Innovation sociale Économie sociale et solidaire

Revitaliser les campagnes déshéritées [Initiative]

Tribune Fonda N°245 - Associations et collectivités - Mars 2020
La Fonda
Et Claire Rothiot, Villages vivants, Comptoir de campagne
Face au phénomène de désertification de certaines zones rurales, des solutions pertinentes se déploient, à l'instar de celles proposées par Villages Vivants et Comptoir de Campagne.
Revitaliser les campagnes déshéritées [Initiative]
Balade urbaine à Die (Drôme). © Villages Vivants.

Cet article propose de découvrir l’action de deux entreprises sociales et solidaires1 , pour redynamiser ces territoires, en lien étroit avec les collectivités et les habitants. La première, Villages Vivants, achète des locaux et facilite l’installation d’activités créatrices de lien social. La seconde, Comptoir de campagne, installe des magasins commercialisant des produits locaux, offrant des services de proximité et proposant une offre de petite restauration.

La Fonda remercie Raphaël Boutin-Kuhlmann, cogérant de Villages Vivants, et Pierre Cohin, responsable marketing de Comptoir de Campagne, pour leur disponibilité et leurs réponses à nos questions. Cet article croisé a été écrit par Claire Rothiot, chargée de communication de la Fonda.


Redynamiser le tissu social local


En zone rurale, une commune sur deux n’a pas de commerce de proximité2 . Même dans des villes de taille intermédiaire, le nombre de commerces diminue depuis plusieurs années, de même que les services publics. Ce phénomène pénalise les  personnes ayant des difficultés de mobilité, réduit les espaces de vivre-ensemble entre les habitants. Une récente étude du Conseil d’analyse économique3 , confirme ainsi que la qualité du lieu de vie, de l’environnement local, notamment l’accès aux services collectifs, sont le ferment du tissu social local et agissent sur le bien-être des habitants.

En réponse, on voit se développer des initiatives citoyennes visant à revitaliser le tissu local en proposant des alternatives innovantes, qui redynamisent l’économie locale et s’inscrivent dans une dimension écologique et sociale. Développement des circuits courts, valorisation des producteurs bio locaux, création de cafés associatifs… Les habitants et les collectivités impulsent des projets pour renforcer l’accès aux services et aux activités, recréer de la proximité et du lien social. Ces préoccupations, Villages vivants et Comptoir de Campagne les partagent depuis longtemps. En 2015, chacune de ces structures, de son côté, mûrit son projet.


À Crest, dans la Drôme, les cofondateurs de ce qui deviendra Villages Vivants, Sylvain Dumas et Raphaël Boutin-Kuhlmann, se rencontrent autour de la réhabilitation d’une usine désaffectée en tiers-lieu4 . Ils convergent autour d’un même constat : les « beaux projets » qui pourraient revitaliser le territoire sont nombreux. Cependant, les personnes qui les portent se heurtent à des freins majeurs : la capacité à acheter et faire des travaux, mais également la difficulté de se faire accompagner et de convaincre les banquiers de soutenir un projet alternatif.

Aussi, Villages Vivants, se constituant en foncière solidaire, achète et rénove-t-elle des locaux. Après l’avis d'un comité d'expert bénévole, et en partenariat avec des structures spécialisées dans l'accompagnement (Grap, Initiative, Adie, Grenade...), la foncière accompagne des collectivités dans leurs démarches de revitalisation du territoire ou des individus dans leur projet d’installation en leur offrant une année de loyer gratuit. Le projet doit être social et solidaire, et favoriser les rencontres entre habitants. Depuis 2015, Village Vivants s’est développé grâce à une levée de fonds conséquente. La coopérative a rendu possible l’ouverture d’une boutique à Crest – où se situent également les locaux de l’entreprise –, d’une librairie en SCIC à Trévoux (Ain) et d’une auberge coopérative à Boffres (Ardèche).

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Librairie à Trévoux (Ain). © Villages Vivants.

 

C’est lors d’un marathon de l’innovation5  autour de l’enjeu de revitalisation des territoires ruraux, organisé dans la région lyonnaise, que Virginie Hils dessine les premières lignes de ce qui deviendra Comptoir de Campagne. L’idée est de réimplanter les services du quotidien dans les zones rurales déshéritées et de participer à son attractivité. La réflexion se concrétise en février 2016, avec l’ouverture d’un premier Comptoir à Champdieu (Loire), dans le cadre d’un partenariat tissé avec la mairie.

S’inspirant du modèle des conciergeries, Comptoir de Campagne a pour projet l’installation de commerces hybrides, réunissant à la fois épicerie de produits locaux, petite restauration, services de proximité (Poste, guichet SNCF, point d’accès à Internet, cordonnerie, pressing…) et la mise à disposition aux professionnels d’une salle multiservices (coiffure, ostéopathie, médecines douces, etc.). Des emplois sont créés pour gérer les Comptoirs. L’objectif est de faire de ces derniers de véritables « lieux de vie » où chacun se croise, prend un café ou profite des rencontres habitants-producteurs, des animations et des temps d’échange. Depuis, huit autres comptoirs ont ouvert leurs portes, dans la Loire, le Rhône et l’Isère.

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Comptoir de Boisset-St-Priest (Loire). © Comptoir de Campagne.


Des espaces ouverts sur leur territoire


Les locaux qu’achète et rénove Villages Vivants sont, pour la Scic, des « biens communs » ouverts à tous. Les projets d’installation que la coopérative accompagne doivent avoir cette dimension, pour faire des lieux des espaces de vie et de solidarité. Villages Vivants soutient ainsi le porteur de projet locataire dans ses activités visant à revitaliser le village, en lien avec les associations, la mairie et les autres commerces. Les habitants eux-mêmes sont invités à prendre leur part au projet, en investissant dans la foncière solidaire, en donnant leur avis sur le projet et les activités proposées au sein de l’espace, en participant à des événements (balades urbaines…)

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Balade urbaine à Joyeuse (Ardèche). © Villages Vivants.

 

De son côté, Comptoir de Campagne travaille en lien étroit avec les collectivités, notamment les communautés de communes ou les mairies, afin de définir, grâce à une analyse macro du bassin de vie, les besoins des habitants et ceux des producteurs et fournisseurs locaux, les problématiques d’accès aux services, etc. L’ouverture d’un Comptoir est toujours issue d’une concertation avec la collectivité et d’échanges avec les habitants. Une fois ouvert, d’autres coopérations multiples peuvent s’engager. Le Comptoir peut ainsi proposer à une association d’organiser un événement au sein du commerce, de bénéficier de tarifs réduits sur les produits, etc.


Le choix de l’entreprise


Les deux  initiatives montrent que le modèle entrepreneurial et capitalistique peut convenir au déploiement d’un projet solidaire. Néanmoins, une certaine ingénierie est nécessaire pour parvenir à concilier mobilisation de fonds, objet social et équilibre financier.

D’abord constituée en association, Villages Vivants, dont le modèle économique repose sur la participation des différents acteurs du projet, s’est rapidement tournée vers un statut de société coopérative d’intérêt collectif (Scic). Si la Scic est habilitée à lever des fonds auprès des citoyens – via de l’investissement solidaire – et des collectivités, elle s’appuie sur une société en commandite par action (SCA) pour lever des fonds auprès des banques et autres investisseurs institutionnels et investir dans des SCI. Villages Vivants, enfin, a constitué des sociétés civiles immobilières (SCI) pour acheter et gérer les biens immobiliers. La coopérative s’inspire en cela d’autres foncières solidaires, comme celles des réseaux associatifs Terres de Lien et Habitat et Humanisme.

La gouvernance coopérative et partagée de Villages Vivants, impliquant l’ensemble des acteurs impliqués, permet de garantir et de contrôler le respect des valeurs et de la vision du projet originel. Derrière l’action de Villages Vivants se dessine un vœu social : changer le rapport à l’immobilier, promouvoir des activités locatives porteuses de sens. La priorité pour la coopérative aujourd’hui est de renforcer sa levée de fonds, en parvenant à mobiliser une communauté d’acteurs large et investie autour de son projet.
 

Comptoir de campagne, de son côté, a pris pour forme juridique la société par action simplifiée (SAS), plus adaptée à la gestion d’un commerce. Start-up, elle a été la première entreprise du Rhône à recevoir l’agrément Esus (Entreprise solidaire d’utilité sociale). Son modèle économique s’appuie sur la vente et les prestations de service, mais également sur la réalisation, en prestation, d’études de territoire.

Une autre piste actuellement explorée concerne la logistique et l’approvisionnement : aujourd’hui, un même « acheteur-approvisionneur » achemine les produits de producteurs locaux vers différents comptoirs d’un même territoire. Cette logistique en circuit court pourrait être étendue à d’autres structures et magasins : cantines scolaires, autres commerces de proximité… La rentabilité est nécessaire pour assurer la rémunération des salariés des comptoirs (deux employés par comptoir, à temps plein), de l’acheteur-approvisionneur (un employé par territoire) et celle de l’équipe support basée à Lyon. L’entreprise souhaite, en 2020, déployer ses comptoirs en franchise sociale, et parvenir au nombre de quinze magasins fin 2020. En parallèle, elle s’efforce de maintenir une dynamique « horizontale » dans le pilotage du projet, en favorisant la participation de l’ensemble des parties prenantes dans ses organes de gouvernance.
 

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Comptoir de Boisset-St-Priest (Loire) - Intérieur. © Comptoir de Campagne.


Une véritable aspiration dans les territoires


Malgré leur jeune âge, Villages Vivants et Comptoir de Campagne connaissent un bel accueil sur les territoires et reçoivent déjà de très nombreuses demandes d’accompagnement, émanant de citoyens « porteurs de projets » ou de collectivités. Si cela prend du temps, les deux entreprises veillent à y répondre consciencieusement, en s’appuyant sur différents critères : qualité du projet social, cohérence avec les valeurs, maturité du projet et du business modèle, territoire d’implantation…

Force est de constater qu’il y a une véritable aspiration des collectivités et des citoyens à redonner du dynamisme aux communes et territoires ruraux, et que Villages Vivants et Comptoir de Campagne apportent une solution. Aussi le « passage à l’échelle » des deux initiatives est-il aujourd’hui à la fois un enjeu et un défi.
 


L’évaluation, outil de pilotage


Villages Vivants, comme Comptoir de Campagne, ont lancé, en 2019, leurs premières démarches d’évaluation. Objectif : mesurer leur impact social, non seulement sur les habitants du territoire, mais également sur l’ensemble des acteurs engagés dans leur projet. Les premiers résultats sont attendus prochainement pour Villages Vivants.

Chez Comptoir de Campagne, l’étude auprès des habitants-clients des magasins a permis d’évaluer l’impact de l’action sur le changement de leurs habitudes, le renforcement du lien social et la réduction de la fracture territoriale. C’est sur ce dernier point que les résultats sont les plus probants : les comptoirs constituent une réponse aux personnes ayant une problématique de mobilité, en leur facilitant, désormais, l’accès à différents services. L’évaluation livre d’autres enseignements sur des marges de progrès possibles sur les autres points et constitue en cela un outil de pilotage stratégique important.
 


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Si les deux structures se connaissent, elles n’ont pas encore tissé de liens. Leur approche complémentaire les conduit actuellement à explorer des pistes de coopérations. Dans tous les cas, leurs projets constituent des solutions aux défis des territoires ruraux.

Le gouvernement, via le ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, projette de déployer d’ici 2022 des « maisons France service » dans chaque canton, mais prioritairement dans les zones rurales et les quartiers prioritaires, pour renforcer l’accès des habitants aux services publics. Les initiatives en foncier solidaire proposées par des acteurs du monde de l’ESS sont également étudiées de près, pour lutter contre la spéculation et favoriser l’installation de particuliers.

Les projets de Villages Vivants et de Comptoir de Campagne pourraient-ils aller jusqu’à inspirer les politiques publiques ?

 

Aller plus loin :

→ Villages Vivants 
Comptoir de campagne

 

  • 1Villages vivants, société coopérative d’intérêt collectif (Scic), et Comptoir de Campagne, société par actions simplifiées (SAS) ayant l’agrément « Entreprise solidaire d’utilité sociale (Esus), sont toutes les deux reconnues comme entreprises de l’économie sociale et solidaire (ESS).
  • 2Insee, 2010.
  • 3Note du conseil d’analyse économique n° 55, Territoires, bien-être et politiques publiques, Yann Algan, Clément Malgouyres et Claudia Senik, janvier 2020.
  • 4Aujourd’hui l’Usine vivante : www.usinevivante.org
  • 5Organisé en 2015 par l’agence Waoup, qui accompagne les start-up et porteurs de projets innovants dans leur stratégie et leur méthodologie. https://www.waoup.com/
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