Prospective

Transition écologique et solidaire : pourquoi n'y arrivons-nous toujours pas ? [Débat prospectif Faire ensemble 2030]

Tribune Fonda N°247 - Perspectives pour le "monde d'après" - Septembre 2020
La Fonda
Et Hannah Olivetti, Démocratie ouverte, Dominique Bourg, Geres
Le troisième débat prospectif du cycle Faire ensemble 2030 portant sur la transition écologique et solidaire, animé par Bastien Engelbach, Coordonnateur des programmes à la Fonda, a réuni Dominique Bourg, philosophe et professeur à l’université de Lausanne, Gilles Martin-Gilis, directeur du service Développement et Mobilisation au Geres, ainsi que Mathilde Imer, Convention Citoyenne pour le Climat - Membre du comité de gouvernance au nom de Démocratie Ouverte & des Gilets Citoyens.
Transition écologique et solidaire : pourquoi n'y arrivons-nous toujours pas ? [Débat prospectif Faire ensemble 2030]
Prince Regent National Park, Australia © NASA

Depuis de nombreuses années, les scientifiques et les militants écologiques alertent l’opinion et les pouvoirs publics sur la nécessité d’agir rapidement pour lutter contre le réchauffement climatique et ses effets néfastes sur la biodiversité et sur les sociétés humaines. La question environnementale est intimement liée aux problématiques sociales, car les populations les plus démunies sont souvent celles les plus touchées par ces dérèglements climatiques. La crise sanitaire actuelle en est un exemple à double titre : elle tire son origine des conséquences des interactions des hommes avec l’environnement, et elle entraîne avec elle des répercussions économiques et sociales. Avec les Objectifs de développement durable (ODD), l’Agenda 2030 semble particulièrement d’actualité en offrant une vision politique, transversale et universelle pour un monde plus solidaire, juste et durable. 

Pour quelles raisons, alors que les constats sont connus et que les solutions existent, ces dernières ne parviennent-elles pas à faire système et ne parvenons-nous pas à impulser une dynamique de transition écologique et solidaire ? Dans quelle mesure les ODD constituent-ils un levier d’action pertinent ? Comment mettre en place une société plus résiliente ?  

La récente prise de conscience de l’urgence climatique 

Les Hommes n’ont commencé à prendre conscience de leur impact sur l’environnement que récemment, au XIXème siècle, rappelle Dominique Bourg. Depuis les années 1950, l’urgence climatique n’est plus seulement centrée sur la question de la déforestation, elle inclue désormais le changement de la composition chimique de l’atmosphère. La conférence de Stockholm de 1972, les premiers rapports du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) dès 1988, ainsi que le protocole de Kyoto de 1997 en font état. 

Toutefois, dès les années 1970, les premières campagnes de désinformation financées par les industries pétrolières ont été menées. Ces “semeurs de doute”1 , insiste Mathilde Imer, ont empêché la mise en œuvre de politiques publiques luttant contre le réchauffement climatique. Cela est problématique car il existe une inertie climatique : bien que l’augmentation des gaz à effet de serre n’ait pas de répercussions à court terme, elle en a à long terme.  

Aujourd'hui, dans les pays occidentaux, le changement climatique devient particulièrement perceptible aux sens, selon Dominique Bourg, avec la mutation des saisons ou bien encore la hausse des températures. 2018 est une année charnière caractérisée par un basculement culturel en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique. Le développement des marches pour le climat témoigne de cette mobilisation croissante de la société.   

Raisons de l’inaction 

La Convention citoyenne pour le climat a mis en lumière le manque d’informations des citoyens par rapport à l’urgence climatique, insiste Mathilde Imer. Les médias n'abordent, selon elle, la question de l’écologie que dans une approche clivante et sans véritablement expliquer les enjeux2 . Gilles Martin-Gilis abonde dans son sens en soulignant l’influence du marketing sur les modes de vie, qui tend à occulter les impacts sociaux et environnementaux générés. Nous croyons vivre dans un système qui améliore notre bien-être, alors qu’au contraire il le détruit avec la destruction de la biodiversité ou bien encore l’augmentation des inégalités, alerte Dominique Bourg. 

A cela s’ajoute la recherche de la croissance économique par les entreprises, qui supplante les autres enjeux environnementaux et sociaux, d’autant que les élites économiques et politiques ont adopté une grille de lecture néolibérale ajoute Dominique Bourg. Les grands groupes ne veulent pas remettre en cause leur mode de fonctionnement et exercent des pressions sur les pouvoirs publics pour que rien ne change en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Les élus manquent également de vision à long terme déplore Gilles Martin-Gilis dont l’horizon se restreint à la durée de leur mandat3 et les lois et budgets ne sont pas votés sous le prisme des ODD, alors même qu’ils constituent des outils pour parvenir à une transition écologique et solidaire.  

Mais que faire ?  

Tous les intervenants s’accordent à dire qu’il est déjà trop tard pour arrêter le dérèglement climatique. En revanche, il est indispensable de se préparer, dès à présent, à bâtir un monde plus résilient. 

La création d’une chambre du futur, composée en partie de citoyens tirés au sort, est une piste à explorer pour Dominique Bourg et Mathilde Imer. Cela permettrait d’avoir un groupe au plus proche des réalités vécues et dédiées à l’intérêt général, à l’image de la Convention citoyenne pour le climat.  

Pour sortir des modes de vie consuméristes, Dominique Bourg propose la mise en place d’un “permis à consommer”, qui défalque à chaque achat l’empreinte écologique et l’empreinte carbone afin de réorienter l’économie vers une production plus locale et biosourcée, ainsi qu’un revenu de transition écologique4 , qui aide des activités orientées vers l’écologie et le lien social, mais non rentables économiquement à le devenir (l’agroécologie, le low-tech, l’artisanat, la permaculture). 

L'accompagnement des entreprises, notamment les PME et les PMI, dans ces changements est un autre levier d’action pour Gilles Martin-Gilis. La sensibilisation aux ODD et la définition de mesures concrètes aux impacts environnementaux et sociaux positifs et facilement déployables sont nécessaires. Des structures, comme le Global Compact et le Geres, peuvent les accompagner. 

Mathilde Imer propose la création de communautés ouvertes sous la forme de lieux-refuges pour être autonome (d’un point de vue alimentaire, énergétique...) au niveau local, impliquant de relocaliser les activités et de développer les circuits courts. L’éducation par les sens et non pas seulement fondée sur l’intellect, ainsi que la résilience émotionnelle, notamment avec la communication non-violente (CNV), apparaissent nécessaires pour transformer l’émotion en action pour (ré)agir. 

Dans une logique de favoriser la réflexion collective sur cette thématique, les participants ont été invités à identifier les principaux enjeux clefs, les leviers d’action à privilégier et les actions à mener en priorité à l’issue du cycle de débats prospectifs. Voici les principales propositions résumées sur ce tableau : 

Enjeux clefs et points marquants 

L’urgence à agir face à l’accélération du dérèglement climatique (inertie), 

La résilience, au moyen de :

- la coopération pluri-acteurs, l’anticipation et la préparation de la transition,

- l’éducation et la formation aux enjeux climatiques,

- l’engagement des citoyens,

- la redéfinition des concepts économiques,

- l’écoute et la communication. 

Leviers d'action à privilégier 

Sensibiliser, éduquer, former et accompagner vers la transition écologique et solidaire,  

Réformer le système démocratique, la fiscalité et les outils d’évaluation, 

Échanger, diffuser et médiatiser les initiatives et expériences, 

Penser de façon globale, transversale et systémique, 

Recréer du lien et de la proximité, 

Coopérer et mutualiser. 

Actions à mener en priorité 

Sensibiliser et éduquer sur l’urgence climatique, 

Se renseigner et diffuser les informations, notamment la Convention citoyenne pour le climat, 

Modifier ses habitudes (consommation, mobilité, télétravail), 

Outiller et développer les coopérations, 

S'engager.

Pour aller plus loin

Retour sur Terre (trente-cinq propositions, groupe mené par Dominique Bourg) : https://www.puf.com/content/Retour_sur_Terre  

Perdre la Terre, de Nathaniel Rich : https://www.seuil.com/ouvrage/perdre-la-terre-nathaniel-rich/9782021424843  

Convention citoyenne pour le climat : https://www.conventioncitoyennepourleclimat.fr/  

Démocratie ouverte : https://www.democratieouverte.org/  

Gilets citoyens : https://giletscitoyens.org/  

Geres : https://www.geres.eu/  

  • 1Elle s’appuie sur l’ouvrage de Nathaniel Rich qui s’intitule Perdre la Terre, Une histoire de notre temps
  • 2A l’image de la proposition de la Convention citoyenne pour le climat de passer la limite de vitesse sur l‘autoroute de 130 à 110 km/h.
  • 3 Les mandats sont courts, entre cinq (député et sénateur) et six ans (élus locaux).
  • 4Le RTE est composé à la fois d’une dimension monétaire et d’une dimension d’accompagnement au travers de la coopérative de transition écologique.
Débat