Enjeux sociétaux

Donnons toute sa place à la jeunesse

Tribune Fonda N°249 - Égalité femmes-hommes : une exigence démocratique - Mars 2021
Sandrine Martin
Sandrine Martin
Et Nils Pedersen
Depuis près de 30 ans, l’Association de la fondation étudiante pour la ville (Afev) relie quartiers populaires et campus universitaires. Elle mobilise chaque année des milliers d’étudiants pour accompagner des jeunes en difficulté scolaire et créer du lien. Depuis ce poste d’observation privilégié de la jeunesse, Sandrine Martin nous livre son analyse sur la façon dont celle-ci se débat avec les conséquences de la crise sanitaire.
Donnons toute sa place à la jeunesse
Marche pour le climat du 15 mars 2019 à Bonn, Allemagne © Mika Baumeister

Sandrine Martin répond aux questions de Nils Pedersen, président de la Fonda.
 

La crise de la COVID-19 a eu de lourdes conséquences sur l’ensemble de la population. Qu’en est-il spécifiquement des étudiants ?
 

À l’Afev, nous observons la situation des familles dans les quartiers prioritaires, mais également celle des étudiants. La crise a généré une forte précarité ; elle interroge également le rôle scolaire assigné aux familles au début de la crise sanitaire. Nous n’avons rien découvert, mais le premier confinement a mis en exergue les inégalités que nous constatons habituellement face aux devoirs. Nous avons vu se créer un décrochage important des familles, malgré une envie et une mobilisation forte de leur part pour tenir dans la durée. L’école à la maison a notamment été mal vécue, car elles ne savaient pas vraiment ce que l’école attendait d’elles.

Nous avons vu se créer un décrochage important des familles.

Concernant les étudiants, nous leur avons dernièrement adressé un questionnaire1 pour connaître leur situation personnelle, puisqu’ils constituent la majeure partie de nos bénévoles. Nous avons d’ailleurs une part très importante de premières années (L1). Il faut aussi noter que ce ne sont pas les étudiants les plus précaires qui se dirigent vers l’engagement proposé par l’Afev. Néanmoins, les résultats donnent des tendances intéressantes. Si la précarité est forte, seuls 17 % d’entre eux se disent en difficulté financière.

Ce ne sont pas tant les fragilités psychologiques qui remontent, mais essentiellement un sentiment de solitude et un manque de motivation (70 %). Alors que bien souvent ils ne vivent pas seuls, ils se sentent profondément seuls ! La première année à la fac est souvent perçue comme une année de liberté, d’autonomie et d’interactions sociales. Avec les confinements successifs, ils vivent avant tout de la solitude.

Ils s’interrogent également sur les compétences à acquérir pour valider leurs diplômes et sur leurs capacités d’insertion professionnelle. Bien souvent, la précarité était préexistante et la crise a agi comme un accélérateur. Nous l’avons vu, par exemple, dans les tiers lieux que nous animons où nous avons participé aux distributions alimentaires. Soulignons quand même un point positif : plus de 70 % des répondants à l’enquête indiquent que leur engagement les a aidés. Ils ont trouvé du sens dans une période de crise et ont maintenu une forme de vie étudiante.  

Bien souvent, la précarité était préexistante et la crise a agi comme un accélérateur.

Les associations se mobilisent depuis mars face à cette dégradation de la situation économique et sociale des jeunes. Quels sont les résultats de ces actions de distributions alimentaires, collectes en ligne, mentorat, etc. pour les jeunes ?

Sur l’aide alimentaire ou encore le mentorat, les associations étudiantes se sont énormément mobilisées. Au-delà de ces actions de terrain, elles ont également été des relais d’information au service des étudiants. Les universités et les centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (Crous) butent encore sur le non-recours aux droits de très nombreux étudiants. Le rôle des associations étudiantes, par nature en grande proximité avec leur public, est donc primordial pour inciter les étudiants à les faire valoir. Trop souvent, ils n’en ont pas connaissance, ou pire : pensent ne pas être éligibles aux différentes aides proposées. 

De notre côté, nous avons lancé une expérimentation dans cinq universités en Nouvelle-Aquitaine et dans l’Artois avec la mise en place d’un mentorat d’accueil. Des étudiants de licence 2 et 3 accompagnent individuellement des primo-entrants en L1, dès la rentrée.

Rien d’exceptionnel dans le concept, mais ce dispositif n’a vocation à se massifier qu’en complémentarité des actions existantes (tutorat pédagogique, tutorat des associations de filières…). C’est une belle réussite pour transmettre tous les codes universitaires et faciliter l’intégration à la communauté étudiante.

Si nous voulons accélérer la résorption de la précarité et lutter contre l’isolement des étudiants, une réponse coordonnée des institutions et des associations est nécessaire. Seule la conjugaison des deux permet des réponses pertinentes et accessibles à toutes et tous, même s’il reste encore beaucoup à construire. La précarité étudiante existait avant la COVID-19 et existera malheureusement toujours après. On ne pourra pas régler cette situation sans y associer les étudiants. 

Chiffres
2. Note du Conseil d’analyse économique du 27 janvier 2022.
3. Observatoire des inégalités, Rapport sur la pauvreté, 2020.
4. Toute l'Europe, « Le taux de chômage des jeunes en Europe », [en ligne].

Le gouvernement a lancé en juillet dernier son plan « 1 jeune, 1 solution ». L’objectif de ne laisser personne « au bord de la route » est-il atteint ?

Au sujet des aides, j’observe que les Crous en refusent assez peu. Mais comment toucher les étudiants qui ne sont pas boursiers ou logés en résidences universitaires ? Comment repérer les jeunes en difficulté qui n’ont pas nécessairement envie d’afficher leurs soucis aux yeux de tous ? Les universités ont recruté des tuteurs pour accompagner les étudiants, mais ces derniers sont encore peu nombreux à les solliciter. Le non-recours aux droits chez les jeunes reste un problème récurrent.

Concernant le plan du gouvernement, c’est évidemment une bonne chose. Il est cependant trop tôt pour en tirer un bilan. De très nombreux partenaires sont associés à ce projet, ce qui, on l’espère, permettra d’avoir une grande diversité de solutions pour répondre aux besoins des jeunes.

L’enjeu de ce plan sera la mise en cohérence de toutes les solutions proposées pour qu’elles soient le plus utile possible, accessibles au plus grand nombre et inscrites dans la durée.


Comment analysez-vous le refus d’une partie de la classe politique vis-à-vis du « RSA jeunes » ?

L’Afev n’étant pas une organisation représentative, elle ne s’est pas positionnée sur cette question. Mais ce qui nous interpelle, c’est ce qui est sous-jacent. Quelle est la place de la jeunesse dans notre société ? Comment prendre en compte ses spécificités tout en lui assurant au moins les mêmes sécurités qu’à l’ensemble de la population ? Aujourd’hui, la jeunesse se trouve clairement dans une situation d’insécurité sociale. C’est elle qui se trouve très fortement touchée par la crise. Est-ce acceptable ? Être jeune ne protège de rien.

La société a du mal à intégrer que les jeunes ne sont pas que l’avenir, mais également une force pour le présent.

On parle de plus en plus d’un nouvel engagement de la jeunesse. Y a-t-il un réel rebond de l’engagement ou revêt-il de nouvelles formes ?

L’Afev milite bien évidemment pour une reconnaissance du rôle de la jeunesse au cœur de notre société. Les jeunes ont des compétences qui sont utiles à toute la société et ce, dès le plus jeune âge ! Je regrette que l’on ne valorise pas ces ressources au quotidien.

Prenons par exemple les universités sur leurs territoires, leurs étudiants représentent une dynamique de développement local incroyable notamment vers les quartiers prioritaires. Pourtant, en 2021, la jeunesse est encore perçue comme un problème plutôt qu’une solution ! La société a du mal à intégrer que les jeunes ne sont pas que l’avenir, mais également une force pour le présent. 

Nous constatons que leur engagement est de plus en plus fort et que la quête de sens domine leurs motivations. Les jeunes que nous rencontrons, quel que soit leur âge, veulent changer les choses, à leur niveau. Ils sont spontanés et veulent agir rapidement. Concernant le mentorat également, nous avons désormais des lycéens qui accompagnent des collégiens et même des élèves de primaires.

Je pense à une action dans laquelle ils vont lire des histoires à domicile, deux fois par semaine, à des enfants en maternelle. Cette action va bien au-delà du caractère utile de la lecture, car elle permet aux enfants de se familiariser avec le langage du récit, mais aussi d’inscrire les livres dans l’univers familial ou encore de faire découvrir les ressources des médiathèques de quartier. Des jeunes s’engagent ici sur une action qui va influer sur la parentalité alors qu’ils n’en ont aucune expérience, en ayant la posture et la motivation adéquates.


Comment faire en sorte que les jeunes se sentent pleinement associés à la définition des politiques publiques ? 

On pourrait tout simplement leur demander leur avis ! Des instances existent déjà, mais il ne faut pas les cantonner aux seuls sujets de la jeunesse. Il faut aussi rendre ces instances attractives et pas seulement consultatives. Si l’on regarde au niveau des universités, la pérennité de la participation des étudiants dans les instances de cogestion est difficile. Ça n’est pas nouveau en soi, mais évidemment cela doit nous interroger. Comment les inciter à prendre part aux différents votes ? Comment les inciter à prendre des responsabilités ? 

J’observe que les jeunes vivent leur engagement à travers des modes d’action et d’expression renouvelés. Ils se mobilisent fortement pour le climat ou revendiquent une égalité réelle entre les femmes et les hommes. Ils se situent plus souvent dans une logique d’activisme que de co-production de politiques publiques. Ils peuvent avoir l’impression que quand ils s’engagent dans des instances, ils ont peu de moyens de faire bouger les lignes. Leur parole est entendue quand ils occupent l’espace public et médiatique. Néanmoins, lors des dernières élections municipales, on a aussi vu des jeunes être élus et revendiquer leur parcours associatif et militant. Comment articuler activisme et engagement politique ? C’est sans doute la question qui doit nous préoccuper. En tout cas, les lignes bougent, attendons de voir les résultats. 

Les jeunes vivent leur engagement à travers des modes d’action et d’expression renouvelés.

À quoi aspirent justement les jeunes pour les 10 années à venir ?
 
Les jeunes qui sont impliqués au sein de l’Afev sont, par définition, déjà engagés. Je ne peux donc pas m’exprimer pour l’ensemble de la jeunesse. Il remonte du terrain que la question climatique est centrale. Ils veulent juste vivre dans un environnement préservé. La solidarité est aussi un enjeu central. Comment créer du collectif ? Comment améliorer la vie des gens ? S’intéresser aux autres, pour les jeunes qui sont bénévoles chez nous, est un élément moteur pour se projeter dans l’avenir et sortir du spleen du moment. 

  • 1Afev, "Etudiants et engagement. Résultats et analyse du questionnaire aux engagés de l'Afev", 2021.
Entretien