Prospective

Croissance et Objectifs de développement durable : compatibles ou antinomiques ? [Débat prospectif Faire ensemble 2030]

Tribune Fonda N°247 - Perspectives pour le "monde d'après" - Septembre 2020
La Fonda
Et Hannah Olivetti
Le quatrième et dernier débat prospectif du cycle Faire Ensemble 2030 portant sur la croissance et les objectifs de développement durable, animé par Bastien Engelbach, Coordonnateur des programmes de la Fonda, a réuni Timothée Duverger, Maître de conférence à Sciences Po Bordeaux spécialiste de l’ESS, Alice Barbe, Directrice de Singa, et enfin, Gilles Vermot-Desroches, Directeur du développement durable chez Schneider Electric.

Avec les Objectifs de développement durable, l’Agenda 2030 offre une vision d’ensemble, universelle et systémique pour une société plus juste, solidaire et durable. Il fournit un cadre de référence pour l’action collective avec l’ODD 17 “Partenariats pour la réalisation des objectifs”. La Fonda prend part à ce dispositif international dans le cadre du programme Faire Ensemble 2030. L'objectif étant que les associations et leurs partenaires s’approprient les ODD. La Fonda est régulièrement interpellée au sujet de l’ODD 8 relatif à la croissance, qui s’intitule “Promouvoir une croissance économique soutenue, partagée et durable, le plein emploi productif et un travail décent pour tous”.  

La recherche de la croissance est-elle compatible avec l’atteinte des autres ODD ?  Ne serait-ce pas plutôt un frein ? Plus globalement, cela nous amène à interroger la notion de croissance : de quelle croissance parlons-nous ? Quelles formes peuvent-elles prendre ces croissances ? Comment mieux mesurer les richesses ?  

(In)Compatibilité entre ODD et croissance ?  

La recherche de la croissance économique et l’atteinte des Objectifs de développement durable (ODD) semblent incompatibles avance Timothée Duverger, en s’appuyant sur le rapport Meadows de 1972 qui montre les limites objectives à la croissance économique (les ressources naturelles et matérielles sont finies). Le rapport Bruntland de 1987 concilie économie, environnement et social avec la notion de développement durable. Toutefois, Timothée Duverger souligne la prédominance de la croissance économique sur le reste. Cette dernière est essentielle pour Gilles Vermot-Desroches afin de produire des richesses et ainsi pouvoir financer des projets durables. La décroissance économique, au contraire, conduirait entre autres à une paupérisation de la société.  

Bien que les associations s’engagent dans l’économie du bien-être1 pour répondre aux besoins sociaux et humains importants, cette analyse économique demeure, dans nos sociétés, sous-estimée notent Timothée Duverger et Alice Barbe. 

Un nouveau modèle économique est nécessaire pour tous les intervenants, sans pour autant qu’ils s’accorder sur l'alternative à suivre. Pour penser le monde de demain, les ODD et l’innovation se révèlent importants, selon Gilles Vermot-Desroches. 

Vers la fin du PIB ?  

Principal indicateur de mesure de la croissance économique, le produit intérieur brut (PIB) fait l’objet de critiques depuis de nombreuses années, notamment celles de la Commission Stiglitz de 2008. Le PIB ne reflète pas la réalité : il ne prend pas en compte les dimensions environnementales et sociales rappelle Timothée Duverger. Le bénévolat par exemple n’est pas compatibilisé par le PIB et demeure invisibilisé, même s’il contribue à créer du lien social,à améliorer le bien-être et de faire société. Toute cette valeur créée demeure invisibilisée et non prise en compte par le PIB. La crise sanitaire a permis d’une certaine façon de mettre en lumière une multiplicité d’initiatives de solidarité et d’entraide insiste Alice Barbe.  

L’utilisation, voire la création, d'autres indicateurs apparaissent nécessaires pour piloter, mesurer et évaluer les résultats d’un projet. L’action publique intègre depuis la loi dite Sas (2015) une dizaine d’indicateurs qui offre une approche pluridimensionnelle (taux d’emploi, empreinte carbone, espérance de vie en bonne santé...) pour évaluer et élaborer les politiques publiques. Même si dans la pratique cela peut être difficile à gérer souligne Timothée Duverger.  La construction d’indicateurs au sein des structures (associations, entreprises...) implique d’être dans une démarche volontariste et coconstruite ajoute Alice Barbe. C’est d’ailleurs ce que fait Singa où les indicateurs sont fait “avec” les personnes et pas “pour” elles. Enfin, l’approche par les ODD pour construire de nouveaux indicateurs constitue une piste à explorer pour Gilles Vermot-Desroches.   

Comment faire ensemble ? 

Face aux défis (environnementaux, sociaux...) contemporains, la coopération pluri-acteurs est un levier d’action pour les relever. Cela s’inscrit en rupture par rapport au néo-libéralisme qui favorise la concurrence entre les individus, entre les entreprises et autres structures, et entre les Etats, selon Timothée Duverger.  

Faire ensemble peut notamment se traduire par une mutualisation des ressources, une mise en relation, une expertise, etc, comme le souligne Gilles Vermot-Desroches. Par exemple, Schneider Electric développe des partenariats locaux pour lutter contre la précarité énergétique dans 65 pays. 

Avant de mener des actions communes, les parties prenantes doivent effectivement avoir envie de “faire ensemble” ainsi qu'une vision partagée des défis.  Pour ce faire, il est important, précise Alice Barbe, de créer des moments d’interconnaissance pour que les personnes se rencontrent, discutent et apprennent à se connaître. C'est l’approche adoptée par Singa, association visant à créer du lien entre les personnes réfugiées et les locaux, car les échanges permettent de créer du lien et de changer de posture.  

La coopération est une opportunité pour l’Etat de repenser ses modes d’action publique pour qu’ils soient plus horizontaux, multisectoriels et multi-acteurs. Le statut de société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) permet à l’Etat de s’inscrire dans cette dynamique ajoute Timothée Duverger. L'Etat s’investit actuellement dans des SCIC du numérique (Mednum et Aptic).  

Pour finir, Alice Barbe a insisté sur la nécessité de former les citoyens sur les ODD, ainsi que de leur faire prendre conscience de leur capacité à agir pour changer le monde. La Convention citoyenne pour le climat en est un exemple et devrait être amené à se généraliser dans d’autres domaines selon elle.  

Dans une logique de favoriser la réflexion collective sur cette thématique, les participants ont été invités à identifier les principaux enjeux clefs, les leviers d’action à privilégier et les actions à mener en priorité à l’issue du cycle de débats prospectifs. Voici les principales propositions résumées sur ce tableau : 

Enjeux clefs et points marquants 

La coopération comme levier de résilience, 

La nécessité d’associer la société civile, 

La détermination de nouveaux indicateurs pour prendre en compte la création de valeur sociale,  

La sensibilisation et la formation aux ODD, 

Le développement de nouvelles formes d’engagement.

Leviers d'action à privilégier 

Développer les coopérations pluri-acteurs, 

Favoriser l’engagement des individus, notamment avec le bénévolat et le mécénat de compétence, 

Sensibiliser et éduquer sur les ODD dès l’école, 

Redéfinir les indicateurs et les outils de mesure de la valeur sociale.

Actions à mener en priorité 

Promouvoir l’engagement, notamment le mécénat de compétence, 

Se renseigner et diffuser les informations, 

Faire ensemble, 

Sensibiliser sur l’ESS et les ODD, 

Aller voter.

Pour aller plus loin

Singa : https://www.singafrance.com/  

Fondation schneider electric : https://www.se.com/fr/fr/about-us/sustainability/foundation/  

Schneider Electric : https://www.se.com/fr/fr/  

  • 1L'économie du bien-être s’attache à définir, identifier et mesurer le bien-être social et les moyens d’y parvenir.
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