Engagement

Club de lecture sur l'engagement #10 - Synthèse

La Fonda
Et Hannah Olivetti, Hasna Hussein, Anna Maheu
Dans le cadre de l’exercice de prospective « Vers une société de l’engagement ? », la Fonda a souhaité ouvrir un espace de réflexions sur l’engagement : un club de lecture ! Il se réunit le premier lundi de chaque mois, pendant une heure (de 18 h à 19 h) pour partager et discuter ensemble de ressources (livres, rapports, enquêtes, interventions, podcasts, films, etc.) abordant le thème de l’engagement. Pour cette dixième rencontre, Hasna Hussein et Anna Maheu nous ont présenté deux ressources sur la radicalité.

→ Télécharger la synthèse

LES ENSEIGNEMENTS CLÉS DE CETTE RENCONTRE

  1. Les vulnérabilités d’un individu favorisent l’engagement radical et violent 
  2. L’effet de masse dans l’engagement avec le besoin d’appartenir à un groupe
  3. La nécessité de développer des dispositifs de prévention à la radicalisation en renforçant l’esprit critique
  4. Les réseaux sociaux et les jeux vidéos sont des espaces pouvant favoriser la diffusion de discours radicaux
  5. La quête de sens dans sa vie comme moteur d’engagement

     


 

Ressource #17 – Présentation des travaux de recherche sur le processus de radicalisation des individus, par Hasna Hussein.

Présentation faite par Hasna Hussein, sociologue.

Mots clés #Radisalisation #Djihadisme #Réseaux sociaux

Brève présentation de Hasna Hussein

Hasna Hussein est chercheuse associée au Centre Emile Durkheim à l’Université de Bordeaux et sociologue des médias et du genre. Elle est membre du comité scientifique du centre d’action et de prévention contre la radicalisation des individus de Gironde, ainsi que de l’Observatoire de la haine en ligne du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA).

Depuis 2015, suite aux attentats djihadistes en France, elle mène un travail de recherche sur l’analyse de la propagande djihadiste en trois langues : arabe, français et anglais, sur des productions médiatiques variées (image, texte et son). Elle souhaite comprendre les enjeux, techniques et mécanismes de manipulation de la propagande djihadiste, notamment par le biais des plateformes numériques et des réseaux sociaux. Pour y parvenir, elle mobilise les outils et les techniques de la sociologie. 

Elle est l’auteure du carnet de recherche sur le thème « Contre-discours radical » qui regroupe une cinquantaine de contributions pluridisciplinaires en la matière https://cdradical.hypotheses.org/121-2

Genèse de la propagande djihadiste

Bien que née dans une région arabophone, l’idéologie djihadiste va très rapidement dépasser les frontières régionales et agir au niveau international. C’est pour cela que la propagande de Daesh1 , existe dans une trentaine de langues. Elle réussit à mobiliser entre 30 à 50 000 combattants qui rejoignent le territoire syro-irakien, alors qu'Al-Qaïda n’arrivait pas à réunir autant de monde dans les années 1990. 

« Venez comme vous êtes » est le slogan de Daesh, comme celui de l’entreprise McDonald’s au demeurant. Il montre que tout le monde est accepté, quel que soit son background2 , et peut trouver sa place. « Chacun peut choisir différents niveaux d’engagement » note Hasna Hussein. 

Pluralité des engagements djihadistes

L’idéologie djihadiste amène à une diversité d’engagements. Cela peut prendre la forme d’un engagement corps et âme pour la cause, où les personnes viennent sur le territoire syro-irakien pour combattre ou apporter leur contribution à la hauteur de leurs moyens. Ils risquent leur vie pour la cause. 

Cet engagement peut également être plus diffus, via les outils numériques. Il peut se manifester par de la traduction et le relais de propagande ou bien encore de recrutement des individus. Hasna Hussein observe d’ailleurs qu’un public jeune, composé de pré-adolescents et d’enfants, peut y prendre part sans nécessairement comprendre cette idéologie et ses implications. Les méthodes de recrutement ne se limitent pas qu’au web visible, avec Facebook, Tik Tok ou Snapchat, elles s’étendent aussi au darkweb et aux jeux vidéos, comme Fortnite, Cash of Clans, GTA, etc. 

Evolution de la propagande djihadiste 

Cet Dans un contexte de défaite territoriale, la propagande djihadiste évolue pour continuer à recruter de nouvelles personnes. Elle montre des images de destruction présentes sur le territoire de Daesh afin d’alimenter un discours victimaire et de vengeance à l’égard des pays opposés au djihadisme. 

Cette propagande explique qu’il n’est plus nécessaire de faire son 3  sur le territoire syro-irakien, mais qu’il est possible de la faire de manière verticale vers Dieu directement. Il est possible de s’engager n’importe où, en-dehors du territoire du califat par des attaques terroristes, comme celle de Conflans-Sainte-Honorine marquée par l’assassinat de Samuel Paty en octobre 2020.

Essaimer cette approche innovante

Le phénomène de la radicalisation est particulièrement complexe. Hasna Hussein a cependant identifié quelques constantes chez les personnes qui se radicalisent. Elles présentent des vulnérabilités : 

  • La structure familiale marquée par un éclatement ;
  • Le milieu social souvent défavorisé, quels que soient les pays étudiés ;
  • L’âge. Plus l’individu est jeune, plus il a la capacité à absorber tout ce qu’il entend sur Internet avec un manque d’esprit critique et n’a pas le réflexe de vérifier l’information. 

Prévenir le phénomène de radicalisation

Pour remédier au processus de radicalisation en ligne, Hasna Hussein a créé l’association PREVA.NET en décembre 2016. Outre l’organisation d’études scientifiques sur ce thème, cette structure propose plusieurs dispositifs de prévention et de lutte contre la radicalisation, pas seulement djihadiste. 

L’association vise à renforcer l’esprit critique des jeunes qui peuvent être plus perméables à des discours radicaux. A cette fin, le dispositif ADEC, atelier d’expression citoyenne, propose un théâtre-forum où des témoignages de jeunes repentis de la radicalisation djihadiste sont présentés. « C’est l’occasion d’amener les jeunes à réfléchir sur ce qui amène à un engagement vers une radicalité, mais aussi à réfléchir aux facteurs de protection pour éviter que la personne soit facilement manipulable, dans un contexte bienveillant » indique Hasna Hussein. 

A la suite de la crise sanitaire du COVID-19, Hasna Hussein observe le fait que de plus en plus de problématiques, telles que l’enfermement, la rupture, l’addiction aux écrans ou bien encore aux jeux vidéo, les théories complotistes, mènent vers une forme de radicalité. Il est nécessaire que l’ensemble de la société civile se saisisse de ces enjeux pour agir ensemble

 

Ressource # 18 – Présentation du film documentaire « La Cravate » de Mathias Théry et Etienne Chaillou, par Anna Maheu 

Mots clés : #Radicalisation #Extrême-droite 

Présentation faite par Anna Maheu, responsable de la communication à la Fonda.

Brève présentation des réalisateurs

Mathias Théry, Etienne Chaillou sont des documentaristes chevronnés, La Cravate est le neuvième film qu’ils coréalisent. Les précédents traitaient du mariage pour tous (La Sociologue et l’ourson), de l’Europe (L’œil du voisin), de solidarité internationale (Boys in India) et du rôle présidentiel (J’ai rêvé du président). Certains sont des séries de moyens-métrages documentaires réalisés pour des chaines télés, dont Arte. C’est d’ailleurs ainsi que Mathias Théry rencontre Bastien Régnier : qu’il réalisait alors Premier Vote : Considérant la jeunesse pour France 3. 

Les deux réalisateurs ont présenté leur approche de la façon suivante : faire un film pour que Bastien soit compris, pas pour qu’il soit aimé. Ils se sont donc attachés en un peu plus d’une heure et demie à laisser au maximum la parole à leur personnage principal, sans renoncer à lui opposer une contradiction. Les réalisateurs n’ont pas renoncé à la question de l’engagement et travaillent désormais à un film, de fiction cette fois-ci, sur des militants d’extrême gauche dans les années 1970.

Brève présentation du film documentaire « La Cravate » 

La Cravate est un film documentaire d’1 heure 37, sorti en juin 2020, réalisé par Mathias Théry et Etienne Chaillou. Il s’agit de suivre le parcours de Bastien Régnier, vingt ans et qui milite depuis cinq ans dans le principal parti d’extrême-droite. Quand débute la campagne présidentielle de 2017, il est invité par son supérieur à s’engager davantage. L’équipe des réalisateurs va alors le suivre pendant un an : du tractage sur les marchés aux repas des dirigeants du FN. Bastien est défini comme ayant « quelques responsabilités » : il tient la permanence, distribue des tracts. Au cours du documentaire, on va le voir monter en responsabilité : jusqu’à participer au lancement de la chaîne Youtube de Florian Philippot, avant d’être remplacé par une équipe de communicants. Bastien Régnier est toujours investi en politique, il a été candidat à l’investiture sur la deuxième circonscription de l’Oise pour les Patriotes dont il était en 2021 le responsable départemental dans l’Oise. 

Pourquoi cette ressource est intéressante ? 

C’est l’objectif même du documentaire : comprendre pourquoi un jeune vingtenaire s’engage dans le Front National, quelles sont les racines d’un tel engagement. 

Il s’agit du regard de deux réalisateurs « de gauche » sur la vie d’un militant à l’extrême droite, qui essaye en permanence de ne tomber ni dans le mépris ni dans la fascination. Ce rapport est vraiment marquant dans l’utilisation de la voix off, qui permet aux réalisateurs d’expliciter leur point de vue, de proposer un contre-point. Le film présente très peu de dialogues, et cette voix off nous donne donc l’impression d’être dans la tête de Bastien, à la manière d’un narrateur omniscient de roman. 

La forme « hybride » du film est ici au service du fond. S’appuyant sur la vie, et donc les opinions politiques de Bastien Régnier, il est le seul qu’on voit à l’écran. Écrit et narré par eux, à l’opposé de l’échiquier politique, l’ensemble du scénario a néanmoins été relu et annoté par Bastien. On entend donc son histoire narrée par un narrateur omniscient, qui sait tout et notamment de son passé, mais qui lui est propre. Il n’est pas « étudié », sans avoir la possibilité de s’exprimer, il a au contraire la possibilité de « redorer son image », ce qu’il ne se prive pas de faire. Les réalisateurs parlent d’ailleurs d’un « attachement étrange, qui mêle la tendresse et le dégout, la ruse et la langue de bois, le mensonge et la sincérité ».

Cet aller-retour crée un point de vue mixte, qui peut parfois mettre mal à l’aise. Je pense notamment à une scène lors d’un meeting de Marine Le Pen où Bastien est filmé en contre-plongée, victorieux, chantant « On est chez nous ». Plusieurs fois dans le film, on se surprend à souhaiter la montée des échelons politiques de Bastien : il représente une figure valorisée, le militant « venu d’en bas », qui saurait faire de la politique différemment. Cela fait oublier le cœur anti-progressiste de ses engagements. 

C’est aussi un beau film sur la dédiabolisation qui s’infiltre jusqu’aux militants de FN. Bastien est identifié comme un soutien de Florian Philippot qu’il suivra ensuite chez les Patriotes à la fin de la campagne présidentielle. 

Il y a aussi un respect de la vie privée de Bastien Régnier : on comprend au détour d’une conversation qu’il a une relation avec une jeune femme qui ne partage pas ses opinions politiques, mais celle-ci n’est pas montrée à l’écran, même si cela aurait pu être intéressant pour le documentaire. On n’est pas dans un documentaire « déballage » 

Enseignements clés de la ressource 

L’engagement comme canalisation d’une violence. Il est révélé au cours du film qu’à 13 ans, Bastien Régnier avait tenté une tuerie de masse au sein de son collège de Saint-Esprit en 2009. Il était alors membre d’un groupe de skinheads, où il trouvait la reconnaissance qu’il a ensuite recherché au sein du FN. La révélation de son passé va d’ailleurs stopper se relative ascension au sein du FN, qui cherche depuis de nombreuses années à ne pas mettre en avant ses liens avec des groupes violents. 

Au fil du documentaire, on comprend que le FN apporte une forme de reconnaissance à Bastien, qu’être militant frontiste lui est préférable qu’être cet ancien enfant violent. Il a notamment déclaré en interview que « chez les skinheads, puis au FN, des gens qui l’ont rassuré, construit, mais aussi manipulé et tiré vers les extrêmes. » Il n’hésite pas d’ailleurs à comparer son parcours personnel à celui des jeunes embarqués pour le djihad. 

L’effet de groupe de l’engagement

Le regard des réalisateurs, et le visionnage du film, lui permettent de se voir « hors du groupe ». Dans un entretien pour Télérama en 2021, à la question « Quelle a été votre réaction quand vous l’avez vu ? », il répond : « Je me suis retrouvé face à quelqu’un dans lequel je ne me reconnaissais pas. Comment avais-je pu raconter des blagues racistes, taper sur des gens, adhérer corps et âme au programme du FN, mentir consciemment pour des raisons politiques ? » Le film montre tout l’aspect « convivial » de l’engagement au sein d’un parti pour quelqu’un comme Bastien qui semble par ailleurs très isolé. 

Les sources multiples de l’engagement 

Bastien Régnier ne cache pas son premier moteur en rejoignant le FN : c’est « combattre l’immigration et les musulmans. » Néanmoins au cours des entretiens qui ponctuent le film, on comprend que la source de son engagement politique est bien plus diffuse : il veut combattre l’école, les élus, le « système ». 

Depuis qu’il a pris ses distances avec le FN, il considère devoir plutôt combattre « un système mis en place et entretenu depuis des années par des élites qui dévoient la démocratie. » 

Il a par ailleurs fondé en 2022 une association, La Dernière Écoute, et qui propose de recueillir sur la plateforme Discord les témoignages d’élèves victimes de harcèlement de la part de leurs professeurs. Selon Bastien Régnier c’est cette expérience qui a été fondatrice pour son engagement au sein des skinheads puis au FN.  

Ressources pour aller plus loin

  • Les Filles d'Olfa un film réalisé par Kaouther Ben Hania 
  • « Lucio Urtubia, maçon honnête, anarchiste sincère, et faussaire d’exception », Affaires sensibles sur France Inter
  • « J'ai cru à l'idéologie « incel » », Après la pluie sur Binge Audio
  • « La Cage : une Française dans le djihad » d’ Edith Bouvier et Céline Martelet sur Arte Radio

→ Télécharger la synthèse

Un grand merci aux participants pour leur participation: Anna Maheu, Diane Bonifas, Hasna Hussein, Pauline Marquevielle, Yves Le Bars, Michel Nung, Marc Lévy, Jean-Pierre Jaslin, Quentin Vaissaire, Franck Bourdy, Camille Kerdraon. 

Ce compte-rendu a été rédigé par Hannah Olivetti et Anna Maheu, relu par Hasna Hussein et Yannick Blanc et mis en page par Guillemette Martin pour la Fonda. Il est mis à disposition sous la Licence Creative Commons CC BY-NC-SA 3.0 FR.

  • 1L’organisation Daesh est également appelée Etat islamique.
  • 2En français, background renvoie aux antécédents d’une personne.
  • 3Plus connu en français sous le terme « hégire », l'hijra est un terme arabe désignant l'exil des compagnons de Mahomet de La Mecque vers Médine. Il s'agit dans le contexte contemporrain de déménager pour aller vivre en terres musulmanes.
Fiche de lecture