Engagement Enjeux sociétaux

Ressource #13 - État des lieux de la recherche sur le mécénat de compétences par Agathe Leblais [Engagement]

Agathe Leblais
Agathe Leblais
Dans le cadre de l’exercice de prospective « Vers une société de l’engagement ? », la Fonda a souhaité ouvrir un espace de réflexions sur l’engagement : un club de lecture ! Dans cette treizième fiche de lecture, Agathe Leblais réalise un état des lieux de la recherche sur le mécénat de compétences.
Ressource #13 - État des lieux de la recherche sur le mécénat de compétences par Agathe Leblais [Engagement]
Visuel_club de lecture_ressources #13 et #14 © Agathe Thiebeaux / La Fonda

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Ressource #13 État des lieux de la recherche sur le mécénat de compétences par Agathe Leblais.

Présenté par Agathe Leblais, ancienne déléguée générale de Pro Bono Lab
et administratrice de la Fonda.

Mots clés : #Entreprise #MécénatDeCompétences

ENSEIGNEMENTS CLÉS

Brève présentation de l'intervenante

Diplômée d'EMLyon, Agathe Leblais a œuvré à la création de ponts entre l'Économie sociale et solidaire (ESS) et le monde de l'entreprise « classique ». En 2017, elle rejoint le Groupe Pierre & Vacances-Center Parcs pour en créer la fondation d'entreprise dont elle deviendra la déléguée générale. En 2020, elle rejoint la direction générale de l’association Pro Bono Lab qu’elle a récemment quittée. Depuis 2021, elle est administratrice de la Fonda.

Qu'est-ce que le mécénat de compétences ?

« Le mécénat de compétences permet aux entreprises de proposer aux associations des « compétences » par la mise à disposition de salariés réalisant des missions d’intérêt général sur leur temps de travail. Les salariés restent payés par l’entreprise, et sous sa responsabilité1

Encadré par la loi Aillagon de 2003, le mécénat de compétences constitue un don en nature au bénéfice d’une association d’intérêt général. Concrètement, les entreprises peuvent défiscaliser le coût du salarié mis à disposition.

Deux modalités existent :

  • La prestation de services (cf. article 1710 du code civil). C’est lorsque l’entreprise s’engage à réaliser une mission déterminée avec un cahier des charges précis. Le salarié détaché reste sous la direction de l’entreprise, avec une obligation de moyen ou de résultat. L’entreprise conserve ses obligations administratives, juridiques et fiscales et le salarié reste dans ses effectifs. Exemple de mission : la réalisation d’un plan de communication, le design d’une application mobile pour un service d’intérêt général, la création d’un processus de recrutement, etc.
  • Quant au prêt de main-d’œuvre (cf. article L 8241-2 du code du travail), l’entreprise met à disposition de l’association un salarié pendant deux ans au maximum. L’entreprise conserve ses obligations administratives, juridiques et fiscales et garde le salarié dans ses effectifs. L’association bénéficiaire devient responsable des conditions d’exécution du travail. /!\ Attention, ce dispositif est réservé aux entreprises de plus de 5 000 salariés. Des acteurs de la philanthropie, à savoir Admical et le Centre Français des Fonds et Fondations, mènent actuellement un travail de plaidoyer pour lever cette limite.

Où en sommes-nous ?

Le baromètre du mécénat 20222  observe une stagnation du mécénat de compétences. En 2022, 15% des entreprises y ont recours. Ce dispositif d’intérêt général est particulièrement utilisé par les entreprises de l’Ile-de-France, et est même en augmentation sur ce territoire (+ 10 points par rapport à 2019 pour les entreprises en Ile-de-France).

Le mécénat de compétences suscite l’intérêt des entreprises dans la durée. Plus de la moitié des entreprises déclarant faire du mécénat de compétences le font depuis plus de 5 ans. En revanche, la durée moyenne de jours accordés aux salariés dans le cadre de la stratégie de mécénat de compétences des entreprises est brève. 96% des salariés ont moins de 5 jours par an pour s’engager auprès d’une cause d’intérêt général.

L’engagement des entreprises mécènes se caractérise, encore aujourd’hui, par sa dimension éphémère et de courte durée : en lien avec les contraintes de l’entreprise.

Désormais, de nombreux acteurs de l’engagement documentent le mécénat de compétences3 , et ce particulièrement depuis 2022. La quasi-absence de publications émanant de la recherche sur ce domaine d’étude peut l’expliquer, à l’exception des travaux de l’Institut National de la Jeunesse et de l’Éducation Populaire (INJEP).

EN QUOI LE MÉCÉNAT DE COMPÉTENCES ÉCLAIRE-T-IL LA SOCIÉTÉ DE L’ENGAGEMENT ?

Le mécénat de compétences éclaire le rôle que les grandes entreprises se proposent d’avoir, ainsi que de leur vision de leur engagement. Cela nous donne une indication sur le positionnement des grands groupes et de leurs collaborateurs. Plusieurs thématiques reviennent régulièrement lorsque le sujet du mécénat de compétences est évoqué par les entreprises :

  • La raison d’être de l’entreprise,
  • L’engagement des salariés, avec en filigrane un questionnement sur le sens de leur travail,
  • La frontière entre engagement professionnel et personnel : certains salariés ne veulent pas s’engager en entreprise car ils estiment que cela peut révéler trop de choses sur eux à leur employeur, et que ces deux sphères doivent rester séparées.

Les causes pour lesquelles les entreprises décident de s’engager via le mécénat de compétences sont souvent apolitiques, voire « politiquement correcte » selon Agathe Leblais. Ainsi, peu d’entre elles s’intéressent à la question de l’égalité femmes – hommes ou aux violences faites aux femmes, à la question carcérale, ou bien encore aux thématiques en lien avec les migrations car cela serait considéré comme « trop engagé », trop politique ou polémique.

Une problématique clé traverse les entreprises mécènes : celle de la mesure de l’impact du mécénat de compétences. « Cette mesure d’impact est souvent entendu comme une évaluation de performance reprenant les codes marchands de l’entreprise : nombre de salariés engagés, volume d’heures proposées à des associations d’intérêt général, nombre d’associations d’intérêt général soutenues, autant de critères qualitatifs qui n’indiquent rien sur la cause d’intérêt général soutenue » relève Agathe Leblais.

Elle déplore le fait que la cause associative en elle-même est peu observée par les entreprises. Cela soulève une question sur la façon dont les entreprises se saisissent du mécénat de compétences : pour quelles intentions ?

Le mécénat de compétences établit une relation entre le secteur lucratif, qui a le pouvoir de donner une compétence, et le secteur non lucratif, qui est le récepteur de la compétence. « Cette façon de le dire introduit l’idée que d’un côté, l’entreprise donne, et de l’autre l’association reçoit de manière passive » insiste Agathe Leblais.

Il est nécessaire de réfléchir aux liens et aux dynamiques de pouvoir entre les parties prenantes du mécénat de compétences. Agathe Leblais estime également opportun de s’interroger sur les « traces » sur le long terme laissées par le mécénat de compétences auprès des entreprises, collaborateurs et associations d’intérêt général.

Les questionnements mis en lumière par les études et la recherche

L’étude « Évaluation d’impact social du mécénat de compétences » réalisée par Kimso en 2023, pour Alliance pour le mécénat de compétences en partenariat avec Pro Bono Lab identifie plusieurs opportunités :

  • 95% des associations interrogées se disent satisfaites (et 3 sur 4 d’entre elles se disent même « très satisfaites »). Elles ont en effet accès à des compétences qui leur font défaut, cela leur permet de gagner du temps, de bénéficier d’une vision extérieure et d’un regard critique.
  • L’importance de la diversification des formats au regard des besoins associatifs.
  • Une pratique qui est un facteur de motivation pour les salariés.

Parmi les points d’attention identifiés, l’étude met en lumière le fait que les profils de salariés peuvent être parfois inadaptés aux associations. Le mécénat de compétences peut également s’avérer être une source de complexité en matière de ressources humaines et organisationnelles pour les associations, qui s’ajoute à la gestion des salariés et des bénévoles de l’association. Enfin, les entreprises tendent à privilégier le temps court ou discontinu pour les missions en mécénat de compétences, alors que le temps long est le plus porteur pour les associations.

Parmi les recommandations formulées :

  • Une première concerne le développement d’une culture commune aux différentes parties prenantes du mécénat de compétences : quels sens, contraintes et opportunités du mécénat de compétences pour chacune d’entre elles ?
  • Une autre préconise de systématiser le diagnostic des besoins de l’association avant de lancer une mission. « Certaines entreprises veulent du « clé en main » et trouvent dans les associations des alliés bien pratiques qui amènent ces dernières à jouer un rôle de prestation de service ; logique dont nous devons sortir » observe Agathe Leblais qui a remarqué un renversement de la pratique du mécénat de compétences chez certaines entreprises qui recourent au mécénat de compétences car elles veulent organiser un teambuilding solidaire pour leurs collaborateurs, et non soutenir une cause d’intérêt général.

OUVERTURE CRITIQUE

Pour conclure, Agathe Leblais partage ses éléments de réflexion sur le mécénat de compétences au regard de ses expériences professionnelles. « Il y a une asymétrie de pouvoir entre le mécène, l’entreprise, et le mécéné, l’association » selon elle. Elle poursuit en remarquant le fait que l’objet du mécénat de compétences s’est déplacé. « Désormais, c’est l’engagement de l’entreprise et de ses collaborateurs qui est mis en avant, au détriment de la cause d’intérêt général. Cela se manifeste notamment dans la manière dont la mesure de l’impact du mécénat de compétences est conçue, souvent au détriment de la cause d’intérêt général » analyse-t-elle.

Au travers de sa deuxième recherche-action sur le mécénat de compétences (à paraître en automne 2023), l’INJEP s’interroge sur l’invisibilisation des acteurs de l’intérêt général dans le cadre du mécénat de compétences. « La compétence de l’entreprise est sacralisée aux dépens des compétences associatives dont on ne parle quasiment jamais. C’est comme si l’entreprise avait la compétence, mais pas les associations » explique Agathe Leblais.

Elle termine son intervention par la question du transfert de la responsabilité de l’engagement. Elle observe le fait que dès lors qu’un collaborateur s’engage - certes sur son temps de travail et rémunéré par son entreprise - c’est l’entreprise qui se revendique engagée. Autrement dit, l’entreprise se dit engagée, sans nécessairement changer intrinsèquement son modèle économique, parce que certains individus qui la composent le sont. La responsabilité de l’engagement dans la sphère économique passe d’un système à un individu.

Ressources pour aller plus loin

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Ce compte-rendu a été rédigé par Hannah Olivetti, relu par Agathe Leblais et mis en page par Agathe Thiebeaux pour la Fonda. Il est mis à disposition sous la Licence Creative Commons CC BY-NC-SA 3.0 FR.

  • 1Mathilde Renault-Tinacci, « Qu’échange-t-on vraiment avec le mécénat de compétences ? », Éducation permanente n°233, 2022.
  • 2Admical, Pro Bono Lab, Baromètre du mécénat de compétences en France, 2022.
  • 3C’est le cas de la Fondation SNCF qui organise un baromètre du mécénat de compétences.
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