Engagement Enjeux sociétaux

Club de lecture sur l'engagement #9 - Synthèse

La Fonda
Et Matthieu Sibé, Thibault de Saint Blancard, Hannah Olivetti
Dans le cadre de l’exercice de prospective « Vers une société de l’engagement ? », la Fonda a souhaité ouvrir un espace de réflexions sur l’engagement : un club de lecture ! Il se réunit le premier lundi de chaque mois, pendant une heure (de 18 h à 19 h) pour partager et discuter ensemble de ressources (livres, rapports, enquêtes, interventions, podcasts, films, etc.) abordant le thème de l’engagement. Pour cette neuvième rencontre, Thibault de Saint Blancard et Matthieu Sibé nous ont présenté deux ressources sur le care.
Club de lecture sur l'engagement #9 - Synthèse
Club de lecture #9 © Agathe Thiebeaux / La Fonda

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LES ENSEIGNEMENTS CLÉS DE CETTE RENCONTRE

  1. Créer les conditions propices au dialogue et à la création d’un climat de confiance permet de fidéliser les professionnels
  2. Améliorer les conditions de travail constitue un levier d’engagement
  3. Favoriser un leadership transformationnel dans les domaines de la santé et du médico-social renforce l’efficacité des équipes
  4. Le nouveau mode opératoire du secteur de l’aide à domicile transforme les relations entre professionnels et entre professionnels et bénéficiaires, grâce à la confiance, l’autonomie et le lien
  5. Partir des besoins des patients permet de créer une organisation susceptible d’adapter les soins et l’accompagnement en conséquence

Ressource #15 La société du lien, la révolution du comment, de Guillaume Desnoës, Clément Saint Olive et Thibault de Saint Blancard, 2021, 108 pages.

Présenté par Thibault de Saint Blancard, cofondateur d’Alenvi, de Compani et de Biens Communs.

Mots clés : #Autonomie #Care #Lien

Brève présentation des auteurs

Camarades de HEC, Guillaume Desnoës, Clément Saint Olive et Thibault de Saint Blancard ont fondé ensemble plusieurs sociétés sociales spécialisées dans le grand-âge.

Parmi celles-ci :

  • Alenvi qui propose un service d’aide à domicile adapté aux personnes âgées et celles en situation de handicap,
  • Compani qui forme les salariés des structures d’aide à domicile et établissements médico-sociaux,
  • Biens communs qui est une alternative à l’EHPAD en proposant des habitats partagés pour les personnes âgées.

Lors du premier confinement sanitaire en 2020, ils ont été interpellés par le peu de considération apportée aux auxiliaires de vie, alors même qu’elles constituent des rouages clés pour améliorer la vie des personnes âgées et renforcer la solidarité et le lien social.

Ils souhaitent mettre en lumière le secteur du grand âge et le modèle qu’ils essaient de développer au travers d’Alenvi en relatant leur expérience dans leur livre, La société du lien, la révolution du comment, en 2021.

De la taylorisation à l’autonomie dans le secteur du grand âge

Guillaume Desnoës, Clément Saint Olive et Thibault de Saint Blancard constatent en 2016 que les métiers du secteur de l'aide à domicile sont taylorisés. Une répartition précise des tâches entre l’auxiliaire de vie, l’aide-soignante et l’infirmière est bien présente, au détriment de la création du lien avec les bénéficiaires.

« On mettait les professionnels dans des cases pour réaliser leurs missions, en oubliant que tous ces métiers ont intrinsèquement vocation à créer du lien », rappelle Thibault de Saint-Blancard.

Lors de leurs recherches sur ce secteur, ils découvrent une initiative inspirante, Buurtzorg, apparue aux Pays-Bas en 2006. Un infirmier, Jos de Block, s’aperçoit que l’organisation des soins à domicile était inadaptée tant pour les patients que pour les soignants.

Tout était également minuté là-bas : la durée de l’acte, le temps de trajet, etc. Il n’avait même plus le temps de dire bonjour et au revoir à ses patients. Il décide alors d’imaginer une nouvelle organisation pour répondre aux besoins des bénéficiaires, tout en favorisant la liberté et la responsabilité des professionnels. Face à l’amélioration des conditions de travail, les professionnels restent davantage dans leurs postes.

Faire avec les professionnels du care

Inspirés, les trois entrepreneurs décident de créer Alenvi, une entreprise sociale, en s’appuyant sur cette approche innovante en 2016. La centaine d’auxiliaires de vie de Paris et de la petite couronne est répartie dans des équipes autonomes, avec une volonté de donner le bon niveau d’autonomie à chacun en fonction de leur ancienneté et des cas.

C’est un véritable changement dans le mode opératoire du secteur du grand-âge, engageant dans la durée les professionnels. « Concrètement, une partie du temps des équipes est dédiée à l’accompagnement des personnes fragiles. L’autre est consacrée à la vie de l’équipe en elle-même : recruter, faire le planning, se former, etc. »

Pour opérer cette évolution, les équipes d’Alenvi ont préalablement réfléchi collectivement à la question « Pourquoi souhaite-t-on travailler ensemble au sein de la structure ? », ainsi qu’à celle « Comment veut-on travailler ensemble (répartition des rôles, processus de décisions, etc.) ? »

« Cela permet d’être aligné au quotidien », note Thibault de Saint Blancard, « car on partage la vision et les leviers pour y parvenir. Les choses évoluent en fonction des retours du terrain. »

D’ailleurs, un indice d’alignement humain a été mis en place au sein d’Alenvi pour mesurer l’alignement des conditions de travail avec la dimension humaine du métier d’auxiliaire de vie. Thibault de Saint Blancard indique qu’il existe 36 questions regroupées autour de 5 axes - issus de la pyramide de Maslow - permettant d’identifier les actions à mener :

  • le besoin physiologique,
  • le besoin de sécurité,
  • le besoin d’appartenance,
  • le besoin de reconnaissance, et
  • le besoin d’accomplissement.

Renforcer l’autonomie des professionnels et des bénéficiaires

Cette nouvelle organisation du travail est transformatrice, tant pour les professionnels que les bénéficiaires, car elle est basée sur le lien, la confiance et l’autonomie.

Pour les professionnels, ils ont davantage de liberté dans la manière d’agir au quotidien. Ils peuvent également compter sur la confiance et la solidarité au sein de leur équipe autonome. Par exemple, si une auxiliaire a un enfant malade, elle peut appeler la personne qu’elle est censée voir pour la prévenir qu’elle a un empêchement et lui indiquer la continuité des actions grâce à une de ses collègues de l’équipe. C’est un cercle vertueux qui contribue à réduire le turn-over des professionnels en améliorant leurs conditions de travail, tout en redonnant du sens à leur métier.

Mais ce n’est pas tout, l’objectif est également de développer l’autonomie des bénéficiaires.

« L’idée est de bien les accompagner, tout en renforçant leur autonomie. On part du principe que la personne veut être autonome, et plus on l’aide pour ce faire, plus on a collectivement réussi. En résumé, on veut faire avec eux et pas à leur place », insiste Thibault de Saint Blancard.

Essaimer cette approche innovante

Aujourd’hui, le secteur de l’aide à domicile connaît d’importantes difficultés de recrutement, notamment en raison « de la pénibilité, de la mauvaise image, de la rémunération faible » et de fidélisation des professionnels.

« On fait face à un important turn-over, alors même que ces métiers de l’aide à domicile sont extrêmement utiles dans la société », déplore Thibault de Saint Blancard. « C’est pour ça qu’on a constitué un collectif L’Humain d’abord, composé d’une centaine de structures, pour accompagner la transition de ce secteur », poursuit-il.

Parmi les défis à relever, Thibault de Saint Blancard mène tout un plaidoyer pour l’avènement d’un secteur du « prendre soin », au même titre du secteur du « soin ». Cela devrait s’accompagner d’une réflexion globale pour mieux définir les métiers de l’accompagnement et pour agir aussi sur la formation.

Ressources pour aller plus loin


Ressource #16 Conférence sur le « magnet hospital », un établissement où il fait bon travailler et bon se faire soigner, par Matthieu Sibé.

Présenté par Matthieu Sibé, maître de conférences en sciences de gestion.

Mots clés : #MagnetHospital #LeadershipTransformationnel

Brève présentation de l'intervenant

Matthieu Sibé est maître de conférences en sciences de gestion à l’Université de Bordeaux et à l’Institut de Santé Publique, d’Epidémiologie et de Développement (Isped).

Il est membre-expert du Haut Conseil de la Santé publique, ainsi qu’à l’Observatoire National Qualité de vie au travail des professionnels de santé. Matthieu Sibé est viceprésident du Conseil des Formations de l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP).

Magnet hospital, identifier les caractéristiques vertueuses d’un hôpital

C’est en 1983 dans l’ouvrage Magnet hospitals. Attraction and retention of professional nurses de Margaret L. McClure, alors directrice des soins d’un centre médical universitaire de New York, que le terme magnet hospital1 est apparu. Avec un groupe de chercheurs en science infirmière, elle décide de s’intéresser aux hôpitaux réputés attractifs.

« Le but était de comprendre pourquoi ces établissements étaient capables d’attirer et de fidéliser des personnels correctement qualifiés dans la durée. Cette démarche s’inscrit dans un contexte de manque d’attractivité des professions de santé et de difficultés à recruter, avec des poches de pénurie », explique Matthieu Sibé.

Ainsi, Margaret L. McClure mène une étude qualitative auprès de 41 hôpitaux réputés attractifs aux yeux des professionnels de santé. Elle établit un inventaire des politiques d’organisation, de gestion des ressources humaines, des conditions de travail, des modes de management et de leadership qui conduisent à un engagement dans la durée des soignants dans ces établissements.

Fait notable de ce travail de recherche pour Matthieu Sibé, « il s’intéresse aux raisons incitant les personnes à rester et non aux raisons de départ. Cela permet d’identifier les caractéristiques vertueuses d’un magnet hospital ».

Un label proposant un cadre de travail engageant

Par la suite, ce concept est devenu un label en 1990. Il distingue les hôpitaux en fonction de leur capacité à satisfaire « un ensemble de critères qui apprécient leurs pratiques RH, organisationnelles et managériales identifiées pour rendre optimal l’exercice professionnel des soignants » (ANCC, 2008).

Autrement dit, il s’agit « d’un établissement capable de proposer un cadre de travail propice à la réalisation des soins pour le personnel soignant » résume Matthieu Sibé. Aujourd’hui, plus de 600 établissements, principalement nord-américains, concourent à ce label de manière volontaire.

La littérature scientifique identifie 8 caractéristiques essentielles pour les magnet hospitals2 :

  • Une culture du soin centrée sur les besoins du patient
  • Des soignants experts dans leur art
  • Un soutien fort envers la formation des personnels
  • Un leadership transformationnel. Il s’agit d’un type de leadership qui cherche à transformer les collaborateurs en leur permettant de grandir et de s’épanouir humainement et professionnellement. Il repose sur l’authenticité, l’exemplarité, l’exigence, la stimulation, la capacité d’avoir une écoute attentive vis-à-vis des collaborateurs du manager.
  • Un mode de management participatif favorable à l’empowerment3  des soignants
  • Un climat relationnel collégial entre les médecins et les soignants
  • Une autonomie des soignants dans leur sphère de décision clinique
  • Une gestion adéquate des effectifs, adaptée à la charge de travail et aux besoins du patient

Cette approche conduit à améliorer la qualité de vie et la santé au travail, ainsi que la performance des soins4 .

Quid en France ?

Ce n’est qu’en 2005 que le terme de magnet hospital est apparu en France dans le rapport « L’hôpital public en France : bilan et perspectives »5 . Cependant, ce concept a du mal à émerger en France, alors même que les organisations sanitaires et médico-sociales traversent une crise des ressources humaines.

Pour savoir si des établissements français avaient des caractéristiques « magnétiques », une enquête « Mode de management aimant et Attitudes positives au travail », portée par la Haute autorité de santé (HAS), l’Inserm et l’Université de Bordeaux, est menée auprès de 856 professionnels de santé appartenant à 33 hôpitaux publics et privés.

Le questionnaire de mesure du contexte organisationnel et managérial en établissement de santé (COMET) permet aux médecins, aides-soignants et infirmiers de partager leurs perceptions du mode de management avec ses caractéristiques et ses conséquences sur les attitudes positives au travail.

Il ressort de cette étude que les professionnels de santé perçoivent les caractéristiques d’un mode de management « magnétique » dans certains services.

« Ce qui compte véritablement, c'est le climat relationnel collégial entre médecins et soignants, le management participatif, les relations entre les collègues, etc. Tout ceci renforce le sentiment collectif d'efficacité, ce qui est une variable de mobilisation et d'engagement dans la durée des professionnels », observe Matthieu Sibé.

Des résultats similaires sont mis en lumière dans d’autres travaux, comme l'enquête en oncologie pédiatrique sur l'« Impact de la démarche participative sur la qualité de vie au travail des soignants et sur la qualité des soins »6 .

Dans un contexte de taylorisation et de standarisation du travail au sein des hôpitaux en France, la démarche du magnet hospital serait une solution pour adapter les modes de management et d’organisation des établissements pour qu’il y fasse bon travailler et bon se faire soigner.

La crise du COVID-19 a d’ailleurs montré que les professionnels de santé pouvaient s’autoorganiser pour répondre aux défis, même si cette parenthèse semble être refermée depuis, avec une re-bureaucratisation des établissements de soin.

Ressources pour aller plus loin

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Merci à l’ensemble des participants : Diane Bonifas, Philippe Chabasse, Marie-Line de Bortoli, Thibault de Saint Blancard, Henri Fraisse, Jean-Pierre Jaslin, Yves Le Bars, Agathe Leblais, Marc Lévy, Michel Nung, Jean-François Serres, Matthieu Sibé, Elisabeth Stehly-Touré, Baptiste Vivien.

Ce compte-rendu a été rédigé par Hannah Olivetti, relu par Thibault de Saint Blancard et Matthieu Sibé et mis en page par Agathe Thiebeaux pour la Fonda. Il est mis à disposition sous la Licence Creative Commons CC BY-NC-SA 3.0 FR.

  • 1Le terme magnet hospital est traduit en français par hôpital aimant.
  • 2Kramer, Schmalenberg, Development and Evaluation of Essentials of Magnetism Tool, 2004.
  • 3Cet anglicisme désigne un processus par lequel l'individus'émancipe, s'autonomise.
  • 4Voir à ce sujet : Ma Carmen Rodríguez-García, Verónica V. Márquez-Hernández, Teresa Belmonte-García, Lorena Gutiérrez Puertas, Genoveva Granados-Gámez, The American journal of nursing, « How Magnet Hospital Status Affects Nurses, Patients, and Organization : A Systemic Review », 2020.
  • 5Éric Molinié, CESE, « L’hôpital public en France : bilan et perspectives », 2005.
  • 6Philippe Colombat et al., « Impact de la démarche participative sur la qualité de vie au travail des soignants et sur la qualité des soins », 2018.
Fiche de lecture