Prospective Enjeux sociétaux

Une nouvelle grammaire pour l'action collective

Tribune Fonda N°238 - ODD : quelles alliances pour demain ? - Juin 2018
Yannick Blanc
Yannick Blanc
Les Objectifs de développement durable sont un outil dont l'ensemble des acteurs de la société peuvent s'emparer, pour mieux appréhender les enjeux ainsi que les défis à relever, et construire l'action collective.
Une nouvelle grammaire pour l'action collective


Cet article est la transcription du discours introductif de Yannick Blanc à l'université Faire ensemble 2030 «Objectifs de développement durable : les associations au défi d'un futur souhaitable » organisée par la Fonda les 22 et 23 mars 2018 à Paris.


Transformer les vies tout en préservant la planète, c’est l’ambition considérable qu’affichent les Objectifs de développement durable (ODD). Je voudrais en quelques mots dire pourquoi la Fonda a décidé de structurer son nouveau cycle de prospective sur les ODD et donner quelques pistes de réflexion sur la façon dont on peut s’emparer de cet outil.

La présentation graphique des ODD a un côté paisible, presque banal, comme si il s’agissait de quelque chose d’assez simple à faire. On dirait des pictogrammes pour s’orienter dans un parc de loisirs. Il y a dans les ODD un côté pacifique qui fait partie de l’inspiration du sujet mais qui masque mal la difficulté et la gravité de l’enjeu.

Les ODD n’ont pas été adoptés d’un claquement de doigts. Ils sont et le fruit d’un double échec de la communauté internationale, et d’une longue négociation diplomatique qui a duré trois ans.

Le double échec, c’est celui du sommet de Copenhague en 2009 et celui la Conférence de Rio +20 en 2012. La communauté internationale, les chefs d’États et de gouvernements, les ONG engagées dans la question du réchauffement climatique et des autres enjeux écologiques, ont vécu douloureusement cette séquence et ont mesuré l’impossibilité d’atteindre les objectifs fixés, la difficulté à trouver des modes d’action adaptés aux enjeux écologiques et climatiques : ils ont trouvé là un certain nombre de raisons pour remettre en cause les méthodes, les critères, les points de repère de la négociation multilatérale classique.

Et c’est dans ce contexte que les acteurs de la communauté internationale ont engagé les négociations sur les ODD en essayant de renouveler leur approche, leur méthode ; d’ouvrir la négociation à des acteurs nouveaux et de sortir des impasses qui sont celles de la diplomatie multilatérale.

Les ODD représentent, par rapport à de longues décennies de politique d’aide au développement, de doctrine économique sur l’économie mondiale, de mondialisation, une vraie rupture.

Ils ne visent pas à concilier l’économique, le social et l’environnemental, mais à articuler des échelles, du local, du national et du global, dans une conception universelle du développement. C’est là qu’est le cœur de l’ambition, c’est là qu’est l’intérêt de la démarche, mais c’est aussi là qu’on peut se demander si cette façon de présenter notre avenir commun est à la portée de notre capacité d’agir. C’est l’enjeu essentiel de ces deux journées de travail que de trouver les méthodes, l’approche, l’attitude qui convient pour articuler l’ambition planétaire qui est la nôtre avec la capacité d’agir sectorielle, locale, modeste bien souvent, qui est celle de chacun d’entre nous.

Il ne faut pas sous-estimer non plus que, malgré leur aspect pacifique et consensuel, les ODD interviennent à un moment où la tension n’a jamais été aussi forte entre les choix politiques possibles pour la planète et pour demain. Il faut prendre la mesure de ce que représentent en particulier les menaces qui pèsent sur la démocratie dans de nombreux pays, la montée du populisme, l’élection de dirigeants autoritaires, la volonté de rompre avec les mécanismes, les dispositifs, les structures de coopération internationale.

Dans un article qu’il a donné au dernier numéro de la Tribune Fonda, Hugues de Jouvenel nous a proposé une approche critique très bienvenue de ce que sont les ODD. S’ils n’étaient que la décision consensuelle de se donner quelques objectifs, et l’outillage fourni par les 215 indicateurs de réalisation, dont chacun d’entre vous peut à tout moment télécharger les tableaux Excel depuis son ordinateur portable ; si les ODD n’étaient que cela, ils seraient l’ultime trace de l’ancien monde, l’héritage des outils managériaux, qui ont dominé nos entreprises, nos organisations publiques depuis une trentaine d’années, et qui sont en train de manifester des signes d’épuisement. Il faut donc que nous dépassions cet outillage assez primitif et que nous essayions de nous en emparer dans ce qu’il comporte de puissance transformatrice.

Transformer les vies tout en préservant la planète, l’ambition n’est pas mince, et pour satisfaire à cette ambition il faut évidemment qu’on aille au-delà des façons d’agir traditionnelles, et qu’on surmonte les habitudes, les routines et les craintes qu’il peut y avoir dans les modes traditionnels de l’action collective.

Les ODD sont intégrés et indivisibles, c’est-à-dire qu’il faut impérativement tourner le dos à l’idée que pour contribuer à l’action collective il suffirait de faire sa part, de prendre « son » ODD, ses deux indicateurs et ses trois sous-indicateurs dans l’ODD, de remplir sa ligne et de dire à la fin de la journée « bon, j’ai fait + 2% sur ma ligne du tableau Excel et donc je suis quitte pour ma contribution aux objectifs du développement durable ». Ce serait un contresens absolu.

Il fut absolument tourner le dos à toute vision bureaucratique de l’atteinte des objectifs, il faut se les approprier dans leur caractère intégré et indivisible, pour comprendre comment on peut structurer une nouvelle façon d’agir ensemble. 

On peut considérer les objectifs du développement durable, tels qu’ils sont présentés aujourd’hui, comme un abécédaire, un alphabet, l’esquisse d’un vocabulaire nouveau pour parler de notre environnement, de nos conditions de vie et pour parler des objectifs de l’action collective. C’est un langage qui se veut universel mais c'est un langage incomplet, qui a commencé à élaborer un vocabulaire, mais qui n’a pas encore élaboré sa grammaire. La grammaire de ce langage universel c’est à nous, à notre niveau, dans le périmètre de notre capacité d’agir ensemble, de l’élaborer aujourd’hui.

L’ambition que se fixe la Fonda avec ses partenaires en lançant son cycle de prospective « Faire ensemble 2030 », c’est de trouver avec vous, étape par étape, le chemin d’une nouvelle grammaire de l’action collective. 

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