Gouvernance Enjeux sociétaux

L’urgence du changement

Tribune Fonda N°200 - Regards croisés - Décembre 2009
Jean-Claude Dumoulin
Entretien avec Jean-Claude Dumoulin, trésorier de l'Avise, sur la place des femmes dans l'ESS et du besoin de formaliser des contraintes librement consenties pour favoriser l'égalité entre les femmes et les hommes dans les structure associative.
L’urgence du changement

Jean-Claude Dumoulin a été directeur général de l’Union des foyers de jeunes travailleurs (devenue Unhaj). Il a aussi été président du Fonjep, du Cnajep, membre du Cnva et administrateur de la Cpca. C’est à ce titre qu’il a été un des principaux acteurs de la négociation de la charte des engagements réciproques signée entre les coordinations associatives et l’état le 1er juillet 2001. Il est actuellement trésorier de l’Avise.

Rédaction : Vous avez un parcours associatif très riche. Quel regard portez-vous sur la place des femmes dans la vie associative ?

Jean-Claude Dumoulin : Elle est insatisfaisante ! Alors que dans les champs politique, économique et social, la question de l’égalité homme femme semble être posée un peu plus fermement qu’hier, que la parité est promue, que des règles contraignantes sont mises en place pour y parvenir, j’ai le sentiment que, dans le champ associatif, terreau démocratique et de transformations sociales, ça ne pousse pas vite… Les statistiques en la matière le confirment : des progrès sont perceptibles mais lents, et toujours marqués par le fond culturel ancestral et l’expression qu’il trouve dans nos pratiques quotidiennes. Un exemple significatif tiré de ces statistiques : « Parité presque parfaite pour l’ensemble des trois premiers dirigeants », nous disent-elles… mais écart sensible entre hommes et femmes à l’avantage des premiers pour les postes de président et de trésorier et prévalence des femmes au poste de secrétaire… Le vieux fond est là. L’empreinte. Elle reste très perceptible en nous, les hommes, mêmes chez ceux d’entre nous qui semblent les plus déterminés à rompre avec l’impératif archaïque. Au détour d’une phrase, d’un argument, un comportement apparemment banal… elle est là. Ce qui complique les choses, c’est que les meilleures intentions, des arguments « incontournables » émanant aussi des femmes elles-mêmes peuvent contribuer à éviter ou à différer la reconnaissance effective de l’égalité entre les genres. Il existe toujours quelques bonnes raisons institutionnelles, un contexte etc. et même des raisons de fond.

Un exemple. Je me souviens en 92, au Fonjep. Il faut avoir en tête que c’est un organisme cogéré par l’état et les associations adhérentes et présidé par un associatif. élu comme tel quatre ans plus tôt il fallait penser à ma succession. Nous avons donc convenu avec les membres associatifs du conseil d’administration de déterminer des critères pour choisir la personne ad hoc. Dès le premier tour de table j’ai fait valoir comme critère majeur que la présidence soit assumée par une femme, en insistant sur le pas en avant qu’un tel choix constituerait pour nous, si soucieux d’égalité, de transformation et pour le monde associatif en général. Ma proposition a été largement soutenue, finalement acceptée et quelques mois plus tard une femme m’a succédé à la présidence. Heureuse issue mais qui n’a pas effacé de ma mémoire certains moments clé des délibérations. Je me souviens plus particulièrement d’une intervention très vive, celle d’une femme. Elle m’objectait que promouvoir une femme pour son genre était encore une forme de stigmatisation masculine, une manière un peu machiste, de répondre à la discrimination dont elles faisaient l’objet. J’étais sensible à son argument, et je lui ai dit, mais plus encore au différemment qu’il générait. Nous nous sommes accordés là-dessus.

Une chose encore tirée de mon expérience associative. Même quand cette discrimination semble vaincue, rien n’est joué. Qu’une femme accède à une présidence, il sera convenu de dire : « Elle est excellente, remarquable », etc. « Exceptionnelle », pense-t-on… Une justification dont un homme ne semble guère avoir besoin quand il est en passe d’assumer les mêmes responsabilités… En tout cas, pas avec la même insistance. Cette notion d’excellence requise des femmes se retrouve dans ce qui semble parfois fonctionner comme une division sexuelle du travail entre dirigeants et dirigeantes du monde associatif : aux femmes (excellentes, bûcheuses) l’expertise ; aux hommes exercice des responsabilités, du pouvoir et de ses jeux. J’ai pourtant vécu certaines périodes fortes au sein du Cnva pendant lesquelles femmes et hommes assumaient ensemble et l’expertise et l’exercice du pouvoir. L’inégalité entre les hommes et les femmes appauvrit et les femmes et les hommes et les institutions qu’ils font vivre.

Rédaction : Que faire pour répondre à ce constat ?

J-C.D. : Je suis convaincu que, malgré « l’empreinte » et sa constante actualisation, l’égalité entre les hommes et les femmes est voulue par une large majorité de militantes et militants bénévoles ou salarié(e)s du monde associatif. Encore faut-il qu’ils et elles aient l’occasion de lui donner réalité. Deux instruments peuvent y concourir. Le débat et la contrainte. Le débat peut relever de la culture, des pratiques spécifiques d’une association. C’est en organisant un débat interne large et suivi qu’elle pourra se donner ses propres contraintes librement consenties (par exemple, l’inscription de l’égalité femme/homme dans ses statuts avec alternance femme/homme à la présidence, la trésorerie, le secrétariat, la direction salariée) et intégrer l’ensemble des obligations envisagées de la charte de l’égalité entre les hommes et les femmes. Quand la pratique du débat interne est incertaine, il faut tenter de le susciter et de l’alimenter de l’extérieur. Des travaux de la Cpca et des coordinations qu’elle regroupe pourraient y contribuer dans lesquels et des femmes et des hommes construiraient ensemble un dispositif support au dialogue avec les associations concernées. Et si ce n’est pas suffisant, la contrainte. La contrainte extérieure. Mais commençons très vite par le débat, le dialogue, l’égalité construite et vécue ensemble.

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