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Lecture - Des hommes justes de Ivan Jablonka

Tribune Fonda N°261 - Engagements des jeunes : encadrer ou accompagner ? - Mars 2024
Alain Grozelier
Alain Grozelier
Avec Des hommes justes, Ivan Jablonka, normalien et professeur d’histoire, approfondit sa réflexion sur les masculinités « viriles » commencée avec Laëtitia ou la fin des hommes. C’est en partie pour remédier au manque d’analyse des hommes sur la condition féminine que l’historien a écrit ce livre. Il les invite notamment à définir une morale du masculin compatible avec les droits des femmes et émancipatrice pour tous.
Lecture - Des hommes justes de Ivan Jablonka
Un groupe d’hommes manifeste derrière la pancarte « Les hommes de qualité respectent l’égalité des femmes » lors de la Women’s March le 21 janvier 2017 à Los Angeles. © Samantha Sophia / Unsplash

Déconstruire les masculinités viriles 

C’est en effet en tant qu’homme, en croisant son histoire personnelle et les dynamiques sociales en cours, qu’Ivan Jablonka1  exprime son peu de sympathie pour les masculinités traditionnelles, dites « viriles ». Il tente ainsi de combler le silence embarrassé des « hommes ordinaires » après le mouvement mondial de dénonciation des violences sexistes et sexuelles #MeToo. 

Ivan Jablonka tente ainsi de combler le silence embarrassé des « hommes ordinaires » après #MeToo.

La première partie du livre décrit les mécanismes de la mise en place d’une domination masculine universelle à travers le patriarcat. Elle trouve son origine dans le Paléolithique supérieur avec l’instauration d’une division du travail défavorable aux femmes. La domination s’approfondit dans l’Antiquité avec de l’accaparement par les hommes des fonctions prestigieuses, notamment la religion et la guerre. Elle se poursuit d’ailleurs de nos jours. 

Les parties suivantes de l’ouvrage abordent la remise en cause de cette masculinité virile à partir du XXe siècle. Du fait de la paix en Europe, l’armée cesse d’être un creuset de fabrication des hommes. 

La figure du soldat est brisée pour ceux qui reviennent des grandes guerres. La figure de l’ouvrier est quant à elle atteinte dans sa « dignité virile » par la Grande Dépression des années 1930 et les différentes crises économiques, jusqu’à l’ère numérique qui le laisse de côté. 

A contrario, les « qualités féminines » comme la coopération ou l’empathie s’avèrent beaucoup plus adaptées aux exigences de la nouvelle économie. 

Promouvoir des masculinités de non-domination

Comment sortir de ces sociétés patriarcales ? En retraçant les conquêtes du féminisme, l’historien montre que la première vague du mouvement des femmes, du XIXe au XXe siècle environ, a consisté à revendiquer les mêmes droits que les hommes. À l’égalité civile, se sont ajoutés progressivement la citoyenneté, l’accès aux emplois et les droits sexuels. 

Les femmes ont alors le choix entre se conformer au mode de vie masculin, notamment le travail, ou investir le rôle de mère de famille, rémunéré avec entre autres les congés maternité. La distribution sexuelle des tâches reste dans les deux cas inchangée. C’est pourquoi Ivan Jablonka plaide pour une troisième voie où les hommes s’adapteraient au monde tel que le vivent les femmes.

 Cette question entame la partie la plus novatrice de l’ouvrage, consacrée à la définition d’une éthique de l’homme juste. 

Pour mettre en oeuvre des masculinités de non-domination, les hommes devraient à la fois assurer le droit des femmes à la parole dans les lieux de pouvoir et promouvoir leur émancipation. Une nouvelle masculinité serait établie en matière de séduction et de sexualité, dénuée de violences sexistes et sexuelles. Dans le monde du travail, les hommes sensibilisés aux stéréotypes de genre développeraient un management respectueux. 

Ivan Jablonka ne se fait néanmoins pas d’illusions quant à la capacité de réaliser rapidement ce programme ambitieux. Il lui semble néanmoins nécessaire de contribuer au féminisme en tant qu’homme. Dérégler le système patriarcal avec l’aide des femmes et d’autres hommes, voici pourtant l’utopie qu’il revendique.

  • 1Ivan Jablonka, Laëtitia ou la fin des hommes, Seuil, 2016.
Fiche de lecture