Innovation sociale Économie sociale et solidaire

L’inscription de l’innovation sociale dans la loi

Tribune Fonda N°233 - Les clés de l'innovation sociale - Mars 2017
Michel Abhervé
Michel Abhervé
Après l’approbation par le Conseil des ministres du projet de loi sur l’Économie sociale et solidaire, celui-ci a été transmis pour avis au Conseil d’État.


Après l’approbation par le Conseil des ministres du projet de loi sur l’Économie sociale et solidaire, celui-ci a été transmis pour avis au Conseil d’État. Ce dernier a demandé que l’article concernant l’innovation sociale soit retiré du projet de loi, avant son dépôt au Parlement. Cette réaction se comprend dans une culture de juristes qui sont porteurs d’une réticence culturelle à inscrire dans la loi ce qui ne relève pas habituellement du droit, alors que l’absence de définition est un obstacle à la mise en œuvre de politiques publiques.

En 1981, Michel Rocard , nommé dans le « placard même pas doré », selon ses propres termes, du ministère du Plan et de l’Aménagement du territoire avait demandé à ce que l’Économie sociale figure dans l’intitulé de son ministère. Le Conseil d’État s’y était opposé, en annulant le décret d’attribution avec cette remarque de juriste : « L’économie sociale, cela n’existe pas. Il convient de la créer d’abord. Puis trouver un ministre ne pourra se faire qu’après ! » Trente-trois ans plus tard, il faudra à nouveau contourner les réticences du Conseil d’État, et cela sera fait par le législatif.

Marc Daunis , sénateur socialiste des Alpes-Maritimes, rapporteur de la loi ESS, durant la courte période où la gauche est majoritaire à la Haute Assemblée, prendra l’initiative d’un amendement définissant l’innovation sociale, et le proposant en commission des Affaires sociales.

« La notion d’innovation sociale pourrait aussi être définie, afin que des organismes tels que la Banque publique d’investissement puissent sélectionner les projets qui présentent le meilleur potentiel de développement d’activités sociales innovantes. »


Le rapport de Marc Daunis définit avec précision les raisons de cette introduction dans la loi et précise les modalités de mise en œuvre, ce qui montre qu’il a certainement été rédigé en étroite relation avec le cabinet du ministre.

« Votre commission a adopté, sur la proposition de votre rapporteur, un amendement portant article additionnel qui, pour la première fois, définit l’innovation sociale (…) La définition de l’innovation sociale proposée ici pourra être utilisée comme outil commun d’identification des activités socialement innovantes, notamment par des financeurs tels que BPI France qui ont vocation à soutenir ces activités (…) Cet article additionnel reconnaît également les travaux déjà menés par le Conseil supérieur de l’économie sociale sur l’innovation sociale en indiquant qu’il définira des orientations permettant d’identifier un projet ou une activité économique socialement innovants, sans préjudice des compétences des organismes de financement qui élaboreront leurs critères de choix des projets. »


Marc Daunis défendra ses apports en mettant en avant plus la procédure que le fond :

« La commission des Affaires économiques du Sénat a décidé de permettre au Parlement de se prononcer sur des points qui pouvaient apparaître au Conseil d’État comme de nature infra-législative mais qui, eu égard aux enjeux qui les sous-tendent, devaient être inscrits dans ce projet de loi... Sur ma proposition, la commission a aussi proposé une définition de la notion d’innovation sociale. »


Aline Archimbaud, sénatrice écologiste de Seine Saint-Denis, et Joël Labbé, son collègue du Morbihan, appuieront cette inclusion et tenteront d’aller plus loin en présentant un amendement prévoyant un droit au crédit d’impôt recherche :

« La réintroduction de la partie concernant l’innovation sociale par Monsieur le rapporteur à l’article 10 ter nous satisfait grandement, mais il nous paraît pertinent d’accorder aux entreprises de ce secteur le droit au crédit d’impôt recherche. Car ces dernières ont souvent l’ambition de viser aussi l’excellence technologique, loin des visions misérabilistes parfois colportées. »


Mais, là, on a changé de champ, pour entrer dans le dur, qui relève du budget, et, prudemment, Marc Daunis refusera d’avancer dans cette voie. À l’Assemblée nationale en commission, nous aurons une nouvelle rédaction du gouvernement, et des enrichissements rédactionnels. Un fort intéressant amendement de Lionel Tardy, député UMP de Haute-Savoie, proposant d’ajouter l’idée « d’anticiper un besoin social potentiel ».

« Au-delà de l’innovation sociale, se pose la question de la notion d’innovation tout court. Je trouve qu’il est un peu saugrenu et forcément restrictif de définir l’innovation, mais si l’on s’en tient à la définition de cet amendement, il manque selon moi un élément essentiel. L’innovation, aux termes de l’amendement, ne fait que répondre à des besoins nouveaux ou à des besoins existants de façon innovante. Or, elle peut également anticiper un besoin potentiel et, dans le cadre du présent texte, un besoin social. Vous me répondrez peut-être que c’est difficile à évaluer. Certes, mais c’est tout le problème de cet article. Si l’on veut être complet, il faut ajouter la notion d’anticipation car c’est l’essence même de l’innovation. »


Malgré cette défense solide, cet amendement sera rejeté, en raison du poids de la bi-polarisation de la vie de l’Assemblée nationale. Sera également retiré un amendement du groupe écologiste mentionnant qu’« un processus de production ayant un impact environnemental positif, neutre ou très faible est considéré comme innovant », après affirmation que les enjeux environnementaux font partie intégrante de ce qui est défini comme de l’innovation sociale.

Plusieurs interventions permettront d’éclairer le concept d’innovation sociale :

  • « l’aspect sociétal de la transformation et de ce que cela apporte » (Christophe Cavard, député écologiste du Gard) ;
  • « une forme de mise en commun des aspirations ou des besoins pour construire entre associés volontaires une réponse collective appropriée » (Jean-René Marsac, député socialiste d’Ille-et-Vilaine, co-président du groupe d’études parlementaire sur l’Ess) ;
  • « il y a une importance particulière à ce qu’une définition de l’innovation sociale soit désormais inscrite dans la loi, de manière à ce qu’elle puisse être pleinement reconnue et soutenue… si demain on invente de nouvelles structures du type de celles inventées il y a quelques années, comme les sociétés coopératives d’intérêt collectif ou les coopératives d’activités et d’emplois, qui sont aujourd’hui inscrites dans ce projet de loi, elles puissent alors être encouragées dans le cadre de l’innovation sociale » (Fanélie Carrey-Comte, députée socialiste de Paris) ;
  • « l’objectif du Gouvernement est bien de soutenir les projets dont le caractère innovant rend difficile un financement par le marché, et sans distinction de secteur d’activité » (Valérie Fourneyron, éphémère secrétaire d’État à l’ESS).


Le texte finalement adopté, devenu article 15 de la loi est le suivant :

I. – Est considéré comme relevant de l’innovation sociale le projet d’une ou de plusieurs entreprises consistant à offrir des produits ou des services présentant l’une des caractéristiques suivantes :

  1. soit répondre à des besoins sociaux non ou mal satisfaits, que ce soit dans les conditions actuelles du marché ou dans le cadre des politiques publiques ;
  2. soit répondre à des besoins sociaux par une forme innovante d’entreprise, par un processus innovant de production de biens ou de services ou encore par un mode innovant d’organisation du travail. Les procédures de consultation et d’élaboration des projets socialement innovants auxquelles sont associés les bénéficiaires concernés par ce type de projet ainsi que les modalités de financement de tels projets relèvent également de l’innovation sociale.

II. – Pour bénéficier des financements publics au titre de l’innovation sociale, le caractère innovant de son activité doit, en outre, engendrer pour cette entreprise des difficultés à en assurer le financement intégral aux conditions normales de marché. Cette condition ne s’applique pas aux financements accordés au titre de l’innovation sociale par les collectivités territoriales.

III. – Le Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire définit des orientations permettant d’identifier un projet ou une activité économique socialement innovant au sens du I.

On pouvait penser que cette définition de l’innovation sociale allait être prise en compte dans les politiques gouvernementales. Pourtant, lorsqu’Axelle Lemaire, est nommée secrétaire d’État chargée du Numérique et de l’Innovation, auprès du ministre de l’Économie et des Finances, le 1er septembre 2016, son décret d’attribution ignore totalement que l’innovation n’est pas seulement technologique.

« Elle est compétente, par délégation du ministre de l’Économie et des Finances, pour la définition et le suivi de la politique et de la réglementation en matière d’innovation. (...) En lien avec les autres ministres concernés, elle est associée, pour le compte du ministre de l’Économie et des Finances, à la définition et au suivi de la politique de l’État en matière d’innovation et de soutien aux entreprises innovantes. (...) Elle participe, en lien avec le secrétaire d’État chargé de l’Industrie, au pilotage de la tutelle des agences en charge de l’innovation et de la recherche dans les entreprises, notamment de propriété industrielle. Elle participe à la mise en œuvre du programme des investissements d’avenir dans le domaine de l’innovation et concourt à la politique industrielle. »


Difficile de montrer plus nettement à quel point les étages de Bercy ne communiquent que difficilement. Ceci prouve, une nouvelle fois que la loi permet, mais qu’elle ne crée pas l’indispensable volonté politique. En tous cas, la définition par la loi de l’innovation sociale peut fonder des politiques conduites par des collectivités publiques.
 

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