Associations et entreprises Enjeux sociétaux

ONG et entreprises, un long travail de conviction

Tribune Fonda N°227 - Transition écologique, la fin d’un monde - Septembre 2015
Charlotte Debray
Charlotte Debray
Il est difficile d’imaginer aller vers des usages respectueux de l’environnement sans convaincre le monde économique d’y participer, et pas seulement celui relevant de l’économie sociale et solidaire. Analyse des politiques et modes d’action du WWF et de Greenpeace.

Deux associations environnementales d’envergure internationale, le WWF et Greenpeace ont été consultées par la Fonda fin 2012 : comment envisagent-elles les relations avec les entreprises, comment entraîner l’ensemble des acteurs économiques vers une économie durable, qui préserve les ressources et minimise son empreinte écologique. Car il faut que les entreprises qui adhèrent à ce projet puissent préserver leur rentabilité : inutile d’essayer de les convaincre, si la pérennité de leur existence est en jeu.

Greenpeace est une ONG de défense de l’environnement, qui dispose d’une vingtaine de bureaux locaux et d’une coordination générale dont le siège est à Amsterdam. Elle est indépendante de tout financement par une personnalité morale, publique ou privée. Cette indépendance est essentielle pour préserver sa liberté de parole et d’action. Ainsi, environ 150 000 donateurs particuliers la soutiennent, le don maximum autorisé étant de 5 000 € (les grands donateurs). Cependant ces dons sont refusés si la fortune des grands donateurs est issue d’activités de spéculation.

Le fonctionnement de Greenpeace est assez pyramidal. Chaque bureau local propose des campagnes, mais a aussi l’obligation de mener certaines campagnes de niveau supérieur, pour en amplifier l’effet. Le directeur général (qui assume la responsabilité juridique de Greenpeace), est nommé par le conseil d’administration, lui-même élu par l’assemblée statutaire.

Greenpeace a une image d’ONG radicale, encline à la désobéissance civile et à l’opposition frontale. C’est partiellement fondé, mais généralement mal compris quand il ne s’agit pas de défense des droits sociaux : bien souvent, l’ONG est attaquée au pénal, ou au civil. Or, la partie la plus importante de son action est axée sur le développement d’une expertise et sur le plaidoyer en faveur de la protection de la nature. Le positionnement de Greenpeace sur le nucléaire est radical, mais son discours a sensiblement évolué ces dix dernières années.

Désormais, Greenpeace considère qu’ « on peut sortir du nucléaire en vingt ans ». La période de transition énergétique s’accompagne donc de plus en plus d’alliances avec des entreprises pour lutter contre le nucléaire.
De son côté, le WWF est un des plus gros réseaux environnementaux, qui existe depuis cinquante ans et a adopté un positionnement différent de celui de Greenpeace, ou des Amis de la terre. Implanté à l’international, il est constitué de bureaux nationaux. Chaque bureau est relativement indépendant, dans le cadre d’une stratégie commune. En France, le personnel est important : 90 salariés, dont une majorité de scientifiques. Le budget du WWF France est de 17 millions d’euros, dont 25 % venant des entreprises.
 

Comment agir ensemble ?

WWF travaille avec le monde de l’entreprise depuis toujours : il y a cinquante ans, c’était exclusivement dans une relation de mécénat. Avec la meilleure prise en compte des enjeux écologiques, il a fallu travailler de manière plus globale. L’entreprise autrefois vue comme un simple bailleur de fonds, est devenue une cible à accompagner pour améliorer ses pratiques et diminuer son empreinte écologique. L’approche est ambitieuse, il s’agit d’engager le secteur privé à diminuer son impact sur l’environnement ; sans cet engagement, aucune alliance ne peut être conclue. Pour accompagner les entreprises, le WWF s’est doté de moyens conséquents : l’équipe « relations entreprises » du WWF est composée de 14 personnes et de 4 stagiaires.

Essuyant les plâtres, le WWF a poussé la logique d’alliance assez loin. Directeur des relations entreprises depuis octobre 2011, mais au WWF depuis sept ans, Jérôme Dupuis peut témoigner que le sujet a considérablement progressé en très peu de temps, pour faire face à l’accélération des problématiques : de fait, en 2035, il faudrait une planète Terre supplémentaire pour continuer à vivre comme nous le faisons.

Pour contrer cette situation, quatre leviers ont été identifiés :
– préserver et restaurer des écosystèmes ;
– influencer la régulation ;
– changer les comportements ;
– améliorer les moyens de production.

Pour pousser les entreprises à agir dans ces directions, le WWF anime plusieurs types de partenariats :
– coopération technique (accompagnement des entreprises engagées sur la réduction de leur empreinte écologique) ;
– mécénat sur des actions de restauration ou de conservation d’écosystème (avec des entreprises à impact faible ou positif) ;
– opération de « produit partage » (cession de licence pour utiliser le panda) ;
– animation de clubs d’entreprises : le WWF anime une communauté de Pme, qu’il aide à la mise en œuvre de la démarche développement durable en entreprise ;

Quelle que soit leur forme, les partenariats avec le WWF sont régis par trois principes :
– gouvernance : les partenariats sont validés par deux instances, les ressources provenant des entreprises sont plafonnées pour garantir l’autonomie ;
– transparence : les résultats doivent être mesurables, la feuille de route définie en amont fait l’objet d’évaluation par un acteur tiers ; les accords sont cadrés par des conventions de partenariat ;
– communication : elle est centrée sur les axes de coopérations et les résultats, pas sur l’entreprise.

Dans le cas de Greenpeace, une entreprise peut être soit la cible de campagnes, soit une alliée. Même quand une entreprise devient une cible de campagne, il y a toujours une prise de contact en amont avec elle. L’objectif n’est pas de détruire l’entreprise mais de réorienter son activité.

Si l’entreprise est considérée comme une cible (par exemple Bnp, qui finance la construction de centrales nucléaires, ou l’industrie textile qui utilise des produits toxiques), l’ ONG essaye de prendre contact avec elle, d’instaurer un dialogue constructif, pour exprimer ses arguments, comprendre le positionnement de l’entreprise et tenter de négocier. Généralement les négociations restent courtoises et cordiales, sauf dans le cas de l’industrie nucléaire, où les relations restent très tendues.

Si l’entreprise est considérée comme une alliée, là-encore un dialogue s’instaure. Cette phase peut durer de six mois à un an pour travailler le positionnement avant de lancer une campagne commune. Par exemple, avec Saint-Gobain, dans le cadre d’une campagne pour l’isolation et la réduction des émissions de gaz carbonique, des tribunes publiées dans la presse ont été rédigées conjointement.

Des actions de sensibilisation et de collectes dans l’entreprise vont être lancées. Le plus souvent à l’initiative de Greenpeace, il s’agit, via les Comités d’entreprises, de disposer d’un lieu neutre où les salariés sont réunis au même moment, comme le restaurant d’entreprise. Les personnes travaillant au sein de cette Ong sont de plus en plus issues du milieu de l’entreprise. Cela n’était pas le cas encore récemment. Cette nouvelle génération peut changer les stratégies mises en place par l’association. Les prochaines étapes vont consister à développer les actions de lobbying conjoint, comme celle menée avec Carrefour sur la pêche, à développer les coopérations avec d’autres ONG, pour intégrer de nouvelles expertises.
 

Les enjeux des alliances ONG – entreprises pour l’environnement

Pour le WWF, les enjeux sont cruciaux pour notre planète et ils revêtent un caractère d’urgence : il s’agit de diminuer l’empreinte écologique des entreprises, mais aussi de lever des fonds pour mener à bien ses actions. Il existe néanmoins des entreprises dont le WWF refuse de recevoir des fonds (ex : Total). Les entreprises sont choisies dans trois champs prioritaires : matières premières, énergie et climat, et eau. Les plus impactantes pour l’environnement sont ciblées (market transformation strategy). Le WWF s’est concentré sur quelques nœuds de la supply chain (chaine logistique) : en France cela concerne quinze entreprises, dont Danone (pour limiter la culture du soja qui est donné au bétail). Le WWF les accompagne pour leur faire modifier leurs pratiques et a développé de nouveaux standards qui diminuent l’impact de certaines cultures. Avec Orange, par exemple, un outil de mesure de l’impact environnemental de chaque téléphone a été construit.

Par le passé, les entreprises venaient solliciter le WWF, souvent pour utiliser son image. C’est toujours vrai, mais l’association considère qu’il faut en faire une force, pas une contrainte. Il y a de toute façon des enjeux business forts pour les convaincre : les risques de rupture d’approvisionnement en matières premières sont réels, par exemple ! Le WWF a une expertise que l’entreprise n’a pas. Les actions menées avec l’association contribuent à la gestion des risques, et permettent d’optimiser le fonctionnement de l’entreprise, des approvisionnements à la distribution, en passant par leurs enjeux de réputation. Le retour sur investissement n’est pas forcément financier, mais les entreprises savent que la pression des ONG et de l’opinion publique peut être forte, elles sont anxieuses d’éviter des coûts de dysfonctionnement, et de sécuriser le transport des matières premières…

Pour Greenpeace également, l’objectif n’est pas de détruire l’entreprise mais de réorienter son activité, pour préserver l’environnement et éliminer les comportements dangereux. Le refus de dialogue vient souvent des entreprises. Greenpeace n’a rien à perdre, contrairement aux entreprises avec lesquelles l’ONG entre en contact. In fine « chacun joue sa partition ». Sur certaines campagnes, les alliances avec des entreprises sont pertinentes. L’expertise scientifique, notamment sur le nucléaire, a permis une plus grande prise en compte des arguments avancés par Greenpeace. La reconnaissance de l’expertise de Greenpeace est donc un élément clef pour faire passer son message associatif.

La position de Greenpeace va évoluer sur le sujet de la transition énergétique, ce qui va changer les logiques de partenariat avec les entreprises. Par exemple avec Rte , Greenpeace entre dans un jeu institutionnel, en participant à certaines plateformes de négociation, et en acceptant que la sortie du nucléaire se fasse en vingt ans. Les entreprises ont tout intérêt à collaborer avec Greenpeace ne serait-ce que pour éviter une campagne médiatique pouvant considérablement nuire à leur image. A contrario, travailler avec cette ONG permet souvent de valoriser l’entreprise via les actions de communication. L’indépendance totale est une condition sine qua none pour mener à bien la mission que s’est fixée l’association, que cela soit sur un plan économique ou politique. En sensibilisant les entreprises à certaines questions environnementales, Greenpeace peut entraîner un changement de pratiques. Ce changement va dans le sens de plus de responsabilité éco-citoyenne.
 

Conclusion

L’expertise de Greenpeace, conjuguée à sa capacité à mobiliser l’opinion publique font sa force. Le levier médiatique, de même que les pétitions en ligne et les réseaux sociaux auxquels il est souvent associé n’est pas encore assez activé dans d’autres secteurs associatifs.

Chez WWF la typologie des partenariats est en évolution permanente, et le positionnement est réinterrogé périodiquement. Les relations entre le WWF et les entreprises ont beaucoup évolué et sont passées de la coexistence à une véritable co-construction.

On le voit, les actions de ces grandes associations en direction des entreprises, sont bien plus variées et plus approfondies que l’image un peu caricaturale transmise par les médias que l’on conserve habituellement. Elles sont engagées dans des partenariats sur le travail de production, sur l’expertise scientifique et économique, sur l’aide et le conseil, beaucoup plus que dans des affrontements qui se révèlent stériles, voire contre-productifs.
 

Cas pratiques et initiatives
Focus