Économie sociale et solidaire

Faire de l'ESS un modèle européen

Tribune Fonda N°246 - Pour une société du Faire ensemble - Juin 2020
Juan Antonio Pedreño
Juan Antonio Pedreño
Et Gabriela Martin
En avril dernier, Social Economy Europe, l'organisation européenne représentative de l’économie sociale, a interpelé la Commission européenne via une lettre ouverte demandant à l’Europe de soutenir les acteurs de l’économie sociale à surmonter la crise sanitaire actuelle.

Propos recueillis par Gabriela Martin.


Ursula von der Leyen a récemment confié au commissaire européen Nicolas Schmit la mission de développer un plan d’action européen pour l’économie sociale et le soutien à l’innovation sociale. Quels sont les principaux enjeux de développement de l’économie sociale à l’échelle de l’Europe dont un tel plan devrait tenir compte ?


Juan Antonia Pedreño.  En effet, c’est une excellente nouvelle, qui répond aux propositions de Social Economy Europe (SEE)1 qui, depuis 2014, demande ce Plan d’action pour l’économie sociale en coalition avec l’intergroupe d’économie sociale du Parlement européen, le Comité économique et social européen et le groupe d’États membres engagés en faveur de l’économie sociale2 — qui avait été fondé en 2015 par le commissaire Schmit lorsqu’il était ministre luxembourgeois du Travail, de l’Emploi et l’Économie sociale et solidaire. En bref, une coalition diverse, avec un soutien important de l’ensemble des acteurs de l’économie sociale, qui en Europe représentent 2,8 millions d’entreprises et organisations, 13,5 millions d’emplois et 8 % du PIB de l’Union. À nouveau, nous avons démontré qu’en agissant ensemble, en mettant en avant tout ce qui nous unit, nous sommes capables de transformer la réalité. 

Par rapport au contenu du Plan d’action, en janvier 2019, nous avons présenté au vice-président de la Commission européenne, Jyrki Katainen, une première proposition de Plan d’action européen pour l’économie sociale, développée en coopération avec tous les membres de Social Economy Europe. Concrètement, aujourd’hui, nous avons besoin de ce Plan d’action pour mobiliser tout son potentiel pour le progrès économique et sociale de l’ensemble de l’Union européenne. L’ESS représente  environ 10 % de l’emploi et du PIB dans plusieurs pays de l’Europe occidentale. 

Au-delà de ces grands chiffres, l’ESS démontre un grand dynamisme en termes d’entrepreneuriat, elle inspire et accompagne des citoyens qui veulent mettre en place des projets différents, qui mettent les personnes au centre et qui répondent aux grands défis de nos sociétés, comme la création d’emploi pour tous et toutes, la cohésion sociale, la transition écologique, la finance durable, la prestation de services sociaux, culturels, professionnels, sportifs, etc. D’autres pays européens sont encore loin de cet horizon, bien que leurs besoins et défis soient similaires. Le Plan d’action pour l’économie sociale doit servir pour inspirer les Européens et les futurs entrepreneurs, ainsi que pour accompagner les administrations publiques à mettre en place des instruments juridiques et politiques permettant et favorisant l’entreprenariat à travers de la diversité de formes de l’économie sociale : la coopérative, la mutuelle, l’association, la fondation, les différentes formes d’entreprise sociale, etc. La diversité fait la force de l’économie sociale et la diversité de formes d’entreprendre est la clé du progrès économique et social de l’Europe. 

D’autre part, l’économie sociale doit polliniser l’ensemble des grandes politiques européennes, telles que le pacte vert (Green Deal européen), le socle de droits sociaux, ou la stratégie industrielle et en faveur des PME. Comme le dit mon collègue Jérôme Saddier, président d’ESS-France et vice-président de SEE, nous sommes collectivement l’avant-garde de l’économie de demain. Le rôle de l’économie sociale pour construire cette nouvelle économie et pour assurer qu’elle soit plus juste et distributive — une économie pour les personnes et la planète telle qu’elle figure parmi les priorités de la Commission — doit être d’avantage promu. 

Nous travaillons d’ores-et-déjà avec le commissaire Schmit et son équipe, et en coopération avec l’intergroupe de l’économie sociale, le groupe de pays pour l’économie sociale et d’autres acteurs et institutions pour co-construire ce Plan d’action européen qui sera présenté en automne 2021. 

 

Comment bâtir des coopérations entre acteurs européens de l’économie sociale tenant compte de la diversité des modèles, vocabulaires et références entre les pays de l’Union européenne ?


Nous le faisons déjà. Ce qui nous unit, nos valeurs de primauté de la personne, de gouvernance démocratique, de solidarité et le réinvestissement de la plupart ou la totalité des bénéfices, est beaucoup plus important que les différences qui nous séparent, qui sont d’ailleurs très souvent artificielles. De plus, la division est le chemin le plus court vers l’insignifiance. Comme je le dis souvent et comme nous l’avons inscrit sur la Déclaration de Strasbourg adoptée en décembre de l’année dernière : « Seuls, nous sommes invisibles, mais ensemble, rien ne peut nous arrêter. »

Comme c’est souvent le cas, plus nous voyageons en Europe et au-delà, plus nous rencontrons des collègues qui travaillent et s’investissent dans des projets similaires à ceux que nous construisons dans nos pays, villes et régions. Ensemble, présents dans tous les secteurs d’activité et à travers de différentes formes d’entreprise, nous proposons un projet de transformation et progrès puissant et attractif.  

Un bon exemple de l’impact de l’action collective est notre lettre ouverte aux leaders de institutions européennes : Surmonter Covid-19. L’heure de la solidarité : une crise sans précédent nécessitant une réponse sans précédent de l'Union européenne pour rétablir le progrès économique et social, dans laquelle nous avons demandé à l’UE et aux États membres d’inclure dans leurs différentes mesures de soutien aux entreprises à l’ensemble des acteurs de l’économie sociale comme les coopératives, les mutuelles, les associations, les fondations, les différentes formes d’entreprise sociale et d’autres formes juridiques de l’économie sociale spécifiques à chaque État membre. Une demande qui a été reprise par le commissaire Schmit dans sa Lettre aux 27 ministres du Travail de l’Union européenne

 

Peut-on imaginer des coopérations élargies au service de la transformation de nos modèles entre acteurs de l’économie sociale, acteurs de l’économie «
classique », citoyens engagés et acteurs publics ?


Bien sûr, et nous travaillons déjà à ces alliances au niveau européen. Par exemple, avec la Confédération européenne des syndicats (CES), la Plateforme sociale européenne (regroupant les principaux réseaux d’ONG européennes), le Mouvement européen international et notre membre CECOP (coopératives industrielles et de services), nous avons bâti l’alliance Stand Up for the Social Pillar (« Défendons le socle de droits sociaux ! »). 

À présent, nous explorons d’autres alliances pour pousser vers une stratégie ambitieuse de reconstruction économique et sociale de l’Europe, suite à la crise du Covid-19 et de ses effets sanitaires, sociaux et économiques, et surtout pour assurer que l’Europe investisse, à la hauteur de ses/nos ambitions, dans des projets économiques et sociaux alignés avec les ODD. Cela nous permettra de construire une économie au service des personnes et de la planète. 

  • 1Social Economy Europe (SEE) est la voix des entreprises et des organisations de l’économie sociale en Europe. Ses membres sont les organisations européennes des assureurs mutuels et coopératifs, mutuelles de santé, coopératives industrielles et de services, entreprises sociales d’insertion, associations d’intérêt général, fondations, institutions de protection sociale, finances et banques éthiques et alternatives et des villes et régions pour l’économie sociale. Au niveau national, SEE associe aux organisations nationales de l’économie sociale de Belgique (ConcertES), Espagne (CEPES), France (ESS-France), Italie (Forum Nazionale Terzo Settore) et Portugal (CASES).
  • 2Comité de suivi de la Déclaration du Luxembourg initié par le Luxembourg, la France, la Slovénie, la Slovaquie, l’Espagne et l’Italie, qui regroupe aujourd’hui environ 15 États membres. Le Comité à une présidence rotative et est actuellement présidé par la ministre espagnole du Travail et de l’Économie sociale, Yolanda Díaz.
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