Engagement

Club de lecture sur l'engagement #5 - Synthèse

La Fonda
Et Frank Escoubes, Hannah Olivetti, Yannick Blanc
Dans le cadre de l’exercice de prospective « Vers une société de l’engagement ? », la Fonda a souhaité ouvrir un espace de réflexions sur l’engagement : un club de lecture ! Il se réunit le premier lundi de chaque mois, pendant une heure (de 18 h à 19 h) pour partager et discuter ensemble de ressources (livres, rapports, enquêtes, interventions, podcasts, films, etc.) abordant le thème de l’engagement. Pour cette cinquième rencontre, Yannick Blanc, vice-président de la Fonda, nous a présenté « Les Nouveaux pouvoirs d'agir » de Vanessa Wisnia-Weill, paru en 2020 aux éditions Seuil. Frank Escoubes, bénévole à la Fonda, son ouvrage « Pop démocratie - La démocratie est (aussi) une fête », paru en 2023 aux éditions de L'aube.
Club de lecture sur l'engagement #5 - Synthèse

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LES ENSEIGNEMENTS CLÉS DE CETTE RENCONTRE

  1. Le développement du pouvoir d’agir est un moteur de l’engagement
  2. Les politiques publiques peuvent s’appuyer sur les pouvoirs d’agir des communautés pour agir
  3. La diversification des supports sur les enjeux contemporains, inspirés de la pop culture, peuvent sensibiliser les citoyens
  4. Le développement de lieux banalisés de la démocratie, au travers de corners, pourrait favoriser l’intérêt des citoyens

Ressource #9 Les Nouveaux Pouvoirs d'agir, par Vanessa Wisnia-Weill, aux Éditions du Seuil, La République des Idées, 2020, 112 pages.

Présenté par Yannick Blanc, vice-président de la Fonda.

Mots clés : #Capabilités #Justice

ENSEIGNEMENTS CLÉS

Brève présentation de l'autrice

Ancienne élève de l’École polytechnique et des Ponts et Chaussées, Vanessa Wisnia-Weill est devenue experte des politiques sociales et de prospective dans les services du Premier ministre. Elle a publié de nombreux rapports au département « Questions sociales » de France Stratégie.

Elle a par la suite été secrétaire générale adjointe du Haut Conseil de l’enfance, de la famille et de l’âge. En 2023, elle vient de prendre la tête de la direction du financement de l’offre de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA).

Quelle est l'ambition de cette ressource ?

Au travers de ce livre, Vanessa Wisnia-Weill se donne comme ambition de repenser la justice sociale.

Or, « pour repenser la justice sociale, on ne peut plus faire l’impasse sur l’interprétation multi-dimensionnelle de la liberté, que [Vanessa Wisnia-Weill] définit comme le pouvoir d’agir, qui va bien au-delà de la seule sphère liberté à partir du pouvoir d’agir.

Plus précisément, [elle] dégage cinq sphères structurantes : travail, consommation, liens intimes, connaissance et citoyenneté.
[Elle] montre que chacune de ces sphères n’est pas seulement une dimension importante de l’existence, ce qui serait trivial, mais,     à certaines conditions, un espace où chacun doit avoir des marges de manœuvre minimum pour sentir qu’il pèse sur la conduite de sa vie, qu’il s’y reconnaît, en un mot qu’il y dispose d’un pouvoir d’agir1 . »

MISE EN PERSPECTIVE AVEC L’ENGAGEMENT

Pourquoi est-ce important ? 

L’analyse de Vanessa Wisnia-Weill porte sur le pouvoir d’agir avec comme but de définir les axes d’une politique sociale-démocrate du pouvoir d’agir. Cette ressource nous permet d’identifier les cinq sphères du pouvoir d’agir et les modalités d’action qui leurs correspondent. Cette grille d’analyse résulte de la combinaison de deux travaux de recherche : ceux de Martha Nussbaum et de Michael Walter.

Martha Nussbaum travaille sur le thème de la justice sociale en s’appuyant sur la notion de « capabilités » développée par Amartya Sen concernant l’empowerment économique.

Elle définit les « capabilités » comme n’étant pas « simplement des capacités dont une personne est dotée, mais des libertés ou des possibilités créées par une combinaison de capacités personnelles et d’un environnement politique, social et économique2 . »

Elle identifie 10 capabilités fondamentales qui conditionnent la liberté de mener une vie digne : la vie, la santé du corps, l’intégrité du corps, l’imagination et la pensée, les émotions, la raison pratique, l’affiliation, la vie avec d’autres espèces, le jeu et le contrôle de son environnement matériel et politique.

Quant à Michael Walzer3 , il s’oppose à la vision universaliste de la théorie de la justice de John Rawls en proposant une forme d’ « égalité complexe ». Bien que la justice soit une exigence universelle, elle doit se décliner différemment selon les sphères de la société – politique, économie, famille, éducation, religion, santé, monde des loisirs, etc. – auxquelles correspondent des biens différents : pouvoir, argent, amour, connaissance, grâce divine, sécurité et santé, temps libre…

Cette théorie de la justice avec les sphères de justice montre que l’on peut être perdant sur un type de bien mais y gagner par ailleurs. Il faut cependant éviter que le groupe qui a le monopole des biens d’une sphère s’empare des biens d’une autre sphère. Il convient de faire en sorte par exemple que ceux qui dominent le marché économique n’en profitent pas pour accaparer le pouvoir politique qui relève d’une autre sphère.

En quoi consistent les cinq sphères du pouvoir d'agir ? 

Dans son ouvrage, Vanessa Wisnia-Weill identifie cinq sphères de justice :

  • La production,
  • La consommation,
  • La reliance (les relations),
  • La connaissance et la formation,
  • Le pouvoir d'agir en commun (la démocratie)

Pour répondre au besoin de justice, et à l’exigence d’égalité, Vanessa Wisnia-Weill explique qu’il est nécessaire de mettre en place des politiques ciblées dans chacun de ces domaines. L’objectif est de permettre aux individus de développer leur pouvoir d’agir dans chaque sphère.

Les 5 sphères du pouvoir d'agir Modalités d'action
Pouvoir agir en produisant
  • Réorienter la production dans la transition écologique
  • Économie servicielle et care
  • Maîtriser le numérique et l'intelligence artificielle
Existant en consommant
  • Revenu disponible
  • Accès aux biens essentiels : alimentation, santé, éducation, logement
Reliance : pouvoir d'aimer et réciprocité
  • Protection de l'enfance
  • Lutte contre l'isolement social
  • Soutien à la parentalité
  • Soutien aux aidants
  • Vie professionnelle/ vie personnelle
Connaître, se former, se transformer
  • Accès aux savoirs, communautés épistémiques
  • Entraînement à la raison pratique (éthique)
  • Formation TALDLV
  • Éducation populaire
  • Culture scientifique
  • Régulation de l'information
Démocratie : pouvoir d'agir en commun
  • Dynamique d'action face aux enjeux écologiques
  • Expertise citoyenne
  • Gouvernance des communs
  • Communautés d'action

Yannick Blanc ajoute que certaines politiques publiques ont déjà été mises en œuvre, mais sans les résultats espérés. Créer des politiques publiques ne suffit pas : il est nécessaire qu’elles s’appuient sur le pouvoir d’agir des communautés. Sans la mise en œuvre des stratégies coopératives, les politiques publiques dans les domaines clés du pouvoir d’agir sont inefficaces.

Cette grille d’analyse, selon Yannick Blanc, pourrait être utilisée dans le cadre de l’exercice de prospective de la Fonda pour repérer les enjeux, les formes et les significations de l’engagement dans chacune des sphères.

RÉACTIONS LORS DU CLUB DE LECTURE

  • Le développement du pouvoir d’agir constitue un moteur clé de l’engagement. Toutefois, plusieurs participants ont souligné le risque d’avoir une approche utilitariste de l’engagement, ainsi que le risque de rendre l’engagement prescriptif, comme le fait de conditionner le versement du revenu de solidarité active contre un engagement de la personne à effectuer un certain nombre d’heures de bénévolat.
  • Le pouvoir d’agir ne peut pas être prescrit. D’ailleurs, il existe une idée-reçue selon laquelle les personnes en difficulté n’ont pas le désir d’agir et qu’il faudrait les inciter à le faire. La réforme de l’assurance chômage en est un exemple.
  • La raison d’être des politiques publiques n’est pas de créer des normes, mais bien de mettre en action les pouvoirs d’agir.

Ressource #10 Pop démocratie – La démocratie est (aussi) une fête, de Frank Escoubes, L'aube, Monde en cours, 2023.

Présenté par Frank Escoubes, bénévole de la Fonda.

Mots clés : #Démocratie

ENSEIGNEMENTS CLÉS

Brève présentation de l'auteur

Après avoir travaillé pendant 20 ans sur les thèmes de la stratégie d’entreprise, des politiques publiques et la démocratie participative, Frank Escoubes a cofondé bluenove, une société de technologie et de conseil spécialisée en intelligence collective massive. Dans ce cadre, bluenove a été notamment amenée à analyser les résultats du Grand Débat National en 2019 (2 millions de documents).

Frank est également Ashoka Fellow et professeur associé à Sciences Po Paris. Il a déjà publié un essai intitulé La démocratie autrement, l’art de gouverner avec le citoyen, co-écrit avec Gilles Proriol, paru aux Éditions de l’Observatoire en juin 2021.

Quelle est l'ambition de cette ressource ?

Dans un contexte de crise démocratique protéiforme – crise de la représentation nationale, crise de confiance dans le personnel politique, crise cognitive face à l’information complexe nécessaire à la compréhension des politiques publiques –, Frank Escoubes associe la hausse de l’abstention aux diverses élections à une dépolitisation croissante de la société française.

Pour redonner envie aux citoyens de participer à la vie démocratique, il considère que la démocratie doit se désinstitutionnaliser pour devenir un objet culturel. Il en appelle à l’émergence d’une « pop démocratie ».

MISE EN PERSPECTIVE AVEC L’ENGAGEMENT

En quoi consiste la pop démocratie ? 

À rebours d’une démocratie désincarnée, technicienne, rébarbative et éloignée des citoyens, Frank Escoubes propose de prendre appui sur la « pop culture », et de tous les formats de cette culture populaire aimée et comprise de tous : la musique, le cinéma, les séries télé, la bande dessinée, l’humour, la photo ou encore le podcast, pour donner à la démocratie une nouvelle vitalité.

Même si les clés de lecture artistiques et culturelles sont souvent simplistes, symboliques, rudimentaires, elles sont de la pré-politique : elles préparent à l’engagement.

D’ailleurs, la demande est bien réelle : le livre le plus vendu en 2022 en France est la bande-dessinée de Jean-Marc Jancovici et Christophe Blain qui aborde de manière radicalement différente le sujet de la crise climatique. Écoulée à plus d’un demi-million d’exemplaires, Le Monde sans fin aura permis de toucher un très vaste public en apportant limpidité, humour et pédagogie sur les changements profonds de notre planète.

Pour accompagner la diffusion de ces formats populaires, Frank Escoubes suggère de créer des « corners » de la démocratie : des lieux de rencontres et de débats au plus proche des citoyens, là où ils vivent, travaillent, se déplacent et consomment. Il s’agit d’inventer une démocratie buissonnière, « hors les murs ».

Elle doit s’inspirer par exemple des pratiques du tiers-cinéma en Amérique latine, où, depuis 40 ans, on va au cinéma autant pour voir un film que pour en débattre après, dans un esprit d’émancipation des populations.

Ces corners, nouveaux lieux de contact entre les citoyens et la démocratie, pourraient prendre corps dans 10 types de lieux :

  • Les centres commerciaux,
  • Les gares,
  • Les parcs urbains,
  • Les cafés,
  • Les librairies,
  • Les marchés,
  • Les places publiques,
  • Les bureaux de poste et maisons France services,
  • Les festivals,
  • Les maisons de retraite.

Pour que les échanges aient lieu dans de bonnes conditions au sein de ces corners, une médiation est nécessaire, qui mobilise des « dialogueurs » volontaires, outillés avec des méthodes renouvelées inspirées en partie de l’éducation populaire (théâtre-forum, conférences gesticulées, improvisation, écriture collaborative de récits, etc.).

Avec la pop démocratie, Frank Escoubes espère multiplier les cercles d’hospitalité de la démocratie et ainsi augmenter notre surface de peau en contact avec l’intérêt général, afin de redevenir pleinement acteurs de la vie publique.

RÉACTIONS LORS DU CLUB DE LECTURE

Les participants soulignent plusieurs aspects :

  • Il est possible aussi de développer des temps de débats entre citoyens qui soient dans des lieux itinérants.
  • Des échanges ont eu lieu sur les « corners » avec un risque de confrontation avec d’autres logiques, potentiellement contraires. Il a été souligné le fait que certains allaient dans ces espaces pour d’autres raisons que la consommation : le besoin de rencontrer du monde, de « papoter », etc.
  • Plusieurs autres « corners » ont été identifiés tels que la place du village ou bien encore la salle de sport.

Ressources pour aller plus loin

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Merci à l’ensemble des participants : Nelly Allard, Yannick Blanc, Patrick Boulte, Pauline Marquevielle, Philippe Chabasse, Marc Lévy, Marie-Line de Bortoli, Frank Escoubes, Laurina Fardini, Anna Maheu, Jean-Pierre Jaslin, Valérie Lourdel, Marie-Claire Mange, Florence Picard, Pauline Marquevielle, Pauline Marquevielle, Nadège Rodrigues, Hannah Olivetti, Patrice Simounet, Baptiste Vivien, Catherine Sauvage.

Ce compte-rendu a été rédigé par Hannah Olivetti, relu par Yannick Blanc pour la Fonda et Frank Escoubes et mis en page par Agathe Thiebeaux et est à disposition sous la Licence Creative Commons CC BY-NC-SA 3.0 FR.

  • 1Entretien sur nonfiction.fr, 19/05/2020, disponible à ce lien : https://www.nonfiction.fr/article-10324-entretien-avec-vanessa-wisnia-weill-sur-les-nouveaux-pouvoirs-dagir.htm
  • 2Martha Nussbaum, Capabilités : comment créer les conditions d’un monde plus juste ?, Paris, Climats, 2012.
  • 3Michaël Walzer, Sphères de justice, Paris, Seuil, 2013.
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