Engagement Enjeux sociétaux

Club de lecture sur l'engagement #8 - Synthèse

La Fonda
Et Jean-Pierre Jaslin, Hannah Olivetti, Agathe Leblais
Dans le cadre de l’exercice de prospective « Vers une société de l’engagement ? », la Fonda a souhaité ouvrir un espace de réflexions sur l’engagement : un club de lecture ! Il se réunit le premier lundi de chaque mois, pendant une heure (de 18 h à 19 h) pour partager et discuter ensemble de ressources (livres, rapports, enquêtes, interventions, podcasts, films, etc.) abordant le thème de l’engagement. Pour cette huitième rencontre, Agathe Leblais et Jean-Pierre Jaslin nous ont présenté deux ressources pour mieux comprendre le rapport entre engagement et travail.
Club de lecture sur l'engagement #8 - Synthèse

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LES ENSEIGNEMENTS CLÉS DE CETTE RENCONTRE

  1. Les associations interrogées sont globalement satisfaites par le mécénat de compétences
  2. La majorité des entreprises recourant au mécénat de compétences le font depuis plusieurs années
  3. Les entreprises décident de s’engager via le mécénat de compétences pour des causes souvent apolitiques ou consensuelles
  4. Il est nécessaire de remettre l’humain au cœur de l’entreprise
  5. Le lieu de travail est un des 1ers lieux de socialisation, mais les changements souhaités pour un plus grand engagement des salariés se font encore attendre.

Ressource #13 État des lieux de la recherche sur le mécénat de compétences par Agathe Leblais.

Présenté par Agathe Leblais, ancienne déléguée générale de Pro Bono Lab
et administratrice de la Fonda.

Mots clés : #Entreprise #MécénatDeCompétences

ENSEIGNEMENTS CLÉS

Brève présentation de l'intervenante

Diplômée d'EMLyon, Agathe Leblais a œuvré à la création de ponts entre l'Économie sociale et solidaire (ESS) et le monde de l'entreprise « classique ». En 2017, elle rejoint le Groupe Pierre & Vacances-Center Parcs pour en créer la fondation d'entreprise dont elle deviendra la déléguée générale. En 2020, elle rejoint la direction générale de l’association Pro Bono Lab qu’elle a récemment quittée. Depuis 2021, elle est administratrice de la Fonda.

Qu'est-ce que le mécénat de compétences ?

« Le mécénat de compétences permet aux entreprises de proposer aux associations des « compétences » par la mise à disposition de salariés réalisant des missions d’intérêt général sur leur temps de travail. Les salariés restent payés par l’entreprise, et sous sa responsabilité1

Encadré par la loi Aillagon de 2003, le mécénat de compétences constitue un don en nature au bénéfice d’une association d’intérêt général. Concrètement, les entreprises peuvent défiscaliser le coût du salarié mis à disposition.

Deux modalités existent :

  • La prestation de services (cf. article 1710 du code civil). C’est lorsque l’entreprise s’engage à réaliser une mission déterminée avec un cahier des charges précis. Le salarié détaché reste sous la direction de l’entreprise, avec une obligation de moyen ou de résultat. L’entreprise conserve ses obligations administratives, juridiques et fiscales et le salarié reste dans ses effectifs. Exemple de mission : la réalisation d’un plan de communication, le design d’une application mobile pour un service d’intérêt général, la création d’un processus de recrutement, etc.
  • Quant au prêt de main-d’œuvre (cf. article L 8241-2 du code du travail), l’entreprise met à disposition de l’association un salarié pendant deux ans au maximum. L’entreprise conserve ses obligations administratives, juridiques et fiscales et garde le salarié dans ses effectifs. L’association bénéficiaire devient responsable des conditions d’exécution du travail. /!\ Attention, ce dispositif est réservé aux entreprises de plus de 5 000 salariés. Des acteurs de la philanthropie, à savoir Admical et le Centre Français des Fonds et Fondations, mènent actuellement un travail de plaidoyer pour lever cette limite.

Où en sommes-nous ?

Le baromètre du mécénat 20222 observe une stagnation du mécénat de compétences. En 2022, 15% des entreprises y ont recours. Ce dispositif d’intérêt général est particulièrement utilisé par les entreprises de l’Ile-de-France, et est même en augmentation sur ce territoire (+ 10 points par rapport à 2019 pour les entreprises en Ile-de-France).

Le mécénat de compétences suscite l’intérêt des entreprises dans la durée. Plus de la moitié des entreprises déclarant faire du mécénat de compétences le font depuis plus de 5 ans. En revanche, la durée moyenne de jours accordés aux salariés dans le cadre de la stratégie de mécénat de compétences des entreprises est brève. 96% des salariés ont moins de 5 jours par an pour s’engager auprès d’une cause d’intérêt général.

L’engagement des entreprises mécènes se caractérise, encore aujourd’hui, par sa dimension éphémère et de courte durée : en lien avec les contraintes de l’entreprise.

Désormais, de nombreux acteurs de l’engagement documentent le mécénat de compétences3 , et ce particulièrement depuis 2022. La quasi-absence de publications émanant de la recherche sur ce domaine d’étude peut l’expliquer, à l’exception des travaux de l’Institut National de la Jeunesse et de l’Éducation Populaire (INJEP).

EN QUOI LE MÉCÉNAT DE COMPÉTENCES ÉCLAIRE-T-IL LA SOCIÉTÉ DE L’ENGAGEMENT ?

Le mécénat de compétences éclaire le rôle que les grandes entreprises se proposent d’avoir, ainsi que de leur vision de leur engagement. Cela nous donne une indication sur le positionnement des grands groupes et de leurs collaborateurs. Plusieurs thématiques reviennent régulièrement lorsque le sujet du mécénat de compétences est évoqué par les entreprises :

  • La raison d’être de l’entreprise,
  • L’engagement des salariés, avec en filigrane un questionnement sur le sens de leur travail,
  • La frontière entre engagement professionnel et personnel : certains salariés ne veulent pas s’engager en entreprise car ils estiment que cela peut révéler trop de choses sur eux à leur employeur, et que ces deux sphères doivent rester séparées.

Les causes pour lesquelles les entreprises décident de s’engager via le mécénat de compétences sont souvent apolitiques, voire « politiquement correcte » selon Agathe Leblais. Ainsi, peu d’entre elles s’intéressent à la question de l’égalité femmes – hommes ou aux violences faites aux femmes, à la question carcérale, ou bien encore aux thématiques en lien avec les migrations car cela serait considéré comme « trop engagé », trop politique ou polémique.

Une problématique clé traverse les entreprises mécènes : celle de la mesure de l’impact du mécénat de compétences. « Cette mesure d’impact est souvent entendu comme une évaluation de performance reprenant les codes marchands de l’entreprise : nombre de salariés engagés, volume d’heures proposées à des associations d’intérêt général, nombre d’associations d’intérêt général soutenues, autant de critères qualitatifs qui n’indiquent rien sur la cause d’intérêt général soutenue » relève Agathe Leblais.

Elle déplore le fait que la cause associative en elle-même est peu observée par les entreprises. Cela soulève une question sur la façon dont les entreprises se saisissent du mécénat de compétences : pour quelles intentions ?

Le mécénat de compétences établit une relation entre le secteur lucratif, qui a le pouvoir de donner une compétence, et le secteur non lucratif, qui est le récepteur de la compétence. « Cette façon de le dire introduit l’idée que d’un côté, l’entreprise donne, et de l’autre l’association reçoit de manière passive » insiste Agathe Leblais.

Il est nécessaire de réfléchir aux liens et aux dynamiques de pouvoir entre les parties prenantes du mécénat de compétences. Agathe Leblais estime également opportun de s’interroger sur les « traces » sur le long terme laissées par le mécénat de compétences auprès des entreprises, collaborateurs et associations d’intérêt général.

Les questionnements mis en lumière par les études et la recherche

L’étude « Évaluation d’impact social du mécénat de compétences » réalisée par Kimso en 2023, pour Alliance pour le mécénat de compétences en partenariat avec Pro Bono Lab identifie plusieurs opportunités :

  • 95% des associations interrogées se disent satisfaites (et 3 sur 4 d’entre elles se disent même « très satisfaites »). Elles ont en effet accès à des compétences qui leur font défaut, cela leur permet de gagner du temps, de bénéficier d’une vision extérieure et d’un regard critique.
  • L’importance de la diversification des formats au regard des besoins associatifs.
  • Une pratique qui est un facteur de motivation pour les salariés.

Parmi les points d’attention identifiés, l’étude met en lumière le fait que les profils de salariés peuvent être parfois inadaptés aux associations. Le mécénat de compétences peut également s’avérer être une source de complexité en matière de ressources humaines et organisationnelles pour les associations, qui s’ajoute à la gestion des salariés et des bénévoles de l’association. Enfin, les entreprises tendent à privilégier le temps court ou discontinu pour les missions en mécénat de compétences, alors que le temps long est le plus porteur pour les associations.

Parmi les recommandations formulées :

  • Une première concerne le développement d’une culture commune aux différentes parties prenantes du mécénat de compétences : quels sens, contraintes et opportunités du mécénat de compétences pour chacune d’entre elles ?
  • Une autre préconise de systématiser le diagnostic des besoins de l’association avant de lancer une mission. « Certaines entreprises veulent du « clé en main » et trouvent dans les associations des alliés bien pratiques qui amènent ces dernières à jouer un rôle de prestation de service ; logique dont nous devons sortir » observe Agathe Leblais qui a remarqué un renversement de la pratique du mécénat de compétences chez certaines entreprises qui recourent au mécénat de compétences car elles veulent organiser un teambuilding solidaire pour leurs collaborateurs, et non soutenir une cause d’intérêt général.

OUVERTURE CRITIQUE

Pour conclure, Agathe Leblais partage ses éléments de réflexion sur le mécénat de compétences au regard de ses expériences professionnelles. « Il y a une asymétrie de pouvoir entre le mécène, l’entreprise, et le mécéné, l’association » selon elle. Elle poursuit en remarquant le fait que l’objet du mécénat de compétences s’est déplacé. « Désormais, c’est l’engagement de l’entreprise et de ses collaborateurs qui est mis en avant, au détriment de la cause d’intérêt général. Cela se manifeste notamment dans la manière dont la mesure de l’impact du mécénat de compétences est conçue, souvent au détriment de la cause d’intérêt général » analyse-t-elle.

Au travers de sa deuxième recherche-action sur le mécénat de compétences (à paraître en automne 2023), l’INJEP s’interroge sur l’invisibilisation des acteurs de l’intérêt général dans le cadre du mécénat de compétences. « La compétence de l’entreprise est sacralisée aux dépens des compétences associatives dont on ne parle quasiment jamais. C’est comme si l’entreprise avait la compétence, mais pas les associations » explique Agathe Leblais.

Elle termine son intervention par la question du transfert de la responsabilité de l’engagement. Elle observe le fait que dès lors qu’un collaborateur s’engage - certes sur son temps de travail et rémunéré par son entreprise - c’est l’entreprise qui se revendique engagée. Autrement dit, l’entreprise se dit engagée, sans nécessairement changer intrinsèquement son modèle économique, parce que certains individus qui la composent le sont. La responsabilité de l’engagement dans la sphère économique passe d’un système à un individu.

RÉACTIONS DU CLUB DE LECTURE

L’intervention d’Agathe Leblais a suscité plusieurs réactions :

  • Le manque de réciprocité entre les entreprises et les associations qui recourent au mécénat de compétences. Ce serait un sujet à approfondir par-delà les discours.
  • L’enjeu de mieux accompagner et former les associations à l’accueil des collaborateurs.
  • La question de l’obligation, plus ou moins formalisée, des salariés à s’engager au travers du mécénat de compétences.
  • Le mécénat de compétences pourrait être utilisé par les entrepreneurs sociaux car leurs activités peuvent contribuer au bien commun. Cependant, dans l’état actuel, la limite réside dans la notion de marchand et de non-marchand.

Ressources pour aller plus loin


Ressource #14 « Changer le travail pour changer de société », Institut Érasme, 2017, 101 pages.

Présenté par Jean-Pierre Jaslin, administrateur de la Fonda.

Mots clés : #Travail #Entreprises

Brève présentation de l'intervenant

Jean-Pierre Jaslin est formateur et consultant depuis 40 ans, gérant de Social & Management.

Parallèlement, durant 20 ans, il a été chercheur associé au CNRS OFCE Sciences-Po Paris et l'un des fondateurs d'un programme de recherche national et international sur le changement social. Pédagogue de formation, son approche est sociologique avec un attrait pour les pratiques transdisciplinaires.

Il a travaillé sur le dialogue social, le travail et son organisation, la gouvernance et le fonctionnement des institutions, l'ingénierie du débat et les dynamiques associatives.

Jean-Pierre Jaslin est membre du conseil d'administration de la Fonda.

ENSEIGNEMENTS CLÉS

Le travail face aux évolutions socio-économiques

Malgré une évolution des discours, plusieurs négociations et textes de loi, les changements ne sont toujours pas au rendez-vous. Ils butent sur l’impératif de sortir du travail prescrit4 qui, avec la pression hiérarchique, constitue le modèle fordien de l’organisation du travail.

Marc Deluzet observe que la pression s’accentue par la quête de performance pour répondre aux enjeux de la mondialisation, de la financiarisation de l’économie et le développement des technologies (NBIT). Elle ne tient pas compte d’évolutions sociales pourtant structurantes comme le travail des femmes, l’élévation des niveaux scolaires, la modification des équipements scolaires, le changement des structures familiales, la consommation compulsive, les transformations du système productif, l’ubérisation de certains emplois, le e-commerce, la crise climatique... qui, sans remplacer les systèmes existants, les modifient.

Une dégradation des conditions de travail

Autant les dirigeants politiques et les syndicats se mobilisent pour la lutte pour l’emploi, autant ils s’intéressent peu à l’analyse de l’activité professionnelle en elle-même et donc à la qualité du travail. Le sociologue Vincent de Gaulejac5 analyse la souffrance au travail des salariés due aux modes de management et aux outils de gestion.

Dans ce cas de figure, la majorité des salariés n’a pas le choix de changer nécessairement d’emploi. Ainsi « ils restent dans l’emploi mais se désengagent fortement, une tendance perceptible depuis maintenant 4 ou 5 ans. Tandis que la multiplication des cas d’épuisement professionnel, qui ont toujours existé, témoigne d’une vraie fatigue du corps social » souligne Marc Deluzet.

Il poursuit en rappelant que le travail « a toujours été et qu’il demeure le principal lieu de socialisation des personnes, il isole les individus dans des postes et des activités de plus en plus parcellisées ».

Le mal-travail alimente la crise mondiale

Pour Marc Deluzet « le mal-travail n’est pas une des conséquences de la crise globale. Il est une de ses composantes, qui alimente la crise démocratique ». Cela se traduit de trois façons :

  • L’activité professionnelle n’a plus sa fonction d’émancipation collective de l’individu, en lui permettant d’ouvrir les horizons ;
  • Elle repose davantage sur une logique concurrentielle entre les salariés, au détriment des valeurs de solidarité et d’égalité ;
  • Elle connaît un « effondrement de l’éthique quand les dirigeants défendent par leurs comportements parfois immoraux l’intérêt particulier au lieu de l’intérêt général ».

Selon lui, cette crise du travail s’est diffusée au reste de la société, notamment au travers d'organisations collectives (syndicats, partis politiques et associations), en devenant une crise politique. Deux leviers clés sont à activer : la valorisation des comportements coopératifs et l’accompagnement de la prise de responsabilité.

Remettre l'humain au cœur de l'entreprise

Pour y parvenir, Marc Deluzet estime nécessaire de renforcer la place de l’humain dans les organisations. Aujourd’hui « le désengagement au travail est lié en grande partie à une perte de liens sociaux professionnels essentiels ». L’entreprise est d’abord une communauté humaine, un élément de la société, voire « le principal lieu de socialisation et de vie collective ».

Ainsi, selon Marc Deluzet, « l’entreprise doit être aussi pensée comme un projet de société lié à l’utilité du travail de ses salariés, pour l’ensemble de la société. L’entreprise, élément de la société civile, est un agent essentiel du changement social ». Cela suppose de repenser en profondeur le monde économique. « Ce n’est pas une multiplicité d’agents isolés aux intérêts disjoints, mais un ensemble de communautés humaines appelées à viser le bien commun » poursuit-t-il.

Face à ces enjeux, l’entreprise doit remettre l’humain au coeur de son fonctionnement. Elle doit être un lieu de co-construction d’un projet, en intégrant la diversité humaine et les besoins de chacun de se construire différemment. Il faut élaborer des outils adaptés, et engager les apprentissages nécessaires en interne. Un délicat équilibre est à construire entre « la cohésion d’ensemble tout en développant l’individualité de chacun à son plus haut degré de singularité, de savoir-faire et de signification ».

Freins et solutions pour y répondre

L'essai identifie plusieurs facteurs à dépasser pour remettre l’humain au cœur de l’entreprise :

  • Une faiblesse de la culture du changement avec une quête importante de garder la maitrise de l’autorité.
  • Une sous-estimation de l’impératif à développer des apprentissages sociaux nécessaires et l’acceptation de la conflictualité.
  • Un brouillage des objectifs et une inconstance dans les objectifs avec des effets de mode et des modifications propres à chaque dirigeant.
  • Un discours sur l’engagement qui n’est promu que lors des changements.

Dans ce sens, l'essai propose 6 pistes pour effectivement revaloriser la valeur travail :

  1. Développer le dialogue horizontal à tous les niveaux, notamment entre les collègues, pour favoriser la confiance et la coopération.
  2. Favoriser les échanges entre pairs pour les managers dans un esprit de codéveloppement pour créer une culture du changement.
  3. Transformer l’organisation du travail pour responsabiliser les acteurs et encourager.
  4. Réorienter l’information et la gestion des données pour faciliter les coopérations et les collaborations.
  5. Moderniser les règles du dialogue social, y compris en intégrant les acteurs à la frontière poreuse des organisations.
  6. Rénover les modes de gouvernances afin qu’elles soient plus participatives et intègrent les parties prenantes, notamment dans les réflexions stratégiques.

OUVERTURE CRITIQUE

À l’issue de la recension de cet essai, Jean-Pierre Jaslin rappelle que de nombreuses enquêtes et sondages européens montrent que les salariés français ne rejettent pas le travail. Ils pensent même que le travail est très important, plus que les Anglais et les Allemands par exemple. Il n’y a pas rejet du travail, mais un vide de proposition crédible pour s’engager. Ce qui a pour conséquences :

  • Une baisse de la productivité,
  • Une augmentation de l’absentéisme,
  • Un désengagement,
  • Une perte de crédibilité de toute autorité qui se répercute dans la société,
  • Une faiblesse des liens sociaux du fait des organisations fordistes et une très grande spécialisation, les collaborations ne peuvent pas se faire que sur le seul ressort des motifs rationnels. Pour s’engager le salarié demande à voir les contreparties au-delà des aspects financiers.
  • Un besoin de reconnaissance par leurs pairs et les destinataires de leur activité.

Or, la quête de sens est bien réelle, y compris pour les salariés de métiers perçus par beaucoup comme peu qualifiés tels que les emplois du care, « les invisibles », les livreurs, etc., observe Jean-Pierre Jaslin. Il conclue en rappelant que cette recherche prend des formes différentes, car tous les secteurs ne sont pas confrontés aux mêmes difficultés et les cultures sont caractérisées par des pratiques spécifiques.

Selon Jean-Pierre Jaslin, l’entreprise est confrontée à des problèmes que rencontrent souvent les collectivités territoriales et les associations. Elle y est même confrontée plus tôt. Le désengagement du travail se retrouve dans la société, comme la mise en question des autorités.

« Nous avons un enjeu commun : il faut innover pour répondre à des besoins plus complexes, des urgences (climat, écologie, pandémie, conflits, etc.), et une pluralité d’acteurs avec des besoins et des désirs d’engagement très différenciés. Une société de l’engagement ne peut pas être que la somme des engagements, cela doit aussi être des institutions, des lieux de régulations et d’arbitrage qui favorisent l’engagement, car, l’engagement reste un pari. Sans cela, l’échec est certain » insiste Jean-Pierre.

Cependant, les solutions ne sont pas reproductibles, ni avec celles de l’entreprise, ni dans tous les secteurs associatifs.

Les réflexions actuelles montrent bien que l’entreprise ne peut pas se considérer en dehors de la société. Si les conflits actuels la mettent peu en cause, c’est que la contestation renvoie à une demande que l’État joue son rôle (répartition des richesses et efforts pour la transition écologique). Par contre, il apparait des interactions nouvelles entre les salariés et les associations et même avec une plus grande intensité. Du fait d’une plus grande dispersion sociale (temps, rythme, espace, mode familial, etc.) et d’un fort renouvellement des services, des produits et des systèmes de distribution, trois dimensions sont à prendre en compte :

  • Les interactions salariés - consommateurs,
  • Les relations salariés, consommateurs, nouveaux statuts (Uber, e-commerce)
  • Les salariés et les non-salariés (bénévoles, indépendants, chômeurs, etc.).

Aussi, malgré parfois un investissement de bénévoles et de salariés dans l’association par rejet de l’entreprise, il est nécessaire selon Jean-Pierre Jaslin de :

  • Examiner les transformations qui se réalisent dans le concret des activités et qui favorisent l’émergence d’une nouvelle Humanité,
  • Expérimenter des dialogues entre associations, salariés et entreprises pour appréhender ensemble une économie au service de l’Humain,
  • S’engager dans des alliances pour agir concrètement.

« La transition écologique nous invite à coopérer, mais soulève également la question centrale des inégalités. Le Pacte du pouvoir de vivre en est un exemple. Ce n’est pas la première fois que ce rapprochement existe ; il faudrait certainement en tirer les enseignements pour ouvrir des dynamiques communes » conclue-t-il.

Ressources pour aller plus loin

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Merci à l’ensemble des participants : Coline Auguin, Bertrand Barrieu, Diane Bonifas, Henri Fraisse, Jean-Pierre Jaslin, Agathe Leblais, Marie-Paule Lentin, Marc Lévy, Pascal Loviconi, Michel Nung, Hannah Olivetti, Elisabeth Stehly-Toure, Baptiste Vivien.

Ce compte-rendu a été rédigé par Hannah Olivetti, relu par Agathe Leblais et Jean-Pierre Jaslin et mis en page par Agathe Thiebeaux pour la Fonda. Il est mis à disposition sous la Licence Creative Commons CC BY-NC-SA 3.0 FR.

  • 1Mathilde Renault-Tinacci, « Qu’échange-t-on vraiment avec le mécénat de compétences ? », Éducation permanente n°233, 2022.
  • 2Admical, Pro Bono Lab, Baromètre du mécénat de compétences en France, 2022.
  • 3C’est le cas de la Fondation SNCF qui organise un baromètre du mécénat de compétences.
  • 4Le travail prescrit est celui demandé sur la fiche du salarié, avec une formalisation des procédures à respecter, des objectifs annuels et des résultats à atteindre. Il se distingue du travail réel qui, quant à lui, renvoie au travail réalisé effectivement par le salarié. Cela se caractérise donc par de l’incertitude, des imprévus, des arbitrages à faire par rapport au travail prescrit.
  • 5Vincent de Gaulejac, La société malade de la gestion, Seuil, 2004.
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