La Tribune Fonda n°241 explore la dimension sociale de l'Europe et la place qu'y trouvent les associations de solidarité et plus largement tous les acteurs de l'Économie sociale et solidaire.
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Vous y trouverez chaque trimestre des éclairages inédits et inspirants sur les évolutions du monde associatif et de l’économie sociale et solidaire.
Pour une europe citoyenne, solidaire et associative
En 1957, la France figurait parmi les membres fondateurs du traité instituant la Communauté économique européenne. En 2014, les élus du Front national constituaient le premier contingent d’élus français envoyés au parlement européen. Comment, en moins de soixante ans, est-on passé d’une conviction européenne affirmée à une défiance sans précédent envers l’Europe ?
Le projet européen, à son origine, n’était pas seulement « l’établissement d’un marché commun1 ». Jean Monnet portait une vision bien plus généreuse et humaniste de la construction européenne : « Six pays européens ne se sont pas engagés dans la grande entreprise d'abattre les barrières qui les divisent pour dresser des barrières plus élevées contre le monde extérieur. Notre époque exige que nous unissions les Européens et que nous ne les maintenions pas séparés. Nous ne coalisons pas les États, nous unissons des hommes.2 »
Malheureusement, des décennies de prospérité et de paix ont élimé ces valeurs fondamentales. Placer sur un pied d’égalité les libertés de circulation des biens, des capitaux, des services et des personnes, ne pouvait que réduire notre espace commun en un simple espace économique, lui soustrayant toute sa dimension citoyenne. L’Europe est aujourd’hui malade d’une crise démocratique qu’elle a elle-même engendrée et à laquelle l’ensemble de ses membres est incapable de répondre. Quel projet commun proposer quand les égoïsmes nationaux menacent de faire éclater l’Europe, qui n’est plus perçue que comme un régulateur tatillon ou un guichet de financements ? Quel horizon commun peut-on dessiner quand la Hongrie ou la Pologne restreignent les libertés fondamentales ?
Un programme européen, pourtant, a réussi à fédérer plus de neuf millions d’européens sur ces trente dernières années : Erasmus. Il a récemment été complété par le Corps européen de solidarité qui vise à donner aux jeunes la possibilité de se porter volontaires dans le cadre de projets destinés à aider des communautés et des personnes dans toute l’Europe. S’il faut saluer ces avancées majeures dans la construction d’une citoyenneté européenne, cela n’est pas suffisant. Alors que les directives concernant le marché unique sont votées à la chaîne, celles concernant l’intérêt général pâtissent d’un manque criant de volonté politique et d’une frilosité nationale en matière de fiscalité.
Quid du statut européen d’association débattu depuis plus de trente ans ? Si les État membres ont réussi dans un relatif consensus à définir la notion de services d'intérêt économique général (SIEG), l’intérêt général est une nouvelle fois réduite à sa dimension marchande. Avec une double peine : une approche purement fiscale de la part des ministères des économies et finances des États membres ! Pourtant, dès 1984, le parlement européen rappelait « la nécessité de prendre au sérieux la dimension citoyenne de la communauté européenne, en concrétisant l’un des droits inhérents à cette citoyenneté, le droit de s’associer ; sans un instrument traduisant ce droit sous une forme opérationnelle, ce dernier restait en effet largement théorique3 ».
Faisons le vœu que, dans le cadre des prochaines élections européennes, un nouveau souffle puisse être donné à une Europe des citoyens, où la solidarité serait la valeur cardinale et fédératrice. L’ESS y aurait alors toute sa place, dans une approche large et transversale — ni SIEG ni entrepreneuriat social — mais bien dans une dynamique d’innovation sociale, capable de recréer du lien et de réinventer notre modèle de société. L’ESS est en effet un formidable laboratoire d’idées, issues du terrain, qui répond au défi de la construction d’une Europe du XXIe siècle fidèle à ses valeurs : « Être pionner dans la construction d’un système politique basé sur des valeurs indivisibles et universelles de dignité humaine, de liberté, d'égalité et de solidarité.4 »
- 1Traité de Rome
- 2« Une Europe fédérée », discours de Jean Monnet prononcé le 30 avril 1952, devant le National Press Club de Washington.
- 3Patrick De Bucquois, « Projet de statut d’association européenne : historique et enjeux », in La tribune fonda, 177, février 2006. La Fonda avait d’ailleurs pris part à ces discussions, en sa qualité de membre du Comité européen des associations d’intérêt général (Cedag).
- 4Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.