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L’Europe sociale : un enjeu de responsabilité collective !

Tribune Fonda N°241 - Une Europe inclusive, avec et pour les citoyens - Mars 2019
Denis Stokkink
Denis Stokkink
Avec le socle européen des droits sociaux, approuvé en novembre 2017, l’Union européenne affiche la volonté de remettre à son agenda les questions sociales. Une démarche nécessaire dans un contexte d’accroissement des crises sociales et des nationalismes. Il s’agit aujourd’hui de passer des paroles aux actes.
L’Europe sociale : un enjeu de responsabilité collective !
Socle européen des droits sociaux

Le pilier économique et le pilier social constituent le socle du modèle social européen. Malgré les hétérogénéités qui caractérisent les différents membres de l’Union européenne quant à leur politique sociale, une base commune peut être identifiée à travers la mutualisation des risques qui puise son héritage dans les modèles bismarckien et beveridgien du XIXème siècle.

Au fur et à mesure de son développement, la politique sociale de l’Union européenne a été mise de côté au profit du renforcement de son expansion économique. Les crises récentes qui l’ont secouée et les réponses apportées ont remis la problématique sociale à l’agenda.

Conscientes de l’intérêt de ces questions, les institutions européennes ont relancé le processus de consolidation du modèle social. Le 17 novembre 2017, le socle européen des droits sociaux (SEDS) a été approuvé conjointement par la Commission, le Conseil et le Parlement européens. Reste à savoir si la volonté affichée va s’accompagner d’une réelle mise en œuvre des principes consacrés.


Politique européenne et protection sociale : des débuts timides


La protection sociale a connu un développement sans précédent en Europe à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Elle s’est notamment déployée dans les domaines de l’invalidité, de la vieillesse, des soins de santé mais aussi des allocations de chômage1 . Les valeurs d’équité, de justice et de cohésion sociale étaient traduites en actes visant à réduire les inégalités découlant du développement économique2 .

Pourtant, la politique sociale au niveau européen a été relativement timide. À partir de la présidence de Jacques Delors, la Commission européenne a promu le développement d’une Europe sociale en parallèle à l’application de principes néolibéraux développés pour la poursuite du marché intérieur. À travers l’Acte unique européen (1986) et le Traité de Maastricht (1992), la Commission a tenté de relancer le volet social européen.

Malgré la volonté affichée de combiner deux volets apparemment paradoxaux (néolibéralisme et politiques sociales), le domaine social est resté en retrait y compris après les années 2000. En effet, la réponse à la crise économique de 2008 a été de manière écrasante une utilisation excessive de nouveaux outils économiques au détriment d’outils sociaux. La création du semestre européen de coordination des politiques économiques ou encore de l’Union bancaire illustrent cette dynamique.


Une nouvelle initiative : le SEDS


Pour répondre à l’absence de politiques sociales durant la crise, mais aussi pour pallier l’échec des politiques d’austérité, les institutions européennes ont relancé le pan social européen à travers le SEDS, le socle européen des droits sociaux.

Ce socle comprend vingt principes répartis dans trois grands volets :

  • l’égalité des chances et l’accès au marché du travail,
  • des conditions de travail équitables,
  • la protection et l’inclusion sociales3 .


Cependant, un des obstacles à cette nouvelle initiative réside dans son caractère non contraignant pour les États membres. Des mesures doivent donc être prises afin de garantir son application.

Un autre aspect non négligeable tient à la volonté des États membres eux-mêmes. Ces derniers ne partagent pas tous la défense et le renforcement d’une Europe sociale. Le dirigeant hongrois Viktor Orbán a par exemple déjà précisé qu’il ne souhaitait pas restructurer son système national pour développer le volet social européen4 . Or, en matière de politiques sociales, l’UE ne dispose pas de compétence exclusive : la plupart des leviers sont conservés par les États5 .

Si des difficultés apparaissent quant à la mise en œuvre du socle, il apparaît essentiel que le chemin social européen soit poursuivi et renforcé. L’objectif du socle est de donner aux citoyens des droits nouveaux et plus efficaces6 . Il est primordial que l’Europe se rapproche de ses citoyens face aux différentes crises qu’elle traverse. Avec la montée du populisme et la crise économique, l’approfondissement d’une politique sociale européenne est essentiel pour garantir la poursuite d’un projet européen citoyen.


Un enjeu nécessaire pour l’Union européenne


Maurizio Ferrera défend l’idée qu’une Union sociale européenne (USE) permettrait de re-légitimer et de stabiliser politiquement le régime de l’Union européenne7 . Les citoyens doivent pouvoir constater que l’intérêt collectif est défendu par des institutions dans lesquelles ils peuvent avoir confiance et qui garantissent leurs droits.

L’Union européenne, mais aussi les acteurs de la société civile, doivent participer à restaurer la confiance citoyenne dans les institutions et à rendre visible les politiques sociales de l’UE. Le dialogue civil avec les partenaires sociaux et les citoyens doit être relancé afin de renforcer le développement d’une Europe sociale.

Une enquête menée en 2016 montre par ailleurs qu’une large majorité des citoyens européens serait favorable à une orientation sociale de l’Europe, permettant d’aider les personnes en situation de grande pauvreté8 . Le SEDS représente un véritable levier pour engranger une véritable politique sociale européenne – encore faut-il que ce dernier soit appliqué et respecté. Il est donc indispensable de mettre en œuvre ce socle car ne pas l’appliquer ne ferait que renforcer la méfiance des citoyens envers les institutions européennes9 .

Il y a une responsabilité institutionnelle et citoyenne pour que l’Europe sociale revienne sur le devant de la scène. Cette Europe sociale doit s’établir par et pour les citoyens à travers une information et une participation active des citoyens européens. C’est une Europe commune qui se construit sous nos yeux et qui nécessite par conséquent la participation de chacun. Jean Lapeyre soutient que pour penser le dialogue social, il faut développer l’ambition européenne afin de rendre « crédible et attractif » le besoin d’Europe pour le futur10 . Comme le précisent Bart Vanhercke, Sebastiano Sabato et Dalila Ghailani, la dimension sociale de l’UE est véritablement « à la croisée des chemins »11 .

Avec l’approche des élections européennes, l’enjeu social de l’UE est devenu un enjeu vital !

 


Bibliographie

— CADIC Pol, La protection sociale dans l’Union européenne : de l’hétérogénéité d’Après-guerre à la convergence austéritaire ?, Pour la Solidarité, Coll. Note d’analyse, août 2013.

— Commission européenne, « Socle européen des droits sociaux » (consultable ici)

— CANIARD Étienne et WEBER Emelyn, « La construction d’une Europe dotée d’un socle des droits sociaux », Comité économique et social, Journal officiel de la République française, 23 décembre 2016 (consultable ici)

— FERRERA Maurizio, « L’Union sociale comment la reconstituer ? » Chapitre 1 dans Bilan social de l’Union européenne 2018 / Dix-neuvième rapport annuel,  Observatoire social européen, Édité par : Bart Vanhercke, Dalila Ghailani et Sebastiano Sabato, 2018

— LAPEYRE Jean, « Le dialogue social européen de 1985 à 2003 », Sauvons l’Europe, 18 septembre 2017 (consultable ici)

— VANHERCKE Bart, SABATO Sebastiano et GHAILANI Dalila, Conclusions – « Le socle européen des droits sociaux comme tournant majeur », dans Bilan social de l’Union européenne 2018 / Dix-neuvième rapport annuel, Observatoire social européen, 2018

— « Droits sociaux : ça décolle enfin pour l’Europe sociale ? », AEDH (Association européenne pour la défense des droits de l’Homme), 22 novembre 2017 (consultable ici

 

  • 1Cadic Pol, La Protection sociale dans l’Union européenne : de l’hétérogénéité d’Après-guerre à la convergence austéritaire ?, Pour la Solidarité, coll. Note d’analyse, août 2013, p.8.
  • 2Ibidem
  • 3Commission européenne, « Socle européen des droits sociaux », novembre 2017.
  • 4« Droits sociaux : ça décolle enfin pour l’Europe sociale ? », AEDH (Association européenne pour le défense des droits de l’Homme), 22 novembre 2017.
  • 5Ibidem
  • 6Commission européenne, « Socle européen des droits sociaux ».
  • 7Ferrera Maurizio, « L’Union sociale, comment la reconstituer ? » chapitre 1 dans Bilan social de l’Union européenne 2018 / Dix-neuvième rapport annuel, Observatoire social européen, édité par : Bart Vanhercke, Dalila Ghailani et Sebastiano Sabato, 2018, p.28.
  • 8Ibidem, p.29.
  • 9Caniard Étienne et Weber Emelyn, « La Construction d’une Europe dotée d’un socle des droits sociaux », Comité économique et social, Journal officiel de la République française, 23 décembre 2016, p.18.
  • 10Lapeyre Jean, « Le Dialogue social européen de 1985 à 2003 », Sauvons l’Europe, 18 septembre 2017.
  • 11Vanhercke Bart, Sabato Sebastiano et Ghailani Dalila, Conclusions – « Le socle européen des droits sociaux comme tournant majeur », dans Bilan social de l’Union européenne 2018 / Dix-neuvième rapport annuel, Observatoire social européen, 2018, p.167.
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