Prospective Enjeux sociétaux

Fiche ODD n°1 - Pas de pauvreté

Tribune Fonda N°237 - Faire des ODD un projet de société - Mars 2018
Aleth Vennin
Aleth Vennin
Présentation et approche prospective de l'Objectif de développement durable n°1. Cette fiche est publiée dans le supplément au numéro 237 de la Tribune Fonda « Faire des ODD un projet de société ».
Fiche ODD n°1 - Pas de pauvreté

Cette fiche a été réalisée par Aleth Vennin, étudiante en master Politiques publiques à Sciences Po, avec le concours de François de Jouvenel, délégué général de Futuribles International, et Bastien Engelbach, coordonnateur des programmes de la Fonda.


L'objectif de développement durable n°1 vise à mettre fin à la pauvreté sous toutes ses formes et partout dans le monde d’ici à 2030. Il insiste sur la multi-dimensionnalité de la pauvreté, qui ne se limite pas à l’insuffisance de revenus.

L’ONU préconise d’adopter une vision plurielle, en se concentrant sur la satisfaction des besoins les plus élémentaires, tels que la faim, la santé, l’éducation, et l’accès à l’eau et l’assainissement.
 

Repères


SITUATION DE l'ODD EN FRANCE

Indicateurs à suivre 

  • Nombre de personnes se situant sous le seuil de 60% du revenu médian après transferts sociaux, c’est-à-dire en prenant en compte les prestations de la protection sociale ainsi que les biens et services non marchands tels que l’éducation et la santé (seuils français et européen)
     
  • Personnes menacées de pauvreté ou d'exclusion sociale (Eurostat), c'est-à-dire affectées par au moins une des trois conditions suivantes :
    - en situation de pauvreté après transferts sociaux
    - en situation de privation matérielle sévère
    - vivant dans des ménages à faible intensité de travail
     
  • Personnes en situation de privation matérielle sévère (en %) ; personnes remplissant au moins 4 des 9 indicateurs de privation : régler le loyer ou les factures pour les services d’utilité publique ; chauffer convenablement le domicile ; faire face à des dépenses imprévues ; consommer de la viande, du poisson ou un équivalent protéiné tous les deux jours ; partir en vacances hors du domicile une semaine par an ; acheter une voiture ; acheter une machine à laver le linge ; acheter une télévision couleur ; payer une connexion téléphonique.


Où en sommes-nous en France ? 

La cible de l’ONU est de réduire d’ici 2030 de 50% la pauvreté, comprise selon les critères de définition établis par chaque gouvernement. Bien que la pauvreté extrême ait été éliminée en France, celle-ci n’a pas défini d’objectif chiffré.  Au niveau de l’Union européenne, la stratégie Europe 2020 vise à réduire d’au moins vingt millions le nombre de personnes touchées ou menacées par la pauvreté et l’exclusion sociale. 

En France, 8,9 millions de personnes sont pauvres, ce qui correspond à 14,3 % de la population au seuil de 60 % du revenu médian (Insee, 2017). En 2015, 4 millions de personnes sont allocataires de minima sociaux, dont 1,8 millions touchent le RSA. En ajoutant les ayants droit, un peu plus de 6 millions de personnes sont officiellement reconnues par la société comme ayant besoin d’un soutien (Observatoire des inégalités). 17,7% de la population française est en risque de pauvreté ou d’exclusion sociale. 4,5% des Français sont en situation de privation matérielle sévère (Eurostat). 
 

Prospective exploratoire


Tendances lourdes

La France a fait de grands progrès dans l’élimination de la pauvreté par rapport aux années 1970. La pauvreté a fortement reculé des années 1970 aux années 1990. 

Ainsi, en 1970, le taux de pauvreté au seuil de 60 % du revenu médian était de 18 %. En 1990, il tombe à 13,8 %.

Les années 2000 marquent cependant un tournant dans l’évolution de la pauvreté en France. La crise de 2008, en contribuant à l’augmentation du chômage, a provoqué une augmentation de la pauvreté. Le nombre d’individus pauvres a augmenté de 600 000 en dix ans. Entre 2008 et 2012, le taux de pauvreté à 60 % du revenu médian a augmenté de 13,2 % à 14,2 %.  Ainsi, l’écart se creuse entre les plus pauvres et les couches moyennes. Les statistiques disponibles s’arrêtent à 2015. Depuis lors, une reprise de l’activité économique est perceptible. Entre décembre 2015 et mars 2017, le nombre d’allocataires du revenu de solidarité active (RSA) a diminué de 5 %. Le taux de chômage diminue également, passant de 10,6 % en 2015 à 9,8 % en 2017. L’Insee  estime que le taux de pauvreté à 60 % du revenu médian aurait baissé en 2016, pour atteindre son niveau de 2014. 

L’Observatoire des inégalités remarque cependant que seul un mouvement beaucoup plus important et durable  permettrait de revenir à la situation du milieu des années 2000, où le taux de pauvreté à 60 % était de 12,8 % (L’état de la pauvreté en France, novembre 2017).

La pauvreté a connu de profondes transformations au cours des dernières décennies (données Insee) :
 

  • La famille monoparentale
    Les familles monoparentales sont surreprésentées dans la population pauvre par rapport à leur poids dans la population totale. En effet, 25 % des pauvres en 2015 vivent dans une famille monoparentale. 
     
  • L’urbanisation de la pauvreté
    65 % des personnes pauvres vivent dans les grandes villes. La pauvreté s’est urbanisée, baissant d’environ quatre points entre 1996 et 2010 dans les zones rurales, et augmentant de cinq points dans l’agglomération parisienne. Les grandes zones urbaines sont ainsi les endroits où les inégalités de revenus sont les plus élevées. 
     
  • Les jeunes
    Les enfants et les adolescents représentent plus d’un tiers des personnes pauvres. Ce sont des individus qui ont hérité de la pauvreté de leurs parents. Les jeunes de 20 à 29 ans représentent 17 % des pauvres. Il s’agit souvent de jeunes peu qualifiés, en difficulté d’insertion sur le marché du travail. 
     
  • Les seniors
    Les plus de 60 ans sont moins concernés par la pauvreté. Ils représentent un dixième de l’ensemble des personnes vivant sous le seuil de pauvreté. Cependant, cette situation reste préoccupante puisqu’elle n’est pas appelée à évoluer, contrairement à celle des plus jeunes. De plus, le nombre de personnes pauvres chez les seniors tend à augmenter.
     
  • Les catégories socio-professionnelles
    Les inactifs et les chômeurs représentent plus de 70 % des personnes pauvres. La pauvreté ne concerne pas de manière égale l’ensemble des catégories socio-professionnelles. Les employés et les ouvriers constituent la majorité de la population pauvre. Près des deux tiers des pauvres appartiennent à un ménage dont la personne de référence est ouvrière ou employée. 


Incertitudes majeures


La transformation de l’économie 

La population française est frappée par le phénomène des travailleurs pauvres : 700 000 salariés disposent d’un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté, soit parce qu’ils travaillent à temps partiel avec de très bas salaires, soit parce qu’ils n’ont travaillé qu’une partie de l’année. Ainsi, l’emploi de mauvaise qualité alimente la pauvreté.

Les mutations du monde du travail et de la famille accentuent la pauvreté des Français.  La transformation actuelle de l’économie, vers une économie fondée sur le savoir et les services, risque d’accentuer le précariat des travailleurs. La robotisation du marché du travail présente également le risque de pousser vers la sortie de l’emploi une part croissante de travailleurs. 

Dès lors, il faudrait repenser le fonctionnement de la protection sociale, dont les revenus ne viendraient plus uniquement du travail. Les prochaines décennies seront décisives pour l’avenir de la protection sociale : avec l’individualisation de la société, quelle responsabilité les individus seront-ils prêts à prendre sur les risques collectifs ? Le rôle des corps intermédiaires, notamment celui des associations et des centres d’hébergement, dans la lutte contre la pauvreté, est plus que jamais d'actualité.

Allons-nous vers un modèle de croissance économique inclusive, ou vers une société marquée par des inégalités croissantes ? 


La mise en place d’un revenu universel ? 

Le sujet du revenu universel revient régulièrement dans le débat public. Ce dernier est controversé, car s’il permettrait d’instaurer un filet de sécurité pour les individus et de leur garantir un minimum de subsistance, ses difficultés de mise en place posent question.

La question de son financement, ainsi que de la place laissée à la protection sociale, diffèrent grandement selon les propositions. Derrière ce débat se cachent les incertitudes quant au futur du modèle français d’État-Providence.


Émergences


De nouvelles formes de solidarités

Un renouveau des mécanismes d’entraide est à l’œuvre ces dernières années. En témoignent la place de l’innovation sociale et le développement de l’entrepreneuriat social, qui essaient de concilier activité économique et justice sociale.

La Commission européenne définit les innovations sociales comme de nouvelles solutions qui répondent à un besoin social plus efficacement que les solutions existantes, et créent de nouvelles et meilleures capabilités et relations, ainsi qu’un meilleur usage des ressources. En d’autres mots, les innovations sociales améliorent la capacité de la société à agir. 

Selon l’Avise, « l’entrepreneuriat social est une manière d’entreprendre qui place l’efficacité économique au service de l’homme et de l’environnement ».  En France, de nombreuses initiatives ont émergé ces vingt dernières années : nouvelles formes de coopératives (Scic, coopératives d’activité et d’emploi), services aux personnes, entreprises d’insertion, etc. (Avise). 

La loi du 31 juillet 2014 a inscrit les entreprises sociales dans l'Économie sociale et solidaire (ESS). Selon le Mouvement des entrepreneurs sociaux (Mouves), « les entreprises sociales sont des entreprises à finalité sociale, sociétale ou environnementale et à lucrativité limitée. Elles cherchent à associer leurs parties prenantes à leur gouvernance ». 

Un mouvement d’idées recentrant l’individu et ses capacités d’agir est ainsi de plus en plus présent. L’accent mis sur l’empowerment, afin de redonner au citoyen une expression politique et économique, en est un exemple. 


La crise des migrants de 2015

La pauvreté frappe déjà lourdement les immigrés. 37,6 % des personnes vivant dans un ménage immigré sont considérées comme pauvres en 2013, contre 14 % pour l’ensemble de la population. Ce niveau s’explique par la présence de chômage, des discriminations, et des niveaux de qualification plus faibles de cette population.

La crise des migrants qui a commencé à toucher l’Europe en 2015 constitue un phénomène émergent : comment la société française peut-elle se préparer à accueillir une nouvelle population et la protéger contre la pauvreté ? 

Selon l’Observatoire des inégalités, 5,4 millions d’emplois dans les secteurs publics et privés demeurent fermés aux étrangers, soit environ plus de 20 % des emplois en France. Le marché du travail devra ainsi s’adapter à cette arrivée de nouveaux travailleurs. 
 

→ Découvrez des projets en coopération qui répondent à cet ODD.


Ressources

_ Observatoire des inégalités, L’état de la pauvreté en France, 9 novembre 2017.

_ Insee, enquête « Revenus fiscaux et sociaux » 2017.

_ Caulier-Grice, J., Davies, A., Patrick, R., & Norman, W. (2012). Defining social innovation. A deliverable of the project: “The theoretical, empirical and policy foundations for building social innovation in Europe”(TEPSIE), European Commission–7th Framework Programme, Brussels: European Commission, DG Research. (p.18)

_ Site de l’Avise : www.avise.org

_ Site du Mouves : www.mouves.org 
 

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