Associations et entreprises

Quelles actions des entreprises pour les ODD ?

Tribune Fonda N°242 - Favoriser l'accès de tous à l'éducation - Juin 2019
Fella Imalhayene
Fella Imalhayene
De quelle manière les entreprises se saisissent-elles de l’Agenda 2030 ? En quoi la prise en compte des Objectifs de développement durable (ODD) peut-elle nourrir l’utilité sociale de l’entreprise ? Peut-on concilier business et développement durable ? Quels partenariats construire entre entreprises et associations pour atteindre ensemble les ODD ?
Quelles actions des entreprises pour les ODD ?

Fella Imalhayene, déléguée générale du Global Compact France, répond aux questions de Bastien Engelbach, coordonnateur des programmes de la Fonda. La synthèse de cet entretien est assurée par Claire Rothiot, chargée de communication de la Fonda.

Qu’est-ce que le Global Compact ?

Il s’agit d’un mouvement d’entreprises engagées en faveur du développement durable. Il a été créé dans les années 2000 sous l’impulsion du secrétaire général des Nations unies de l’époque, Kofi Annan, qui est parti du constat que la réponse aux grands enjeux internationaux (inégalités, problématiques écologiques, etc.) ne pouvait être apportée par les États seuls. La création du Global Compact, sous l’égide de l’ONU, était un appel lancé au monde privé, et notamment des entreprises1 , dans le but de réunir autour de la table États et société civile pour chercher ensemble des solutions aux problèmes à résoudre.

À l’aide d’une équipe de juristes, Kofi Annan a produit un texte, articulé autour de dix principes universels relatifs au droit international du travail, aux droits de l’Homme, à l’environnement, à la lutte contre la corruption… que les entreprises sont invitées à respecter. Les entreprises qui rejoignent le mouvement, quels que soient leur taille et l’endroit où elles sont implantées, doivent témoigner, d’année en année, d’une démarche de progrès.Cette notion est importante : l’adhésion au Global Compact ne vise pas à certifier d’un engagement sociétal ou environnemental, mais à s’inscrire dans une démarche de progrès.

Avec le lancement de l’Agenda 2030 et des Objectifs de développement durable (ODD) en 2015, le Global Compact a été désigné pour être l’acteur en charge de sensibiliser les entreprises aux ODD, afin qu’elles s’en saisissent et les intègrent à leur modèle économique et à leurs objectifs stratégiques. En effet, l’inscription des Objectifs de développement durable dans le projet des entreprises est une suite logique à leur engagement à respecter les dix grands principes du Global Compact. Ainsi aujourd’hui, l’organisation conçoit et diffuse un grand nombre d’outils et de ressources à destination des entreprises pour leur permettre de saisir les grands défis à relever et inscrire leur action dans l’Agenda 2030 en mobilisant les ODD.

Le Global Compact existe dans soixante-dix pays, chaque entité étant en lien avec le siège, basé à New York. Le Global Compact France prend la forme d’une association loi 1901, passée de cinq cents membres fin 2017 à plus de mille cent aujourd’hui.
 

Comment les entreprises intègrent- elles les ODD à leur projet stratégique et à leurs actions ?

Pour beaucoup d’entreprises, cette démarche consiste à mettre en regard leurs actions et la grille des ODD. Bien souvent, la politique RSE2 , mise en œuvre par beaucoup d’entreprises, est révisée pour répondre aux ODD. Il s’agit d’avoir une lecture nouvelle du projet et de l’évaluer en fonction des objectifs et indicateurs de développement durable issus de l’Agenda 2030. Après avoir identifié quels sont les ODD qui les concernent et qu’elles peuvent relever, les entreprises s’interrogent sur l’impact positif ou négatif de leurs activités, et peuvent ainsi questionner et réajuster leurs priorités afin de concourir à la réalisation de ces ODD.

D’autres entreprises, plus avant-gardistes, se saisissent des ODD pour définir leur stratégie RSE ou, même, leur stratégie « business ». Pour ces dernières, les enjeux qui sous-tendent les ODD renvoient à la mise en œuvre d’activités, d’arbitrages et d’une politique de développement durable cruciale pour la pérennisation de leur modèle économique, tout en ayant un impact neutre ou positif sur les sociétés et l’environnement.

Le message du Global Compact va dans ce sens. Contribuer à l’Agenda 2030 n’est pas une injonction coercitive, mais ouvre à de nombreuses opportunités «business» : s’intéresser aux ODD, c’est découvrir qu’il y a de nouveaux produits et services à créer, tout en s’inscrivant dans une démarche éthique. La grille de lecture et les indicateurs qu’offre l’Agenda 2030 sur les enjeux du développement durable permettent aux entreprises de mieux saisir l’impact de leurs actions tout en leur fournissant des leviers pour réajuster leur stratégie.

Dans cet objectif, le Global Compact France met à disposition trois outils qui permettent :

1. d’expliquer aux entreprises, grâce au guide SDG Compass, comment aligner leurs stratégies avec un ou plusieurs ODD et mesurer leur contribution ;
2. d’expliquer aux entreprises comment rendre compte de leur action dans le cadre de l’Agenda 2030, avec un outil nommé Business Reporting on the SDGs ;
3. d’expliquer aux entreprises comment communiquer auprès des investisseurs sur les ODD.


Pour quelles raisons les entreprises décident-elles de rejoindre le Global Compact, et de se saisir des ODD ?

Les entreprises qui choisissent de rejoindre le Global Compact viennent en effet de plus en plus « chercher les ODD ». Le langage commun international que constituent les ODD les intéresse particulièrement. Grâce à cet outil, les entreprises peuvent échanger entre elles autour de leurs pratiques et de la manière dont elles inscrivent leurs actions dans l’Agenda 2030.

S’il y a un effet de communication produit par la valorisation des actions mises en place par l’entreprise à la lumière des ODD, ceux-ci ne sont pas seulement un «tampon», un « label » qui viendrait certifier sa démarche d’engagement en faveur du développement durable. Les ODD sont un véritable outil pour l’évaluation et la construction des actions de l’entreprise.

Les dirigeants d’entreprise sentent que le monde est en train de changer, que les questions sociales et environnementales sont au cœur des crises actuelles, et que la prise en compte du développement durable et des ODD, la mise en œuvre d’une démarche RSE, seront bientôt incontournables, notamment dans le dialogue entre l’entreprise et ses parties prenantes (investisseurs, fournisseurs, État…). Cela se traduit déjà pour les grandes entreprises par des obligations législatives, mais aussi, soulignons-le, par une conviction accrue des dirigeants de conduire des activités responsables et durables. Les TPE/PME, non soumises à ces obligations légales, ont besoin d’être convaincues des avantages à passer aux ODD.

C’est tout l’enjeu de l’action du Global Compact. La dynamique est en marche, aussi nos ateliers « ODD et entreprises : le B-A-BA» et «ODD : aller plus loin» sont- ils pris d’assaut.
 
L’étude « ODD et entreprises » menée par le Global Compact France, dont les résultats ont été publiés le 25 juin 2019, donne plus d’enseignements sur les raisons amenant les entreprises à se saisir des ODD.


Comment les entreprises se saisissent-elles de l’ODD n°17, qui concerne les partenariats ?

La question des partenariats a été abordée par le Global Compact au niveau mondial dans le cadre d’un rapport intitulé « Global Opportunity Report 2016 », abordant les opportunités liées aux dix-sept ODD. Ce rapport a pour but d’inspirer les dirigeants, les politiques et la société civile afin qu’ils convertissent les risques mondiaux en opportunités d’action collective. Le Global Compact entend ainsi favoriser l’émergence de nouvelles formes de partenariats entre les entreprises et la société civile.

Pour beaucoup d’entreprises, les partenariats sont une évidence et sont présents dans toutes leurs activités. Aussi l’ODD n°17 en tant que tel 3  est-il rarement pris en compte par les entreprises comme un enjeu à traiter ou un levier dont il faut se saisir pour se développer.

Quelques exceptions cependant : certaines entreprises utilisent l’ODD n°17 pour se mettre à plusieurs autour de la table et traiter de problématiques qu’elles ont en commun en annulant l’aspect compétitif. Par exemple, des entreprises productrices de gels hydro-fluoro-carbures, qui produisent beaucoup de gaz à effet de serre, vont décider de chercher des solutions ensemble à ce problème, au nom de l’intérêt général, des ODD.

Plus globalement, le partage de problématiques communes peut amener des entreprises à s’associer, comme le fait par exemple Odial Solution (PME de quarante-huit salariés) qui a monté un partenariat avec trente-cinq PME africaines pour fournir l’accès à l’eau potable à plus de cinquante millions de personnes dans des zones rurales.

Il existe enfin des entreprises familières du monde onusien pour qui l’ODD n°17 est central, car elles agissent en permanence en partenariat pour apporter des réponses aux grands enjeux sociaux ou environnementaux, par exemple les problématiques de nutrition, ou les problèmes d’accès à l’eau… Pour elles, les ODD sont pleinement intégrés à la réflexion autour du modèle économique et au pilotage stratégique des activités.

Il y a encore beaucoup de travail de pédagogie à faire en la matière. Aujourd’hui, les entreprises agissent « naturellement » en partenariat sans avoir pris la mesure des opportunités qu’une politique d’alliances pourrait apporter, par exemple sur le champ de l’innovation.


En quoi les ODD peuvent-ils permettre aux associations d’opérer des rapprochements avec des entreprises auprès desquelles trouver un soutien pour renforcer l’impact de leurs actions ?

Lorsqu’elles souhaitent inscrire leurs activités dans une démarche responsable et durable, les entreprises peuvent faire appel aux associations afin de bénéficier de leur expertise. Par exemple, une entreprise conduisant son activité dans une zone protégée pourra s’adresser à une association afin d’être formée sur les problématiques liées à la biodiversité et  à la protection des espaces. Plus on fera monter en compétences les acteurs sur les ODD, quelle que soit leur taille, plus on parviendra à les convaincre de l’importance de tisser des partenariats pour créer de nouvelles solutions et à pérenniser leur modèle économique.

De plus en plus, les acteurs de la société civile sont sensibilisés à l’Agenda 2030 et incités à s’en saisir. Toutes les parties prenantes de l’entreprise sont ainsi amenées à rendre des comptes et dire ce qu’elles font en matière d’ODD.

On ne peut qu’encourager les associations à adopter les ODD comme langage pour dialoguer avec l’entreprise et les autres parties en présence. Les associations sont bien souvent, dans leur activité, de véritables acteurs de la mise en œuvre des ODD: elles sont ainsi bien placées pour interpeller les entreprises et les inciter à intégrer l’Agenda 2030 dans leurs statuts, au sein de leur « raison d’être » 4 , comme l’a fait Veolia par exemple.

Nous invitons néanmoins les associations à avoir confiance en la démarche d’une entreprise qui commence à se saisir des ODD. Les associations manifestent parfois des doutes sur l’honnêteté de l’entreprise qui n’utiliserait les ODD qu’à des fins de communication, d’« ODD washing ». Le monde de l’entreprise progresse pas à pas sur le sujet, comme le font les autres acteurs de la société civile. C’est un mouvement en marche qu’il faut entretenir.

À titre d’information, nous invitons les responsables associatifs à consulter la plateforme Global Impact +7, sur laquelle on peut découvrir, ODD par ODD, des exemples d’actions et de bonnes pratiques mises en œuvre par les entreprises.

En savoir plus : www.globalcompact-france.org
 

 

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  • 1Les entreprises sont en particulier ciblées et l’accompagnement proposé est davantage adapté à leurs besoins, mais le Global Compact est ouvert à d’autres organisations : associations, universités, collectivités territoriales…
  • 2Responsabilité sociale et environnementale
  • 3Dans un rapport annuel par exemple, elles préféreront présenter leurs activités ODD par ODD en mentionnant, à chaque fois, les partenariats mis en œuvre.
  • 4 Promulguée en mai 2019, la loi Pacte introduit désor- mais dans le droit la notion d’intérêt social de l’entreprise et qu’elle reconnaît la possibilité aux sociétés qui le souhaitent de se doter d’une raison d’être dans leurs statuts.
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