNHAJ ?

Dans les résidences, les jeunes travailleurs ne sont pas rentrés chez leurs parents autant que les étudiants. La présence des salariés dans les structures a été essentielle pour accompagner les jeunes dans cette période singulière. Ils ont déployé des techniques d’animation et d’entraide qui ont participé à renforcer les compétences psychosociales des jeunes.

Savoir être là, au sens fort de la présence, est un motif central de l’accompagnement socio-éducatif et un vrai savoir-faire du réseau.

Du côté de la tête de réseau, nous avons activé des dispositifs de présence en ligne sous différentes formes qui ont donné lieu à des liens forts avec les équipes et les jeunes, qui ont perduré dans l’après-confinement du printemps 2020.

Beaucoup de responsables de résidences ne savent pas qu’ils sont une formidable machine à fabriquer de la santé publique. Ils se vivent comme des moteurs d’insertion, d’autonomisation. Mais ils sont aussi des acteurs de santé publique, car ils agissent sur les déterminants sociaux et sur les comportements des jeunes adultes à un moment que l’on sait crucial en santé publique.
 

 

Entretien