Enjeux sociétaux

Homoparentalité : le rôle du droit

Tribune Fonda N°249 - Égalité femmes-hommes : une exigence démocratique - Mars 2021
Caroline Mécary
Caroline Mécary
Et Nils Pedersen
Les couples hétérosexuels et homosexuels sont confrontés à des inégalités d'accès aux techniques médicales telles que la procréation médicalement assistée (PMA). La gestation par autrui (GPA), autour de laquelle se jouent des choix de société, n'est quant à elle permise pour aucun couple. L'instauration d'une véritable égalité de traitement passe par des revendications collectives, mais surtout par des décisions de justice et une modification du droit.
Homoparentalité : le rôle du droit
Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), Strasbourg, 2013 © Erich Westendarp

Caroline Mécary répond aux questions de Nils Pedersen, président de la Fonda.

À titre professionnel, vous vous êtes fortement investie dans la reconnaissance des couples de même sexe et militez pour une ouverture à la PMA à toutes les femmes. Pourquoi ce sujet ?

Je me suis en effet engagée pour la reconnaissance des couples de même sexe et de l’homoparentalité. Je milite également pour l’accès à la procréation médicalement assistée (PMA) pour toutes parce que sur ces sujets la discrimination n’est pas tolérable. Aujourd’hui, la PMA est ouverte aux seuls couples hétérosexuels. Or, en 2021, plus rien ne justifie que des techniques médicales, qui existent depuis plus de 50 ans, soient uniquement réservées à un couple composé d’un homme et d’une femme. Pourquoi les refuser à des couples de femmes ? 

Prenons un peu de recul pour bien comprendre la PMA. Depuis 1994, le législateur est venu l’encadrer. Elle couvre à la fois l’insémination artificielle, l’insémination artificielle avec donneur anonyme, mais aussi le don d’ovocytes et le don d’embryons. Si l’on va au-delà de la définition juridique française, on peut ajouter que le recours à une femme porteuse pour fonder une famille, est reconnu par l’OMS, comme une technique de PMA.

Depuis le milieu des années 1990, les couples composés de personnes de même sexe ont laissé émerger leur désir d’enfant. Pour fonder une famille, ces couples ont eu recours dans un premier temps à la coparentalité, c’est-à-dire pour un couple de femmes d’être « accompagné » par un couple d’hommes pour avoir un enfant et inversement, puis aussi aux techniques de PMA.

Plus de 14 pays européens ont ouvert la PMA aux femmes en couple et 26 pays le permettent même aux femmes célibataires. De ce point de vue, la France est très en retard.

C’est parce que les femmes doivent aller à l’étranger pour devenir enceintes que sont nées, au début des années 2000, les revendications de l’ouverture de la PMA en France. 

En 2012, lorsque le candidat Hollande s’engage dans la présidentielle, il promet d’ouvrir le mariage civil et l’adoption. Mais il ne promet pas d’ouvrir la PMA. Une fois élu, il éludera complètement le sujet en raison de la mobilisation de la Manif pour tous. Cette revendication, portée par les couples de femmes de même sexe ou des femmes célibataires, va émerger de nouveau en 2017, une fois le Président Macron élu.

Nous débattons depuis 3 ans sur un texte qui n’est toujours pas voté. Je doute d’ailleurs qu’il le soit dans le courant 2021 en raison des navettes parlementaires et d’une absence de fixation d’une date à l’ordre du jour. Quoiqu’il en soit, ouvrir les techniques de PMA à toutes les femmes, c’est faire un pas supplémentaire vers l’égalité de traitement pour toutes.


En quoi la PMA et la GPA sont-elles des avancées pour les femmes ? Et plus largement, pour notre société ?

On ne peut pas mettre sur le même plan la PMA et la GPA au regard du droit français. En France, la PMA n’inclut pas la GPA qui est interdite à tous les couples. Il n’y a donc pas de discrimination concernant la GPA entre les couples, alors qu’elle existe pour la PMA qui est uniquement réservée aux couples hétérosexuels. 

Permettre à toutes les femmes d’avoir accès à la PMA, c’est leur permettre d’avoir une plus grande autonomie et une plus grande liberté dans le choix qu’elles peuvent avoir pour fonder une famille, en étant un couple de personnes de même sexe.

C’est en cela que c’est un progrès : car c’est un pas supplémentaire vers une égalité de traitement. 

Sur la GPA, la question est plus complexe. La légalisation de la GPA ne se pose pas en termes de discrimination envers les couples homosexuels puisqu’elle n’est permise pour aucun couple. Elle est de savoir si notre société est prête à admettre que les couples qui ne peuvent pas avoir d’enfant mais sont désireux de fonder une famille puissent se faire aider par une femme qui accepte de porter un enfant pour ledit couple, qu’il soit hétérosexuel ou homosexuel. 

C’est donc avant tout une question de choix de société. Il y a une opposition entre ceux d’un côté, qui considèrent que légaliser la GPA, c’est ouvrir la boîte de Pandore de la marchandisation du corps des femmes et de l’autre côté, ceux qui disent qu’il s’agit de laisser aux femmes le libre choix de leur corps. De la même manière qu’elles peuvent en disposer grâce à l’IVG - et décider de ne pas avoir d’enfant -, elles peuvent choisir de mettre au monde un enfant qui sera confié à un couple, bien évidemment dans un cadre légal strict que nous aurons défini. 

Personnellement, je considère que les femmes ne sont pas des mineures. De la même manière qu’elles peuvent mettre fin à une grossesse, elles doivent pouvoir avoir le droit de décider qu’elles mèneront une grossesse pour autrui. Les femmes savent ce qu’elles font. Il faut cesser d’avoir un rapport paternaliste avec elles.

La liberté n’étant jamais absolue, il faut évidemment un cadre légal défini selon nos propres principes et valeurs du droit français sur la base de critères médicaux et de critères éthiques dont nous auront débattu. Permettre aux femmes de porter pour autrui serait la plus grande de leurs libertés parce que cela les désasservirait de la maternité, comme étant le devoir de porter un enfant pour soi .

Aujourd’hui, les couples vont dans des pays qui ont légalisé la GPA. Si l’on veut éviter le départ de couples français à l’étranger, légalisons donc en France, selon nos principes, nos valeurs, nos critères républicains.

Pour les couples hétérosexuels la PMA n’est plus tellement une question. Pour les couples de femmes, en revanche, les débats restent virulents. Comment expliquez-vous cette hostilité envers les couples de même sexe qui ont un désir de parenté ? 

Ceux qui sont opposés à l’ouverture de la PMA à tous les couples sont les mêmes qui étaient opposés à la PMA pour les couples hétérosexuels dans les années 1970. Je rappelle que l’Église considérait que le fait d’avoir recours à un donneur anonyme était constitutif d’un adultère. Avouez que cette conception du monde est archaïque.

Les trois religions du Livre portent d’ailleurs cette vision commune de l’alliance d’un homme et d’une femme pour faire un enfant charnellement. Mais ces opposants ne sont qu’une minorité, même s’ils disposent de moyens financiers conséquents pour porter leur propre vision. Les sondages sur l’ouverture de la PMA à tous les couples, montrent que la majorité des Français y sont favorables.

Les mêmes qui étaient opposés à la contraception dans les années 1960, puis à l’IVG dans les années 1970, ou même au divorce par consentement mutuel et prédisent l’effondrement de la famille sont ceux qui militent contre l’ouverture de la PMA.

La sociologie des familles évolue en permanence. On est sorti du cadre des familles dites « légitimes », c’est-à-dire existant uniquement par le mariage, et si possible le mariage religieux.

Aujourd’hui, les familles ont des formes multiples. Plus d’un enfant sur deux naît d’une union hors mariage. Il y a des familles recomposées, monoparentales, et depuis les années 1990 des familles homoparentales et transparentales.

Pour les couples de femmes qui ont recours à la PMA, l’enfant va naître en France et il va falloir mettre en place une procédure d’adoption pour que celle qui n’a pas accouché puisse devenir légalement deuxième parent : c’est cette adoption qui va protéger juridiquement l’enfant. 

Dans le projet de loi, il existe une discrimination entre les enfants conçus par PMA avec don pour des couples de femmes et ceux conçus pour des couples hétérosexuels. Pour ces derniers, le législateur a prévu de ne pas toucher au cadre de 1994 : c’est-à-dire le système du « ni vu, ni connu ». On ne dit pas qu’il y a eu un don de gamètes et l’on fait comme si les deux parents étaient les parents biologiques. À moins que ses parents ne lui disent, l’enfant n’a aucun moyen de savoir qu’il a été conçu grâce à un don anonyme. 

En revanche, pour les couples de femmes, elles devront consentir au don de gamètes et faire une reconnaissance conjointe anticipée (RCA). Il s’agit d’un document établi par un notaire qui recueillera deux consentements : celui au don de gamète et celui concernant la filiation. Lors de la déclaration de l’enfant à l’état civil à sa naissance, il sera demandé pour la rédaction de l’acte de naissance de l’enfant, le certificat d’accouchement et la RCA qui fera l’objet d’une mention dans l’acte intégral de naissance. Ainsi, l’enfant aura la possibilité de savoir qu’à sa conception, il y a eu l’engagement conjoint de ses deux mères d’avoir recours à un don de gamète. 

Le projet de loi instaure une discrimination envers les enfants nés dans les couples hétérosexuels par rapport à ceux désirés par un couple de lesbiennes : les premiers n’auront aucune possibilité de connaître leur histoire. Le législateur, par choix politique, reste au milieu du gué pour faire plaisir à une frange d’électeurs conservateurs qui veut permettre aux couples hétérosexuels de continuer à faire semblant d’avoir conçu charnellement l’enfant, en taisant le don.


 
Quel rôle les associations ont elles joué, et jouent-elles toujours, dans la reconnaissance des couples homosexuels ? Et dans l’accès aux droits en faveur de la PMA et GPA ?

Il y a une très grande diversité d’associations, avec des intérêts multiples, voire divergents… Dans les associations LGBTQ+, il y a pu y avoir des analyses juridiques erronées.

On ne peut pas dire que les couples de lesbiennes sont discriminés alors que c’est exactement l’inverse en ce qui concerne la reconnaissance de l’enfant ! Leurs positionnements sont logiquement liés à leurs options politiques et peuvent prôner une vision, que parfois je trouve restrictive. 

J’ai conscience du rôle des différents collectifs pour porter des revendications militantes, mais pour ma part je porte d’abord un regard d’avocat et non de militante. Le retentissement des procédures judiciaires que j’ai menées à la demande des familles a permis et permet de faire avancer le droit d’une manière efficace et c’est la mienne.

Par exemple, en septembre 2014, j’ai obtenu que la Cour de cassation rende un avis qui dise clairement qu’une adoption par un couple de femmes peut être prononcée même s’il y a eu une PMA à l’étranger. Grâce à cet avis, toutes les difficultés dans les procédures concernant l’adoption de l’enfant du conjoint ont pu être aplanies.

Ce sont ces actions judiciaires, et leurs échos médiatiques, qui alimentent le débat public sur l’accès à la PMA pour toutes.

Bien sûr, les associations se sont emparées des sujets, mais chacune avec ses priorités, laissant souvent apparaitre des divergences qui stérilisent le débat.

Pour ma part, je souhaite dépasser la question des seuls couples de personnes de même sexe et me préoccuper de la situation des enfants issus de tous les couples. D’ailleurs si la GPA doit être légalisée, elle doit concerner tout le monde, hétérosexuels comme homosexuels.

On reproche parfois une forme de « communautarisme » aux associations LGBTQ+, c’est-à-dire la défense de droits d’une minorité, à l’image de la société anglo-saxonne. Existe-t-il une tension entre la mise en avant d’une identité propre, ici son homosexualité et une société égalitaire ?

C’est une affirmation portée par ceux qui voudraient que les personnes LGBTQ+ ne soient pas visibles. Les demandes des personnes LGBT, c’est d’abord l’égalité des droits et devoirs et non pas un droit particulier. Ainsi la revendication du mariage civil et de l’adoption ou encore de l’ouverture de la PMA, sont des revendications universalistes.

Avant la loi de 2013, les couples homosexuels n’avaient le choix qu’entre se pacser ou vivre en concubinage alors que les couples hétérosexuels pouvaient se marier, se pacser ou vivre en concubinage. La loi a permis que chaque personne, indépendamment de son orientation sexuelle, puisse avoir les mêmes choix et accéder aux mêmes statuts avec les mêmes droits dans le cadre de nos lois républicaines.

Je suis vigilante à ce que, justement, les droits que je demande pour les couples de femmes de même sexe restent les mêmes pour tous, et non uniquement réservées aux seules femmes lesbiennes. 

Personne ne veut une règle particulière pour les personnes LGBTQ+. Bien souvent, quand on supprime une discrimination, cela profite à tous. 

 
Vous attaquez régulièrement les décisions judiciaires de la France devant la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH). L’évolution du droit français passera-t-il par les injonctions de la CEDH ou par des avancées politiques ? 

Certaines grandes avancées en matière de protection des personnes LGBTQ+ viennent de la CEDH. Elle a condamné en 2008 le refus d’agrément pour adopter, opposé à une femme lesbienne, à cause de sa vie de couple. Elle a rappelé en 2014 à la France que même si un enfant est né par une GPA, il a le droit à une filiation clairement établie, tout comme les personnes trans ont obtenu la reconnaissance de leur nouvel état civil grâce à un arrêt de 2016.

Les grandes avancées qui concernent les droits et libertés des personnes LGBTQ+ viennent de la CEDH. 

La CEDH a eu un impact très important sur la vie des personnes LGBTQ+. Mais elle rappelle, comme la Cour de cassation, que ce sont les juges du fond qui doivent appliquer les garanties offertes par la Convention européenne des droits de l’homme et sa jurisprudence. 

Dans les affaires que je plaide devant les juges nationaux, je rappelle ainsi systématiquement les jurisprudences de la CEDH pour qu’elles soient intégrées dans les décisions rendues par les juridictions internes. Et ce n’est que lorsque ces dernières ne veulent pas les appliquer que je saisis la CEDH.

J’ai par exemple un dossier dans lequel on refuse la possession d'état à une femme [lesbienne]. Si elle avait été un homme, on la lui aurait accordée. C’est donc bien une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle du parent social. Ce sont ces affaires qui alimentent l’opinion publique tout comme les juridictions. Elles permettent ensuite au droit d’évoluer. Les lacunes qui surgissent au travers de certaines décisions de justice montrent que la règle est bancale ou insuffisante. Elles amènent le personnel politique à faire des choix et à changer la loi.

 
Être une femme, a fortiori homosexuelle, dans l’arène politique, entraine-t-il plus de violences verbales et symboliques ? En quoi, selon vous, cela dérange que vous soyez femme et lesbienne ?

Oui, ça dérange ! Déjà, être une femme, même dans nos sociétés évoluées, c’est naître dans le mauvais sexe, du point de vue des rapports de force et de pouvoir. Être lesbienne, sans forcément être revendiquée, mais juste ne pas être planquée, c’est très vicieux, car c’est souvent de l’implicite. Cela va de la négation à l’invisibilisation. C’est très difficile à identifier. Il n’y a souvent pas de mots (et justement ce silence en dit long) ou alors des périphrases. Ce sont des comportements… (silences) ou des mots qui n’ont pas la forme de l’injure mais qui souligne cette différence de sexualité.

Je me compare souvent à Éric Dupond-Moretti – quand il était avocat (pas ministre). Lui comme moi avons une histoire personnelle dans laquelle nous puisons des ressorts profonds pour combattre ce qui est injuste et arbitraire. Nous utilisons ce que sommes, notre savoir, notre savoir-faire pour défendre nos clients. Nous faisons le même métier d’avocat. Je suis une femme et je n’ai jamais caché mon homosexualité. L’effet immédiat, cela a été de me coller une étiquette : celle de militante des droits LGBTQ+. 

A-t-on jamais dit de Dupond-Moretti qu’il est militant de la cause des criminels ? Bien sûr que non, on dit de lui que c’est un ténor. Mécary - elle - c’est une militante. Ça, c’est une forme de discrimination. On oublie ou on feint d’oublier l’avocate que je suis et l’on me réduit à ce que je ne suis pas !

Je n’ai pas un seul engagement associatif. Je n’ai jamais milité dans une association, car j’ai toujours voulu être libre et indépendante et j’ai toujours voulu pouvoir dire ce que je veux.

On me dit « avocate activiste », pourquoi pas mais je voudrais rappeler avec force que je défends d’abord des gens avant de défendre des causes. Je fais d’abord mon métier. Bien sûr, je sais donner une dimension politique à ce que je fais, mais ma plaidoirie devant un tribunal et mon discours public ne sont pas de même nature. 

Devant les juges, on fait du droit. Sur un plateau de télé, on est pédagogue, on explique, donc oui, on fait de la politique. Et d’ailleurs, un homme politique, un élu, c’est aussi un militant. Et pourtant, on ne lui accole pas cette étiquette. Pourquoi le faire pour les femmes ?

Alors oui, ma pratique du droit a permis de donner une visibilité aux revendications des personnes LGBTQ+. Je suis la première avocate à avoir défendu les familles homoparentales et sans doute la seule médiatique. Mais à l’origine je suis avocate. J’ai la défense dans la peau.

L'amour et la loi
Caroline Mécary, L'amour et la loi, paru chez Alma Éditeur, 2018, 306 pages.


 

Entretien