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Le travail gratuit des chômeurs-bénévoles. Une logique de contribution à ré-évaluer ?

Tribune Fonda N°245 - Associations et collectivités - Mars 2020
Loïc Damey
Loïc Damey
Et Association Réunion Bénévolat
Dans nos sociétés contemporaines, les contributions des bénévoles ne sont pas considérées à leur juste valeur. Alors que les travailleurs sont jugés à l’aune de leurs apports économiques, les bénévoles effectuent une forme de travail gratuit qui n’est pas prise en compte. La particularité de nos pays développés, c’est de garantir un revenu de substitution pour ceux qui ont perdu leur emploi, même s’il est plus ou moins précaire en fonction des pays. En France, l’assurance chômage et les minima sociaux permettent de créer un pont entre deux emplois.
Le travail gratuit des chômeurs-bénévoles. Une logique de contribution à ré-évaluer ?

Parmi les personnes sans emploi se trouvent des bénévoles. On peut s'interroger sur les motivations et les modalités d’action de ces personnes. Pourquoi est-ce qu’elles s’investissent dans le bénévolat alors qu’elles sont censées rechercher un emploi ? Est-ce que le temps libéré facilite le bénévolat ? Est-ce que ces personnes apportent une contribution à la société ? 

Une étude1 réalisée avec onze entretiens semi-directifs auprès de chômeurs-bénévoles résidant sur l’île de la Réunion tente de répondre à ces questions.


Les motivations intrinsèques et extrinsèques ne se cumulent pas


La motivation extrinsèque correspond à ce que l’environnement nous contraint à faire, comme gagner de l’argent. Ce sont les motivations intrinsèques, relatives à des facteurs internes, comme la recherche de sens, la satisfaction, le plaisir, qui guident les bénévoles. Cette distinction est d’autant plus pertinente dans le cas particulier des bénévoles puisqu’ils travaillent gratuitement.  

Les motivations intrinsèques et extrinsèques ne se cumulent pas, elles se soustraient comme le montre l’expérience menée par Bruno Frey2 . Parmi trois groupes de volontaires, un faiblement indemnisé, un autre indemnisé à sa juste valeur et le dernier pas du tout indemnisé, qui est le moins motivé ? Le résultat de l’expérience montre que ceux qui sont faiblement indemnisés s’investissent moins que ceux qui ne le sont pas du tout.

En réalité, les récompenses monétaires perturbent les schémas motivationnels. C’est aussi ce qu’à pu montrer Jean Tirole en constatant un effet d’éviction des motivations3 . La théorie économique considère que l’implication des individus est proportionnelle à la rémunération. Or, en simulant une augmentation de la motivation réputationnelle (intrinsèque), il apparaît un moment où l’augmentation de la récompense unitaire en argent a pour conséquence une diminution de l’offre moyenne de travail. L’individu souhaite être jugé pour ce qu’il fait mais en étant payé, cela lui enlève son prestige, donc il perd de la motivation.
 

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Schéma 1. Effet d'éviction des motivations (Jean Tirole)


Les bénévoles donnent pour recevoir quelque chose en échange

Le bénévolat est souvent perçu comme un don sans contrepartie. Or il s’apparente plutôt à un système d’échange en nature non contractualisé. C’est une forme d’équilibre entre donner et recevoir, qui s’explique par le paradigme du don/contre-don4 . Celui qui reçoit se sent endetté et pour conserver sa dignité, il se doit de rendre à l’autre. Cet échange exclusivement en nature allège les critères de transaction car il est moins rigoureux et ne menace pas de sanction.

Aujourd’hui, lorsqu’un bénévole décide de s’investir, il regarde ce qu’il peut recevoir en retour. C’est pour cela que nous constatons un accroissement du bénévolat ponctuel qui permet de voir rapidement ce qui a été donné et ce qui a été reçu.

Lors des entretiens réalisés, donner (en orange) et recevoir (en bleu) sont souvent cités dans la même phrase. Cette attitude qui consiste à offrir sans garantie de retour apparaît clairement ici et elle n’est pas toujours conscientisée.
 

« m'engager pour l'environnement, pour les causes qui m'étaient chères et en même temps d'apprendre de nouvelles compétences »

« si j'ai envie de faire du bénévolat dans une structure qui me plaît, j'associe pas ça forcement à un sentiment, c'est parce que si j'ai pas cette vie sociale là, je risquerais de dépérir. »
« Mes motivations dans le bénévolat ont été de dire je souhaite aider les autres et en fait en aidant les autres c'est moi qui me suis aidée, mais je m'en suis pas rendue compte tout de suite »

« tu donnes de toi et il te regarde, il sourit, moi ça me nourrit. »

« je vais aider des tas de gens qui vont tous me remercier. »

« au lieu d'être au chômage et de se morfondre sur soi à dire : j'ai pas de travail, je représente rien dans la société, j'ai pas de fonction sociale, non je fais des choses. »


Le découplage de l’activité et du revenu dans les associations


Les revenus monétaires des chômeurs-bénévoles viennent majoritairement des allocations chômage ou des minima sociaux. Nous pouvons distinguer trois types de personnes qui agissent dans les associations. Les salariés qui sont rémunérés par des associations dont une partie des ressources provient de subventions. Les bénévoles qui ne perçoivent pas de salaire. Les  chômeurs-bénévoles qui ne reçoivent pas non plus de salaire venant des associations, mais un flux monétaire arrive directement depuis les pouvoirs publics.

Cette typologie d'acteurs dans les associations permet de se focaliser sur les contreparties apportées par les chômeurs-bénévoles. Il y a un découplage entre les services fournis aux associations et les revenus perçus. Les allocations ne sont pas conditionnées à fournir un service, pourtant 30 % de ceux qui choisissent de pratiquer du bénévolat sont des chômeurs5 . C’est un choix, qui n’est pas négligeable puisque la totalité du travail bénévole en France est estimée à presque 2 % du PIB, soit proche de 40 milliards d’euros6 .

En observant ces flux, l’État apparaît comme un employeur en dernier ressort, pour des personnes qui n’ont pas d’emploi. L’offre de services est laissée au choix du chômeur et le revenu n’est pas conditionné à l’activité. La conditionnalité ne porte que sur la démarche de recherche d’emploi. Les personnes interrogées n’ont pas le sentiment de profiter du système, ce qui peut s’expliquer en considérant que le chômeur-bénévole juge normal de recevoir un revenu inconditionnel en échange de ses contributions volontaires.

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Schéma 2. Flux monétaires et services



Compétences, motivations et alternance


La recherche laisse apparaître que les bénévoles souhaitent acquérir des compétences professionnelles à travers le bénévolat mais aussi qu’ils agissent selon des motivations personnelles. C’est en cherchant à combler leurs besoins individuels qu’ils apportent des contributions à la société, même si le mécanisme basé sur le contre-don et l’endettement n’est pas toujours perçu. L’absence d’emploi est parfois subie, parfois choisie.

Dans tous les cas, cette période sans emploi est vue comme une opportunité pour s’investir dans des activités voulues par la personne. Cela se matérialise par une alternance de période d’emploi et de bénévolat. L’emploi correspond au temps des revenus monétaires et le chômage à celui du temps libéré. Lorsque le chômeur-bénévole redevient salarié, il abaisse sa disponibilité pour le bénévolat, cependant il continue toujours.

Cette alternance entre période d’activité rémunérée et activité bénévole est significative pour l’échantillon étudié. Cependant, les personnes interrogées étaient très diplômées, les résultats auraient été probablement différents avec un échantillon plus représentatif.


Impulser une nouvelle dynamique


Les contributions économiques, sociales et environnementales des chômeurs-bénévoles sont incontestables. Toutefois, ces apports ne sont pas mis en évidence. Pour une meilleure représentation, il conviendrait notamment d'informer sur les compétences professionnelles à acquérir grâce au bénévolat, d'établir des certificats de compétences reconnus par toutes les institutions, de reconnaître le travail bénévole formel, informel et domestique, et enfin d'intégrer l'apport bénévole dans le PIB à hauteur de 2 %. 

Le bénévolat est en mutation. L’engagement à long terme devient plus rare, mais les missions ponctuelles sont plus demandées. L’image du bénévolat se renouvelle. Pour accompagner cette transformation, il faudrait faciliter les périodes d'alternance entre emploi et bénévolat, communiquer sur les bienfaits du travail bénévole et les opportunités de mission, imaginer une autre terminologie...


Perspectives


Les débats sur le sujet du travail sont parfois engagés, car il n’y a, bien souvent, pas de consensus sur la définition de ce mot. S’agit-il d’un travail au sens restreint, limité à la sphère économique ? Ou d’un travail au sens large, qui inclut le travail bénévole et le travail domestique ? De même, les discussions autour de l’obligation de faire du bénévolat pour pouvoir bénéficier de revenus de substitution révèle une méconnaissance des motivations bénévoles. En augmentant les motivations monétaires (extrinsèques), les motivations intrinsèques s’effondrent et le moteur des bénévoles s’arrête.

Cependant, la logique inverse serait possible. Pour les chômeurs qui sont déjà bénévoles, pourquoi ne pas reconnaître le bénévolat comme un travail qui dispense de recherche d’emploi, puisqu’ils contribuent déjà à leur manière ? Les chômeurs-bénévoles disposeraient d’un droit (temporaire) de ne pas rechercher un emploi, qui s’appellerait « congés d’engagement bénévole ». Cela favoriserait l’implication bénévole et dynamiserait le tissu associatif.
 

  • 1Damey Loïc, « Le travail bénévole des sans emploi, une logique de contribution à ré-évaluer ? », mémoire de recherche, master en Management des organisations, sous la direction de P. Valéau, IAE Paris - Sorbonne Business School, 2018.
  • 2 Frey Bruno S. et Goette Lorenz, « Does Pay Motivate Volunteers ?, Institute for Empirical Research in Economics, University of Zurich, Working Paper No. 7, 1999.
  • 3Tirole Jean, « Motivation intrinsèque, incitations et normes sociales », Revue économique 2009/3 (Vol. 60).
  • 4Mauss Marcel, Essai sur le don, 1923.
  • 5Thierry Dominique, « Le bénévolat, facteur de retour à l'emploi ? », revue POUR, 2007/1 (N° 193).
  • 6Archambault Edith, Prouteau Lionel, « Un travail qui ne compte pas ? La valorisation monétaire du bénévolat associatif », Travail et emploi, 2010/4 (n° 124).
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